Chaque fois que la guerre en Syrie s’intensifie et que de nouveaux développements émergent, les experts suggèrent que le conflit a atteint un sommet sans retour. Pourtant ces experts, se sont, maintes et maintes fois, trompés parce que la situation est toujours inimaginable mais pire.
La clé qui résoudrait la crise syrienne, semble-t-il, est le contrôle de la ville assiégée et divisée d’Alep, où les restes de la communauté arménienne sont pris au piège. Le seul consensus actuel veut que celui qui remporte Alep remporte la guerre.
Malgré les bombardements intensifs des forces gouvernementales syriennes et ses alliés, et les soi-disant forces rebelles soutenues par la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et l’Occident d’autre part, peu d’évolution a été notée.
Après cinq ans de combats et près de 500 000 victimes, la guerre fait encore rage, sans aucune fin en vue.
Le 24 août, l’invasion massive de la Syrie par la Turquie a introduit une nouvelle dynamique et a donné une nouvelle tournure à cette guerre. La Turquie a toujours eu l’intention de se tailler une zone de sécurité en Syrie, encouragée par des personnes comme John McCain et Hillary Clinton, et contre l’avis du président Barack Obama. Bien sûr, chaque partie a son propre ordre du jour pour la création d’une zone d’exclusion aérienne. Les Etats-Unis limitent ou refusent les actions des forces aériennes russes et syriennes, tandis que la Turquie a des démangeaisons voulant pouvoir freiner les progrès des forces kurdes, qui sont sur le point de se tailler leur propre enclave autonome le long de la frontière turque.
Jusqu’à récemment, Ankara s’est retenu dans son désir d’entrer sur la scène de guerre de plein front; d’abord, parce qu’elle avait son propre agenda égoïste en vue de régler des comptes avec les Kurdes syriens, alors qu’elle prétend du bout des lèvres soutenir l’Occident et fait semblant de combattre l’EI en Syrie.
Les Etats-Unis ont trouvé des combattants plus fiables dans les forces kurdes et leur fournissent des armes et de la logistique pour conquérir le territoire de l’EI, ce qui exaspère la Turquie.
Après avoir abattu l’avion militaire russe, la Turquie n’a pas osé s’approcher à quelques kilomètres de la Syrie, de peur de risquer une guerre avec la Russie.
Mais quel changement dramatique a-t-il permis aux forces turques d’être accueillies sur le territoire syrien ?
On dit que la diplomatie est l’art du possible, mais aussi parfois, c’est le pari de l’opportunisme. Vous pouvez imaginer toutes sortes de théorie, mais les Turcs ont magistralement joué leur carte diplomatique afin d’atteindre leur objectif.
Avec une démagogie arrogante vis-à-vis de la Russie, le président Recep Tayyip Erdogan a rencontré le président russe Vladimir Poutine, à Saint-Pétersbourg au début du mois, et lui a vendu une série de projets. D’abord, il a présenté ses excuses pour avoir abattu l’avion de chasse russe, puis il a demandé la normalisation des relations avec la Russie, qui avait riposté avec force contre la Turquie, en arrêtant tous les vols touristiques vers ce pays et en interdisant l’importation de produits agricoles turcs.
Ces sanctions ont fait mal à l’économie turque. Puis Erdogan a vendu ses actifs à Poutine: sa colère enflée contre les Etats-Unis pour l’hébergement de Fettulah Gülen, et ses insinuations voulant que les Etats-Unis aient joué un rôle dans la tentative de coup d’Etat. Poutine n’a pas manqué l’occasion de créer une fissure dans l’alliance de l’OTAN.
Bien que M. Erdogan soit catégoriquement opposé à maintenir au pouvoir Bachar al-Assad, il a mis la pédale douce et a ostensiblement acquiescé à la conclusion de John Kerry voulant qu’Assad ne soit pas le principal objectif en Syrie, mais plutôt l’EI.
Juste après le retour de M. Erdogan à Ankara, les vols charter russes vers la Turquie ont repris. Et cette fois-ci, l’invasion des forces turques en Syrie a seulement soulevé une légère « préoccupation » à Moscou alors que le gouvernement syrien a caractérisé le mouvement de « violation de sa souveraineté. »
L’étreinte d’Erdogan à Poutine a sonné l’alarme à Washington qu’un membre important de l’OTAN brisait les rangs de l’alliance. Le vice-président Joe Biden a été envoyé à Ankara pour recevoir une poignée de main diplomatique mais froide et présenter des excuses à Erdogan pour arriver en retard pour exprimer ses propres sentiments et ceux du président Obama à propos de la tentative de coup d’Etat.
Cette humiliation a également été accompagnée d’un changement politique sur la scène de guerre syrienne. Comme écrit dans un article du New York Times, « le nouveau combat oppose les deux forces américaines soutenues par la Syrie l’une contre l’autre : les groupes rebelles aidés par la CIA et les agences de renseignement alliés, et les milices kurdes qui travaillent avec le Pentagone, en vertu d’un groupe parapluie dénommé Forces démocratiques syriennes. »
Les forces terrestres et aériennes turques, assistées de leurs substituts syriens, ont repris Jarabulus des mains de l’EI, dans une opération nommée Parapluie Euphrate. Les Etats-Unis ont commandé aux forces kurdes d’occuper la rive est de l’Euphrate, territoire essentiellement repris à l’EI. En cas de refus, les Etats-Unis ont menacé de ne plus leur fournir d’armes.
Dans un article en date du 29 août, le New York Times a écrit, « le plus puissant parti kurde syrien est sous le choc de ce que ses partisans considèrent comme une trahison américaine pour avoir donné le feu vert à la Turquie d’envoyer des chars et des rebelles dans le nord de la Syrie. »
Les Kurdes ont été non seulement trahis par les Etats-Unis, mais ils ont aussi été trahis par leurs propres frères. En effet, au cours de cette crise, le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, s’est empressé de se rendre à Ankara afin de serrer la main d’Erdogan, et a juré de se battre aux côtés de la Turquie contre l’EI et le PKK.
La Turquie a soudoyé le Kurdistan irakien en offrant des opportunités d’affaires et en achetant directement le pétrole des Kurdes contre les objections du gouvernement central.
Ankara a également étendu ses visites diplomatiques au Kurdistan, en contournant les autorités de Bagdad. Le Kurdistan, soutenu par la Turquie et Israël, est devenu la région la plus sûre et la plus pacifique d’Irak. Les Arméniens y ont également trouvé refuge et participent au gouvernement.
Pour l’Iran, qui a, au mieux, un mariage de convenance avec les Kurdes syriens, cela n’est pas une préoccupation, puisque Téhéran a son propre problème kurde à l’intérieur de ses frontières.
Les Kurdes ont été trahi à plusieurs reprises dans l’histoire. Même le Traité de Sèvres de 1920, leur avait promis un territoire et l’indépendance, comme aux Arméniens, mais comme pour les Arméniens, ce rêve a également été brisé.
Compte tenu de toutes ces trahisons, les Kurdes ont un dicton : « Les Kurdes ne disposent pas d’amis, uniquement de leurs montagnes. »
Bien que dans la guerre technologique d’aujourd’hui, cette idée est également réduite à un concept académique.
Un changement stratégique en Syrie peut avoir des conséquences pour l’Arménie en réduisant l’importance d’un allié comme l’Iran qui offre sa base de Hamadan à la Russie pour mener des raids en Syrie.
Le président Poutine a récemment déclaré que la Russie souhaitait sincèrement améliorer ses relations avec la Turquie. Historiquement, un rapprochement entre la Turquie et la Russie a déjà eu lieu aux dépens de l’Arménie. La Turquie se penche vers la Russie pour se détacher de l’étreinte américaine et M. Poutine semble accueillir cette tendance, dont l’issue peut saper l’influence des Etats-Unis dans le Caucase. Cette tendance va certainement concerner l’Iran, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, qui rivalisent l’un l’autre pour dominer dans la région.
La Turquie a joué toutes ses cartes diplomatiques pour présenter le grand jeu sur la scène de la guerre syrienne. Le changement permettra d’améliorer sa position dans la région au détriment du peuple syrien, en particulier les communautés chrétiennes de ce pays. Le geste de la Turquie donnera à Ankara une voix indépendante pour le règlement définitif de la guerre en Syrie. Mais à quand cette fin ?
Traduction N.P.
Edmond Y. Azadian