Justice à vendre

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 29 septembre 2016

Une justice différée est une justice refusée. Mais quand est-il d’une justice renversée, ce qui est le cas avec la Cour européenne des droits de la personne ? Le tribunal a justifié la négation du génocide par un fonctionnaire, à savoir Dogu Perinçek, représentant l’état qui a succédé à celui qui a perpétré le génocide.
Cette action a eu un effet domino sur la Cour de justice suisse, qui à son tour a renversé son verdict sur Perinçek, qu’un tribunal inférieur avait reconnu coupable de négation du génocide, et, ajoutant l’insulte à l’injure, a ordonné aux survivants du génocide d’indemniser ce déni de génocide.
L’Europe et les Etats-Unis se vantent d’être des pays de lois, alors qu’ils négocient constamment la justice contre des intérêts politiques.
A la fin de la guerre froide, il existait un principe inaliénable destiné à ne pas changer les frontières territoriales. Peu importe si le Timor-Leste a déclaré son indépendance en 2002, le Soudan du Sud a été créé en 2011, en amputant le Soudan et, plus abominablement, l’ex-Yougoslavie a été fragmentée avec la création de plusieurs pays indépendants, la Serbie a été punie pour son agression et pour servir d’extension à la politique russe en Europe, une portion de son territoire a été coupée pour former un pays artificiel renommé Kosovo en 2008, dirigé par des trafiquants d’armes, des trafiquants de drogue et les terroristes.
A ce jour, le Kosovo demeure sous protection de l’OTAN, en dépit du fait qu’il est devenu un camp d’entraînement pour les terroristes islamistes et fondamentalistes d’Europe.
Et pourtant, le Karabagh (Artzakh) s’est vu refuser le principe qui a permis la création de tous ces pays dissidents.
Cette attitude cavalière envers l’Arménie s’exprime dans toutes ses relations avec l’Occident, non pas parce que l’Occident déteste les Arméniens, mais simplement parce que ces derniers représentent une quantité insignifiante face à la puissance des états.
Les verdicts européens qui ont déclaré Perinçek victorieux ont eu un impact dans d’autres pays d’Europe. Le président français François Hollande avait promis de déposer une loi à toute épreuve devant le parlement afin d’assurer la criminalisation de la négation du génocide. Cependant, alors que M. Hollande se bat pour son avenir politique, il semble que l’article 38 de la loi sur l’égalité et la citoyenneté soit en danger. L’article 38 condamne la négation des crimes contre l’humanité et les génocides. Le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France se bat pour que cette loi adoptée par le Sénat soit appliquée.
Même l’Allemagne vacille; lorsque le Bundestag a adopté la résolution sur le génocide arménien, le gouvernement Erdogan s’est montré furieux et a demandé des représailles.
A l’époque, la position de principe de la chancelière Angela Merkel a été applaudie dans toute l’Europe. Pourtant, la Turquie n’a pas cédé. Le gouvernement Erdogan a utilisé l’occasion de la demande du gouvernement allemand à rendre visite à son personnel militaire stationné à la base d’Incirlik, en Turquie, pour demander à Berlin d’annuler la résolution de reconnaissance du génocide arménien. Le gouvernement allemand a cligné des yeux et a déclaré que la résolution était de nature politique et ne portait aucun poids juridique. L’explication a été jugée assez satisfaisante par le gouvernement Erdogan pour leur accorder le droit de visite.
L’inexcusable raison invoquée par le gouvernement israélien de ne pas reconnaître le génocide arménien ne tombe pas dans la même catégorie que le jeu de pouvoir européen. Cependant, la cause est la même : un manque relatif d’influence de l’Arménie dans le domaine des relations internationales.
Récemment, un membre de la Knesset israélienne, Tali Ploskov, était en Arménie pour participer au 25e anniversaire de l’indépendance du pays. Cette participation en elle-même était salutaire, car elle marquait une approche équilibrée du gouvernement israélien dans la région après la fourniture de drones mortels à l’Azerbaïdjan. Parlant de la reconnaissance du génocide, Ploskov a souligné que des progrès avaient été enregistrés dans le processus de reconnaissance du génocide arménien par Israël, lorsque le Comité de la Knesset sur l’Education, la Culture et le Sport l’a officiellement reconnu en juin 2016, en ajoutant : « Nous ne pouvons pas déclarer ce que nos homologues arméniens voudraient que nous disons. Nous avons des raisons que tout le monde comprend. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas coopérer. »
Encore une fois, les considérations politiques l’emportent sur les principes humanitaires. Même une nation qui attend le monde entier déplorer l’Holocauste et indemniser les survivants, a l’ignominie morale de refuser et de politiser la même tragédie qui a frappé une autre nation.
Certains analystes en Arménie peuvent imputer cette série de revers à la faiblesse de la politique étrangère de l’Arménie, qui a réalisé quelques succès réconfortantes en Amérique latine. D’autres peuvent trouver de mauvaises intentions dans la politique des nations concernées voulant que la politique étrangère de tout pays se reflète d’après son importance dans l’agenda politique des grandes puissances.
L’Europe, l’Amérique et même la Russie ont un intérêt vital dans le traitement de la Turquie. La question du génocide est d’une signification écrasante pour cette dernière. Par conséquent, dans toute négociation politique, il y a à donner et à prendre. Le sang de 1,5 million de martyrs semble être l’élément le plus disponible sur l’agenda politique des pays qui traitent avec la Turquie. Par conséquent, ils vont renoncer à la reconnaissance du génocide en toute impunité. L’Arménie n’a pas le pouvoir de se venger comme la Turquie peut le faire.

Près de 150 ans plus tard, les Arméniens ne doivent toujours pas oublier la fable de Hayrig Khrimian, « La louche de fer ».
L’Arménie se dépeuple et souffre économiquement. Aucun pays utilisera la charité dans sa politique face à l’Arménie. Seuls les Arméniens peuvent revigorer leur patrie et renforcer son prestige dans l’arène politique.
Les Arméniens de la Diaspora sont engagés dans la politique – notamment en Europe et aux Etats-Unis – afin de sensibiliser aux questions qui les concernent le plus. Il semble que les efforts déployés ne suffisent pas à convaincre les puissances à reconsidérer leurs options. La force de l’Arménie et la pleine mobilisation de la diaspora pourraient en modifier l’équilibre.
Au risque de paraître cynique, il faut dire que la justice est à vendre sur le marché politique. Nous pouvons l’acheter, si nous possédons un pouvoir d’achat politique.

 

Traduction N.P.

Edmond Y. Azadian