Un tourbillon politique engloutit le Karabagh

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 7 septembre 2017

Richard Hoagland, coprésident représentant les États-Unis du groupe Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), a déclenché un tourbillon politique autour de la situation stagnante du Karabagh, annonçant des conditions unilatérales dans son discours d’adieu.
Il sera prochainement remplacé par Andrew J. Schofer. Les six principes énoncés par M. Hoagland représentent les Principes de Madrid qui ont été rejetés par les deux parties au cours de négociations.
Traditionnellement, lorsque les coprésidents du groupe de Minsk, qui représentent les États-Unis, la Russie et la France, ont un message pour les pays en négociation ou pour la communauté diplomatique, ils coordonnent leurs actions et parlent d’une seule voix. Pourquoi se présenter à la hâte avec une proposition unilatérale en ce moment ?
Il y a certainement des contraintes à la hâte de M. Hoagland ainsi que sur le contenu de son message.
À l’heure actuelle, tout le monde comprend que le conflit du Haut-Karabagh est devenu un football politique entre tous les groupes impliqués, en particulier pour les grandes puissances qui n’y voient aucun intérêt immédiat.
Une information dans le périodique russe Regnum rapportait que Moscou était sur le point de débuter un dialogue sur le Haut-Karabagh dans un triangle Russie-Azerbaïdjan-Haut-Karabagh. Cette nouvelle a été amplifiée par une déclaration de Gennady Zyuganov, chef du parti communiste de Russie, voulant qu’il n’y ait pas de solution au conflit sans intervention de la Russie. Cette annonce a donné l’impression que la question prenait une autre direction et que quelque chose de concret pouvait ressortir du sommet de Sotchi entre les présidents Vladimir Poutine et Serge Sargissian : par conséquent, M. Hoagland et le Département d’État se sont crus obligé d’affirmer que les États-Unis avaient également leur mot à dire et qu’ils avaient une présence dans le Caucase.
L’autre raison de cette proposition hâtive et déséquilibrée était l’intention de récompenser l’Azerbaïdjan pour tous les services rendus aux États-Unis et à ses alliés, malgré toutes les critiques concernant la nature brutale du gouvernement Aliev.
Le conflit est bloqué parce que deux principes mutuellement incompatibles sont utilisés pour tenter de le résoudre : l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan contre le droit à l’autodétermination de la population du Karabagh.
Pour calmer toute critique à priori, M. Hoagland a réitéré l’argument de routine enseigné à tous les diplomates des États-Unis selon lesquels la question du Haut-Karabagh est différente des conflits d’Ossétie du Sud, d’Abkhazie et de Transnistrie. À la suite d’un nouvel questionnement, cela se résume au fait qu’ils sont tous basés sur les mêmes principes de droit international. Mais la plupart d’entre eux ont été résolus par le pouvoir des armes ou de la diplomatie. Ainsi, le président Clinton a bombardé l’ex-Yougoslavie pour créer le Kosovo, une pseudo-république musulmane au cœur de l’Europe, après la campagne de nettoyage ethnique de la majorité serbe contre la minorité musulmane du pays.
Et en 2008, les chars russes ont violé le territoire géorgien pour « libérer » l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Le même processus a été appliqué lorsque les forces arméniennes ont renversé l’armée azerbaïdjanaise pour libérer un territoire historique arménien. Les principes juridiques de base dans tous les cas étant les mêmes, la seule différence est que les armes russes, l’OTAN et la diplomatie qui accompagne ces forces sont plus puissantes que les armes arméniennes et son influence diplomatique. Malgré ces faits avérés, les grandes puissances continueront d’insister cyniquement que tous les autres cas n’ont rien à voir le conflit du Karabagh.

Un double standard est appliqué également à la manière dont le Karabagh a obtenu son indépendance de l’Union soviétique ; Il l’a fait de la même manière que l’Azerbaïdjan, qui reposait sur les principes de la constitution soviétique existant à l’époque.
L’autre aspect qui va à l’encontre de la revendication d’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan est que le Karabagh n’a jamais fait partie du territoire de l’Azerbaïdjan ; il a toujours bénéficié du statut de zone ou de région autonome.
Alors que le cas de Karabagh est un sujet de discussion, le sort du Nakhitchevan a été commodément oublié. Cette région avait également un statut juridique durant l’ère soviétique. C’était une république autonome sous administration de Bakou, bien que hors de ses frontières, donc une enclave. Il y vivait une population ethniquement diverse, à majorité arménienne. Ce statut était garanti par la Russie et la Turquie en vertu des Traités de Moscou et de Kars.
Comme membre du Politbureau soviétique, le dirigeant azerbaïdjanais Heydar Aliev, né au Nakhitchevan, a pu expulser les Arméniens sous le nez de la direction et ainsi modifier le profil ethnique de la région.
Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan a absorbé tranquillement le Nakhitchevan comme son territoire, avec l’accord tacite de Moscou. Sur la base de stipulations historiques et conventionnelles, c’est le gouvernement de Bakou qui a usurpé un territoire qui ne lui appartenait pas légitimement.
Malheureusement, les puissances interprètent les traités et les faits historiques par opportunité politique, et l’usurpé devient la victime.
Seule l’Arménie soutient que l’indépendance du Karabagh n’atteint pas l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Même les nations amies, comme la Russie, reconnaissent stratégiquement le Karabagh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan.
M. Hoagland a décrit la solution comme suit :
« À la lumière de l’histoire complexe du Haut-Karabagh, les parties devraient s’engager à déterminer leur statut juridique final grâce à une expression de volonté mutuelle et juridiquement contraignante pour l’avenir. Le statut provisoire sera temporaire.
• La zone située dans les limites de l’ancienne région autonome du Haut-Karabagh qui n’est pas contrôlée par Bakou devrait bénéficier d’un statut intérimaire qui, au minimum, garantit la sécurité et l’autonomie gouvernementale.
• Les territoires occupés autour du Haut-Karabagh devraient être remis au contrôle azerbaïdjanais. Il ne peut y avoir de règlement sans respect pour la souveraineté de l’Azerbaïdjan et la reconnaissance de sa souveraineté sur ces territoires doit être restaurée.
• Il devrait y avoir un corridor reliant l’Arménie au Haut-Karabagh. Il doit être assez large pour assurer un passage sécurisé, mais il ne peut englober l’ensemble du district de Latchin.
• Un règlement durable devra reconnaître le droit de tous les déplacés et réfugiés à retourner dans leurs anciens lieux de résidence.
• Un règlement doit inclure des garanties de sécurité internationales qui comprendraient une opération de maintien de la paix. Aucun scénario de paix ne peut être assuré sans une opération de maintien de la paix bien conçue qui bénéficie de la confiance de toutes les parties.

Le moment est venu pour les parties de s’engager dans des négociations de paix, en s’appuyant sur le fondement des travaux réalisés jusqu’ici. »
La déclaration de M. Hoagland annonce les deux étapes suivantes. Le premier est la rencontre des deux ministres des Affaires étrangères, Edouard Nalbandian et Elmar Mammadyarov, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York. Et à titre de suivi, une rencontre entre les deux présidents. Si les réunions passées et les négociations sont un indice, aucune résolution ne peut être en vue. Cela permettra à l’Azerbaïdjan de poursuivre sa rhétorique de guerre et ses escarmouches frontalières, dans l’espoir de faire disparaître l’Arménie pour faire des concessions ou succomber à la dévastation complète.

Toutes les parties affirment qu’il n’y a aucune solution militaire alors que l’Azerbaïdjan poursuit son amoncellement d’armes. Dernièrement, un scénario plus étonnant a été lancé dans l’éventualité de la guerre. En effet, l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Azerbaïdjan, Tofiq Zulfugarov, dans un communiqué au quotidien Yeni Musavat, a soulevé la possibilité de frapper Erévan à partir du Nakhitchevan. Il a noté : « Nous devons clairement comprendre qu’il était impossible de bénéficier du facteur Nakhitchevan au cours de la première guerre [du Karabagh], car sa défense était très faible. Depuis le début de la seconde phase, il est très important pour l’Azerbaïdjan de renforcer ses capacités de défense. Tout le monde se rend compte que si la guerre commence, ce sera entre deux états. Si les opérations militaires sont dans la région du Karabagh à titre provisoire, elles ne seront plus dans cette région, et ce ne sera pas possible de la décrire comme une agression contre l’Arménie, car la situation est différente [avec en vue le Traité russo-arménien]. »
Dans la mesure où M. Hoagland avait l’intention d’affirmer que les États-Unis ont leur mot à dire dans la région, le message sous-jacent était également de récompenser l’Azerbaïdjan pour ses services. L’Azerbaïdjan a acheté des milliards de dollars en matériel militaire en provenance d’Israël, un coup de fouet économique pour ce dernier. Comme cela a été révélé récemment, la famille Aliev a ajouté 600 millions de dollars d’investissements en Israël. Au-delà de ces investissements, la coopération politique et militaire entre les deux pays a été significative. Israël et les États-Unis utilisent le territoire de l’Azerbaïdjan pour espionner l’Iran et, en cas de conflit militaire, le territoire azéri deviendra un point de départ contre l’Iran. Les révélations d’un journaliste bulgare dans le quotidien Trud démontrent l’étendue des services d’Azerbaïdjan aux États-Unis et en Israël. La journaliste d’enquête Dilyana Gaytandzhieva a divulgué que la compagnie aérienne d’état azerbaïdjanaise, Silk Way, transporte des armes de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de la Turquie vers la Syrie, sous couverture diplomatique et la direction de la CIA. Par conséquent, nous ne devrions pas être surpris que le paragraphe 90 de la Loi sur le soutien de la liberté, en refusant les armes en Azerbaïdjan, soit systématiquement contourné par les décrets présidentiels des États-Unis, ce qui rend cette loi légitime.
Avant de partir, M. Hoagland avait l’intention de récompenser l’Azerbaïdjan, au détriment des vies arméniennes. Edmond Y. Azadian 

Traduction N.P.