Diplomatie, discipline et désaccord

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 8 septembre 2016

Dans la vie arménienne actuelle, il existe des cibles privilégiées que certains aiment viser afin d’accroitre leur notoriété. Personne ne tente d’argumenter contre les coups bas, craignant d’y être associés. Loin de moi l’intention de faire l’apologie de ces objectifs, mais dans une atmosphère de chaos, l’on peut légitimement être en droit de demander le positif, de proposer le constructif et surtout, de se demander quel serait notre but ultime si nous détruisions les infrastructures, les autorités et les symboles.
L’Arménie a mené une diplomatie viable, la meilleure possible dans les conditions. Bien sûr, la diplomatie est plus efficace lorsqu’elle est soutenue par les armes. Les Etats-Unis, par exemple, mène leur politique étrangère à la pointe du fusil et la citation de La Fontaine a toujours à l’agenda : « Le raison du plus fort est toujours la meilleure. »
La politique étrangère de l’Arménie ne peut pas toujours atteindre ses objectifs et demeure vulnérable à la critique. Voilà pourquoi nombre d’irresponsables reçoivent des piques sans être en mesure de répondre.

Les Arméniens sont porteurs d’un gène destructeur. Ils ont pleuré pendant six siècles autour de leur indépendance perdue. Pourtant, une fois l’indépendance instaurée, ils ont rassemblé toutes leurs forces pour détruire cette patrie imparfaite plutôt que d’utiliser leurs énergies à l’améliorer et à la rendre viable.
L’Arménie est située dans l’un des centres nerveux du monde. Elle est entourée et menacée par ses ennemis. Ses dirigeants naviguent en eaux troubles. Ils peuvent ne pas être l’archétype du politicien, mais répéter ad nauseam qu’ils sont corrompus n’est absolument pas un signe de patriotisme. Ce zèle à détruire un gouvernement corrompu pourrait être justifié s’il n’avait pas atteint un niveau élevé d’hystérie et surtout, s’il pouvait être accompagné de recommandations alternatives.
Détruisons tout et rien, mais ayons une idée de remplacement avant de succomber à nos instincts ravageurs.
Une autre cible est le chef de l’Eglise arménienne à Etchmiadzine. La manière organisée dont les médias sociaux critiquent et insultent la hiérarchie de l’église n’a jamais fait montre d’une perspective positive.
La hiérarchie religieuse est basée sur la discipline. Tout ecclésiastique, comme tout conscrit dans l’armée, fait vœu de se conformer aux règles et règlements du système. Tout ecclésiastique qui choisit de violer les règles doit vivre avec ses conséquences. Mais tout prêtre défroqué devient une « victime » instantanée ; les critiques autoproclamés envers le Pontife n’ont aucun scrupule et ne cherchent pas à en savoir davantage sur la mesure disciplinaire prise contre le clerc défroqué. Ils savourent même l’occasion de critiquer l’autorité qui tente de maintenir l’ordre dans le système.
Les critiques sont devenus si égoïstes qu’ils sont prêts à aller à la rescousse d’un ecclésiastique illettré, qui, par certaines machinations et l’achat de voix est monté sur le trône vénérable d’un patriarcat et a eu le culot de faire circuler des lettres grossières dans les médias, en essayant de fournir des conseils à son supérieur, conseils dont il a besoin plus que quiconque.
Mais les critiques autoproclamés se félicitent de l’occasion pour glorifier le messager, au lieu de fustiger ce pasteur analphabète qui avait l’intention de servir l’église.
Ainsi, les actes méprisants deviennent la norme dans une société médiocre qui a perdu ses priorités en cette période trouble.
Très peu de gens prennent le temps et font l’effort d’assister à l’édification d’Etchmiadzine, des publications scientifiques et une nouvelle génération de prêtres formés après une immobilité de 70 ans, sous le règne soviétique.
Bien sûr, aucun dirigeant politique ou chef de l’église n’est au-dessus des critiques, mais le niveau de cette critique en Arménie et par extension dans la diaspora est si important qu’il caractérise plus le critique que sa cible.
Une critique saine contre les autorités, qu’elles soient religieuses ou politiques, est toujours la bienvenue, mais nous sommes au bord du nihilisme et de l’anarchisme, qui ne tente pas d’améliorer ou de promouvoir une cause, mais plutôt que l’annihiler.
Ne laissons personne insinuer qu’il n’y a pas de presse libre ou de liberté d’expression en Arménie. La critique fuse de toute part de manière si indécente qu’elle rabaisse le concept de la liberté d’expression. Il n’y a plus de bon sens. Et toute nation qui détruit ses icônes, est condamnée à la destruction.

Récemment, un groupe de jeunes hommes armés a envahi un poste de police à Erévan, tuant un agent de police. Les assaillants étaient de respectables héros de la guerre du Karabagh. Leur motivation était noble et leur désespoir était justifiée. Mais leur action ne correspondait pas à leurs idéaux. Tout pays qui se respecte aurait pris des mesures plus sévères plutôt que de s’engager dans de longues négociations. Finalement, ils se sont rendus et ont été incarcérés. Mais il y a eu une vague de soutien à leur cause. La population a manifesté et crié que leur incarcération était le geste tyrannique d’un gouvernement corrompu.
Un exemple est l’acte terroriste de Timothy McVeigh, qui a fait sauter l’édifice fédéral Murrah à Oklahoma City (en 1995), causant des centaines de morts, y compris des enfants en bas âge qui se trouvaient dans une garderie de l’immeuble. Pour son crime, il a été condamné à mort. Quelqu’un fustige-t-il ou qualifie-t-il les Etats-Unis d’antidémocratique en raison de cette condamnation et exécution ?
Les Arméniens attribuent des compétences politiques à ceux qui ont combattu vaillamment pour défendre l’Arménie et le Karabagh, suggérant ainsi qu’ils devraient avoir le droit de gouverner le pays.
L’histoire a cependant démontré à maintes reprises que les dirigeants révolutionnaires et héros de guerre se transforment en des tyrans les plus impitoyables.
J’ai peur que de critiquer cette critique erronée puisse être interprétée comme un moyen de défendre des personnes siégeant actuellement en tant que cibles de cette critique. Cependant, le point est le niveau écœurant de la critique qui frise le cynisme.
Toute critique accompagnée d’idées positives peut conduire, avec succès, à un changement sain.
Il existe un dicton turc (les Turcs n’ont pas toujours tort) : « Si vous avez l’intention de voler la mosquée, il vaut mieux vous couvrir. »

 

Traduction N.P.

Edmond Y. Azadian