Vous l’Arménien attentionné réfléchissant dans l’Euphrate !
Vous scrutant les ruines de Ninive ! Vous escaladant le mont Ararat !
Vous le pèlerin au pied usé faisant bon accueil à l’étincelle des minarets de la Mecque !
Poème de Walt Whitman, « Salut au Monde ! »
Les Arméniens vivent en captivité depuis six siècles, le voisin immédiat étant toujours un ennemi. Au cours de deux occasions historiques, l’indépendance a été acquise au XXe siècle, mais l’Arménie est demeurée en état de siège, toujours entourée d’ennemis. Cette situation a contribué au développement d’une mentalité défensive, toujours à la recherche de menaces potentielles et existentielles.
Mais peu d’attention a été accordée à l’ennemi parce que la plupart du temps, la menace intérieure a été aussi destructrice, sinon plus, que celle de l’extérieur des frontières, rendant l’Arménie impuissante. Avant de plonger dans l’histoire, de nombreux exemples de l’Arménie actuelle ont causé plus de dégâts qu’un ennemi étranger.
Le pays est indépendant depuis un quart de siècle. Nous voudrions nous vanter et souhaiter que le peuple arménien ait lutté pour cette indépendance. Pourtant la vérité veut que l’indépendance soit tombée sur l’Arménie à la suite de l’effondrement de l’Empire soviétique. Les Arméniens n’étaient pas prêts à adopter l’indépendance et à gérer un pays libre.
Lorsqu’elle faisait partie de l’Union soviétique, l’économie de l’Arménie était basée sur un système de commandement et était intégrée à une économie démesurée, où les matières premières étaient expédiées d’un bout de l’empire vers l’autre, tout comme les produits manufacturés. Par conséquent, cette infrastructure n’a pas permis à l’Arménie de créer ou de maintenir sa propre base manufacturière. L’usine de caoutchouc et le complexe d’usines chimiques qui lui sont associées en sont un bon exemple.
Par conséquent, au moment de l’indépendance, les nouveaux planificateurs ont adopté une formule économique simpliste, à taille unique, et ont privatisé la base manufacturière du pays sans aucun protocole supplémentaire pour préserver et exploiter des usines de fabrication de taille petite ou moyenne. Dans ce système, être au bon endroit au bon moment signifiait que pendant la nuit, les gestionnaires d’usine étaient devenus des propriétaires. Au lieu de bien gérer leurs opérations, ils ont commencé à démanteler les usines et à les vendre sous forme de ferraille à l’Iran et à la Turquie, ont empoché les revenus, puis ont abandonné le pays. Les maux économiques d’aujourd’hui sont le résultat direct de cette façon de faire. Si l’Arménie est aux prises avec une économie appauvrie, nous ne devrions pas regarder par-delà des frontières pour trouver des coupables.
Une fois que l’économie d’un pays commence sur de mauvaises bases, les corrections sont extrêmement difficiles à moins d’une véritable intention ou un appétit pour remédier à la situation. Malheureusement, cela n’a pas encore eu lieu.
Il est honteux qu’en 25 ans, le pays n’ait pas été en mesure de développer une classe moyenne destinée à soutenir l’économie et offrir une certaine stabilité dans la société. Les propriétaires de petites et moyennes entreprises sont les victimes du percepteur, qui a pour obligation de taxer les entreprises de façon exorbitante, d’extorquer des pots de vin et de les partager avec ses supérieurs du gouvernement.
On raconte que dans un pays pauvre comme l’Arménie, la valeur nette de l’un des fils de l’ex-président Robert Kotcharian vaudrait 10 milliards de dollars. Le chiffre peut ne pas être exact, mais le système est là pour permettre au gouvernement et ses proches d’exploiter, de voler le pays, et de profiter d’un mode de vie opulent, alors que 60% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Le chômage est très répandu en Arménie. Mais pourquoi ne sommes-nous pas témoins d’une révolte parmi les chômeurs ? Parce qu’ils partent. Les chômeurs se déplacent vers la Russie, le Kazakhstan ou vers un pays européen, ainsi la crise du chômage se résout magiquement, au détriment du dépeuplement du pays. Et un député du Parti républicain au pouvoir le justifie en déclarant : « Bien sûr, les gens vont se diriger là où il y a des possibilités d’emploi. » Plutôt que d’essayer de corriger la situation et d’enrayer l’hémorragie, le parti au pouvoir surveille confortablement la diminution de la population.
Le ministre de la Diaspora fait appel à des investissements étrangers, en particulier de la part d’Arméniens d’outre-mer, alors que de nombreux investisseurs ont été volés, battus ou tués. Cette perspective n’est pas d’un grand encouragement pour des investisseurs potentiels.
Un scandale a également éclaté durant la brève guerre avec l’Azerbaïdjan, lorsque les soldats arméniens ont dû faire face à l’ennemi avec des armes de moindre qualité, sans balles et sans réservoirs de carburant ; Les approvisionnements avaient été détournés pour graisser les poches de quelques militaires. En conséquence, le ministre de la Défense a été renvoyé. La mort de chaque soldat arménien tué par le feu azéri est accueillie avec un sentiment de fureur et de vengeance. Mais que dire lorsque les soldats arméniens sont battus ou tués par leurs supérieurs ? Leurs familles sont, entre autres, escroquées par des pots de vin pour assurer leur sécurité dans les casernes ? Quelle motivation aurait un jeune soldat autre que la misère ?
Dans un pays où la zone du tremblement de terre a encore besoin d’investissements pour sauver 3 000 familles qui passent un autre hiver froid dans des domiks, les oligarques jouissent d’un mode de vie somptueux sans souffrir ded douleurs d’une conscience coupable.
L’histoire est remplie de cas où les Arméniens ont causé plus de dommages à leur pays et à leurs compatriotes qu’à leurs ennemis.
Le premier et dernier empire arménien de Tigrane II s’est effondré parce que son fils s’est rallié à l’armée romaine envahissante. En 1375 le royaume arménien de Cilicie a été envahi par les Mamelouks et le roi Léon V de Lusignan a été fait prisonnier par l’Égypte parce que son royaume était affaibli par les luttes intestines des princes et des principautés.
Les Arméniens ont perdu la ville de Kars en 1918 après avoir reçu des quantités énormes de munitions, de nourriture et de matériel, et malgré les plaidoyers du général Andranik, parce que les Arméniens orientaux, pris par un sentiment de patriotisme régional, ont refusé de se battre pour un lopin de terre d’Arménie occidentale.
Tout n’est pas perdu. Il existe encore une grâce possible. Avetis Aharonian, méditant devant la statue de Moïse en Italie, a dit que Moïse avait sauvé le peuple juif malgré la volonté du peuple.
Bien que le parti au pouvoir soit enraciné en Arménie et envisage de le contrôler dans un avenir prévisible, de nombreux penseurs mondiaux ont aidé l’Arménie à survivre et à prospérer : Eduardo Eurnekian a construit à Erévan l’un des aéroports les plus modernes de la région, sous réserve de le gérer. Rouben Vardanian a construit une école internationale à Dilijan, au coût de 115 millions de dollars, sans ingérence du gouvernement. La Fondation de la famille Cafesjian a transformé la Cascade d’Erévan en une vitrine d’art de classe mondiale avec un jardin de sculptures et des musées sans participation du gouvernement. Le Centre Tumo de Sam Simonian est un paradis informatique pour les futurs concepteurs d’ordinateurs et est dirigé sans la participation ou le contrôle du gouvernement.
Par contre, les entreprises gérées par le gouvernement sont des foyers de malversation et de corruption, sans aucun égard au résultat, ni même la souffrance du public.
Les Arméniens faisant preuve d’une pensée globale démontrent qu’il y est possible de sauver l’Arménie des Arméniens, et de paver d’espoir leur avenir.
Traduction N.P.
Edmond Y. Azadian