La guerre en Syrie est l’un des problèmes les plus complexes du Moyen-Orient, elle implique des puissances mondiales importantes et leurs représentants régionaux. Les États-Unis dirigent une coalition de 60 nations décidés à déraciner l’État Islamique (EI) de son perchoir à Raqqa, en Syrie. Mais les combats entre les partenaires de la coalition entravent les efforts pour vaincre l’EI.
Toutes les forces engagées dans la guerre affirment que leur intention est d’écraser le terrorisme des extrémistes islamiques, mais sur la voie de la réalisation de cet objectif, il existe de nombreuses embuches qui poussent l’ensemble du problème dans un bourbier.
Il est erroné de qualifier le problème syrien de « guerre civile » parce que la Syrie était sur la carte des planificateurs du printemps arabe, qui avait l’intention de neutraliser tous les pouvoirs potentiellement hostiles aux intérêts américains et israéliens dans la région. Hillary Clinton, dans un courrier électronique de 2012, a résumé cette politique dans un message divulgué par Wikileaks : « Abandonner Assad serait non seulement un bon coup pour la sécurité d’Israël, mais faciliterait aussi l’abandon d’une peur compréhensible pour Israël et son monopole nucléaire. Puis Israël et les États-Unis pourraient être en mesure d’avoir une vision commune du moment où le programme iranien devient dangereux et une action militaire justifiée. »
Tout le reste de la rhétorique et les analyses concoctées par les experts représentent des balivernes.
Après la destruction de l’Irak et de la Libye, la Russie, en partie récupérée de l’effondrement de l’Union soviétique, a essayé de tracer une ligne rouge et a sauvé le président Bashar al-Assad. L’intervention de Moscou est également autonome, car sa seule base militaire en Méditerranée, à Tartus, en Syrie, est menacée. L’intervention de l’Iran est tout aussi autonome parce que le parti libanais du Hezbollah appui également Assad. Le groupe militant est le représentant de l’Iran dans la région, défiant Israël.
Dans ce scénario alambiqué, il existe également l’alignement des forces domestiques syriennes et des gouvernements régionaux.
Même si l’objectif des États-Unis a pour but de déraciner l’EI de Syrie et d’Irak, ils n’auraient jamais permis à la Russie de mener le bal, étant pourtant du même côté. Par conséquent, alors que toutes les forces luttent nominalement contre l’EI, elles veulent tenir les rênes. Les États-Unis ne consentiront aucune victoire à la Russie et l’Iran, qui jusqu’ici ont maintenu Assad au pouvoir.
La Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Jordanie sont impliqués dans la guerre pour diverses raisons ; Toutes les parties ci-dessus, à l’exception de la Turquie, figurent sur la liste et ces monarchies tremblantes doivent leur stabilité et leur existence au soutien des États-Unis.
On peut se demander si l’intention des planificateurs du printemps arabe était d’implanter la démocratie dans les pays arabes, alors pourquoi ne pas être du côté de ceux qui n’ont pas élu de gouvernements médiévaux, alors que l’Arabie saoudite, un grand allié américain, est connu depuis longtemps pour aider des terroristes extrémistes.
La Turquie a participé au conflit syrien pour essayer de récupérer certains des territoires et des ressources qu’il a perdu après la fin de l’Empire ottoman, tout en luttant contre les Kurdes d’Irak et de Syrie, qui inspirent les Kurdes de Turquie.
L’EI n’aurait pas existé sans le soutien de la Turquie en collusion avec certaines de ces monarchies régionales. Ce dernier serait conforme à la première indication de Washington, mais la Turquie est intervenue en Irak et en Syrie contre les protestations véhémentes des gouvernements respectifs.
L’Union européenne et les États-Unis savent très bien que la Turquie a joué un rôle primordial dans la création de l’EI, mais continuent de cajoler le Président Recep Tayyip Erdogan pour que son pays participe à la bataille contre l’EI. Le dirigeant turc prétend qu’il fait tout cela alors que, en réalité, toutes les parties s’engagent dans un jeu mutuel de prétexte parce que chacun a des intérêts qui se chevauchent dans la région.
Les Kurdes représentent une minorité importante en Irak, en Syrie, en Turquie et en Iran. Ils sont notoirement divisés et ces divisions sont exploitées par les gouvernements respectifs afin d’atténuer leurs aspirations à l’autonomie. Le président Erdogan utilise à son avantage cette division de manière magistrale. Lorsque le Parti démocrate populaire de la majorité kurde (HDP) a remporté 13% des suffrages lors des dernières élections législatives, il a suspendu les discussions avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est du pays et a lancé des attaques contre les Kurdes de Diyarbakir.
Au cours des négociations avec l’Union européenne, ce dernier était sur le point de retirer le PKK de la liste des partis terroristes, mais lorsqu’Erdogan a opté pour la guerre, l’UE a reculé. Durant cette guerre qui se poursuit, le gouvernement turc a déplacé 350 000 Kurdes et tué de nombreux autres. Parce que les médias occidentaux sont interdits dans cette région, ils ne peuvent donner de chiffres précis sur les pertes.
Erdogan arme les Kurdes fidèles et les place comme gardiens des villages, de sorte que les Kurdes se tuent les uns les autres. La Turquie a également acheté la loyauté des Kurdes irakiens. Auparavant, il s’agissait d’empêcher la formation d’une région kurde indépendante, craignant que la rupture de l’Irak ne finisse par créer un État kurde indépendant à sa frontière. Mais les garanties internationales provisoires qui préservent l’intégrité territoriale de l’Irak, tout en soudoyant le leadership kurde dans la région autonome – par l’achat illicite de pétrole et d’autres incitations économiques – rapprochent un peu plus Ankara et le Kurdistan.
Aujourd’hui, les dirigeants du Kurdistan sont les ennemis amers du PKK et de leurs homologues en Syrie et en Irak, au grand soulagement d’Erdogan.
Outre le PKK, le gouvernement turc lutte contre le YPG, les unités de protection du peuple, une milice kurde en Syrie, qui a sculpté une enclave autonome à Rojava, à la frontière turque. Le YPG est un dérivé du Parti de l’Union démocratique, qui a été formé pour représenter la minorité kurde de 10% au Parlement syrien avant la guerre. Au cours de la guerre, le YPG s’est avéré être la force de combat la plus efficace contre l’EI. Le New York Times rapporte que l’ancien secrétaire à la Défense, Ash Carter, a décidé que le YPG était la « seule force terrestre désireuse et capable de prendre le dessus sur le faux calife Abou Bakr al-Baghdadi dans sa capitale de Raqqa ». Puis A. Carter a intégré le YPG aux Forces démocratiques syriennes (SDF) qui fonctionnent sous le commandement des États-Unis.
L’article du New York Times a ajouté que « Washington a été profondément frustré par la réticence de la Turquie à consacrer des ressources importantes afin d’éliminer l’EI. La priorité d’Erdogan a été de tenter de détruire le PKK et d’attaquer ce qu’il considère comme ses alliés kurdes syriens. Ankara craint que, pour vaincre Al-Baghdadi à Raqqa, les États-Unis ne contribuent à créer un Kurdistan syrien autonome qui, à son tour, servirait de modèle aux Kurdes turcs. »
Le 24 avril, des avions de guerre turcs ont bombardé des combattants kurdes – et leurs alliés américains – en Irak et en Syrie, compliquant la campagne américaine contre l’EI en Syrie. Le gouvernement turc a annoncé que 70 membres du PKK avaient été « neutralisés », tandis que les sources de YPG déclaraient que 18 membres avaient été tués et 20 blessés, dont six peshmergas. Ces derniers font partie d’un groupe militant défendant la région autonome kurde, en opposition avec le PKK et le YPG.
L’administration Trump a récemment envoyé 500 soldats américains pour renforcer le SDF, qui est principalement composé de Kurdes YPG et a autorisé le secrétaire à la Défense, James Mattis, à augmenter le nombre de forces américaines selon la situation.
Le gouvernement d’Erdogan affirme avoir informé les forces américaines des raids à l’avance. Les États-Unis ont répondu qu’ils n’avaient été informés qu’une heure avant l’attaque et avaient demandé la suspension du plan, en vain.
« Les bombardements sont un exemple sanglant du défi diplomatique face à Donald Trump alors que les États-Unis tentent de rassembler leurs alliés pour un dernier assaut contre Raqqa, » selon le quotidien britannique Telegraph.
À la suite des bombardements, le commandant militaire des États-Unis s’est dirigé vers le quartier général du YGP pour évaluer les dégâts, en colère contre les Turcs. D’autre part, le ministère irakien des Affaires étrangères a dénoncé l’attaque, tandis que l’administration Masoud Barzani du Kurdistan a accusé le PKK d’avoir provoqué le raid.
Deux dirigeants erratiques, à savoir Trump et Erdogan, se font face. Mais actuellement, le côté américain est exceptionnellement modéré. Il a seulement affirmé que les États-Unis se sentaient « concernés », au lieu de faire face à la Turquie pour avoir attaqué les adversaires les plus tenaces de l’EI.
Un article de Juan Cole dans The Nation porte le titre de « La guerre de la Turquie contre les Kurdes syriens devient-elle une guerre contre les États-Unis ? »
Personne ne peut dire quelle pourrait être la réaction ultime. M. Trump a lancé 59 missiles Tomahawk en Syrie lorsqu’il a appris les décès par armes chimiques, sans pourtant découvrir les responsables. Cette fois-ci, il est calme. Mais politiquement, il est en désaccord avec Erdogan. « Erdogan semble croire qu’il peut intimider Trump en laissant tomber les Kurdes syriens comme alliés. Il demeure qu’il a correctement calculé, » conclut Cole dans son article.
Erdogan se rendra bientôt à Washington ; Gülen, les achats d’armes et les Kurdes syriens sont à l’ordre du jour.
Attendons de voir quel dirigeant clignera des yeux en premier. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.