Erdogan : un mal politique nécessaire

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 14 septembre 2017

La chute en grâce du président turc Recep Tayyip Erdogan sera peut-être aussi spectaculaire que son ascension, comme l’a prouvé le coup d’État de l’an dernier. Mais pour l’instant, il se fraye un chemin, tant que durera son administration.
Il comprend bien les forces qui relancent et alimentent la nouvelle Guerre froide et il peut les exploiter afin de promouvoir ses ambitions personnelles et celles de son pays.
Il semble ignorer que les politiques qu’il poursuit à l’échelle nationale vont à l’encontre de ses ambitions mondiales ; en éliminant les universitaires, les écrivains, les juges, les politiciens, les journalistes et toutes les classes intellectuelles, un groupe qui aurait pu créer un terrain d’entente avec l’Europe et le monde civilisé, et en jouant sur ses tendances ottomanes, il favorise le retrait de son pays du royaume de la communauté internationale.
L’amitié d’Erdogan envers le président russe Vladimir Poutine après l’attaque contre l’avion de guerre russe est aussi sincère que les relations qu’il essaie de cultiver avec le président américain Donald Trump.
L’agence Reuters rapporte d’Ankara que « le président américain Donald Trump et le président turc Tayyip Erdogan ont parlé et ont accepté de continuer de travailler à renforcer leurs liens ainsi que la sécurité régionale. C’est ce qu’a déclaré le bureau d’Erdogan, après avoir attaqué les autorités américaines pour avoir inculpé un de ses ex-ministres. »

Après avoir lancé des accusations acrimonieuses contre les États-Unis sur un certain nombre de questions politiques, il semble que les dirigeants turcs se sont rendus compte jusqu’à quel point ils se sont éloignés d’un allié stratégique et patron politique.
Les relations entre les États-Unis et la Turquie sont tendues depuis le soutien accordé par Washington aux combattants kurdes YPG de Syrie. La Turquie les considère comme des terroristes, tandis que les États-Unis les ont vus comme la force de combat la plus fiable sur le champ de bataille contre l’EI. Malgré les plaintes persistantes, même certaines provocations hostiles d’Ankara en Syrie, l’administration américaine n’a pas tenu compte des plaintes de la Turquie, pariant sur son cheval gagnant sur le champ de bataille. Washington a également réalisé que la Turquie avait dans le jeu des intérêts étroits et égoïstes plutôt que de se battre pour une cause commune avec les États-Unis et ses alliés. Ironiquement, les États-Unis se sont rapprochés de leur ennemi juré, la Russie, plutôt qu’avec la Turquie, en signant la politique de survie de Bachar El-Assad au lieu de céder à la demande turque.
En ce qui concerne les questions kurdes, Washington et Ankara sont en désaccord ; Ankara et Téhéran se sont associés pour s’opposer au référendum kurde prévu pour le 25 septembre en Irak, car ils considèrent qu’il s’agit d’un mouvement déstabilisant dans la région, alors que Washington a donné le feu vert, autant que nous pouvons le dire par négligence et l’assurance de la direction kurde.
Les relations de la Turquie avec l’Europe et surtout avec l’Allemagne sont à un point de rupture, à tel point que les voix politiques ont été fortes contre la Turquie, membre de l’OTAN. Pour compenser, le gouvernement d’Erdogan émerge comme candidat à l’Union économique eurasienne (UEE) dirigée par Moscou, défavorisant ainsi l’Arménie, qui en est membre. Pour ajouter l’insulte à la blessure, Erdogan a relancé le gazoduc Turkish Stream, pour étendre les livraisons de gaz russes aux Balkans et, par extension, contre l’Europe, dans des tentatives flagrantes de Washington de réduire l’énergie russe livrée à l’Europe.

Pour M. Erdogan, la lutte contre les enquêtes domestiques sur sa corruption scandaleuse et celle de sa famille est très simple ; il suffit de remplacer les juges et de nommer des amis dans ses tribunaux et l’affaire est rejetée. Mais il est très frustré parce qu’il ne peut étendre ce pouvoir dictatorial au système judiciaire américain. Les documents présentés par Ankara n’ont pas convaincu le système judiciaire américain d’extrader l’imam turc Fethullah Gülen, accusé d’être le chef de file de la tentative de coup d’État de l’an dernier en Turquie.
Et d’autres enchevêtrements juridiques s’amoncellent ; un grand jury a accusé 19 personnes, dont 15 responsables de la sécurité, les gardes du corps d’Erdogan, d’attaques violentes contre des manifestants pacifiques à Washington lors de la visite du président turc. Erdogan a exprimé sa colère contre les actes d’accusation et a fait des remarques caustiques envers les juges des États-Unis. En guise d’avertissement contre la prochaine visite d’Erdogan à New York, le président de la Chambre des représentants pour les Affaires étrangères, Ed Royce (R-Calif.) et Eliot Engel (D-NY) ont envoyé une lettre au secrétaire d’État Rex Tillerson pour ne pas autoriser de nouvelles violences lorsqu’Erdogan arrivera à New York en septembre.
En attendant, des voix politiques et militaires des États-Unis demandent l’élimination des armes nucléaires du sol turc en réaction au comportement erratique du chef de l’État et à son incapacité à les protéger.

Comme si tous ces problèmes n’étaient pas suffisants pour créer des frictions entre les deux pays, les développements juridiques se sont encore détériorés. L’ancien ministre de l’Économie de Turquie, Zafer Caglayan, et l’ancien chef de la Banque turque ont été inculpés aux États-Unis pour avoir conspiré afin de violer les sanctions américaines contre l’Iran. Un porte-parole du gouvernement turc, Bekir Bozdag, s’est plaint de l’acte d’accusation, affirmant que « Monsieur Caglayan a protégé les intérêts de la Turquie en tant que ministre turc de l’économie, et a agi conformément aux lois de notre pays et aux lois internationales. »
Erdogan a lui-même admis cette déclaration officielle en disant que la Turquie n’avait jamais accepté de se conformer à ces sanctions à l’encontre de l’Iran. On se demande quel type de relation et d’alliance sont en place pour que les parties puissent choisir des lois pour se conformer ou se faire respecter ?
L’appel téléphonique a ouvert les bases d’une prochaine réunion entre les présidents Trump et Erdogan afin de revenir sur les problèmes brûlants qui séparent les deux pays. Cette réunion peut aussi servir de possibilité pour M. Erdogan d’enseigner au président américain la façon de gérer un système judiciaire. Les commentaires de M. Erdogan sur le système judiciaire américain sont hilarants. Sa déclaration pourrait être utilisée comme une légende de dessin animé : « Vous pouvez être une grande nation, mais être une nation juste est autre chose. Être une nation juste exige que le système judiciaire fonctionne de manière équitable. »
Après la réunion Trump-Erdogan, les citoyens des États-Unis découvriront l’efficacité de l’instruction judiciaire de M. Erdogan envers son homologue américain.

 

Traduction N.P.