Les évènements au Moyen-Orient se déroulent à un rythme vertigineux et le président de Turquie Recep Tayyip Erdogan est tel un jongleur médiéval qui a plusieurs tours dans ses manches, à l’étonnement de son public. Tous les observateurs se demandent quand il ratera un tour, mais en attendant, il est le maître magicien, toujours au centre, occupé à faire des trucs.
Les experts ont toujours pensé qu’Erdogan serait à court d’astuces et tomberait à plat ventre. Mais sa chute anticipée est en retard parce que la politique du Moyen-Orient alimente son jeu avec de nouveaux développements chaque jour.
Sur le plan intérieur, il s’est engagé dans une vaste opération de purge et de chasse aux sorcières, éliminant les suspects de l’armée et de la police, emprisonnant les universitaires et les journalistes à un rythme effréné, les accusant d’être des espions à la solde de Fetullah Gülen, exilé aux États-Unis. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la situation et quittent donc leur patrie. Les alliés et les ennemis de l’Occident pensent que la Turquie sera brusquement broyée par la perte de son capital intellectuel. Mais Erdogan n’est pas inquiet ; il sait qu’il n’a pas besoin de l’université, d’une magistrature indépendante ou d’une presse, parce qu’ils posent des questions auxquelles le Sultan n’a aucune envie de répondre. Il dépend uniquement des 51% de la population qui ont soutenu son référendum et qui sont prêts à lever les drapeaux et à suivre les instructions des mollahs qui lui sont fidèles. Ils sont la base du pouvoir d’Erdogan alors qu’il persécute l’élite intellectuelle et abat les Kurdes.
Erdogan présume que s’il a le soutien de cette base fanatique, il peut faire face aux menaces étrangères et aux défis internationaux et nationaux. Ainsi, la semaine dernière, la Turquie a arrêté Metin Topuz, un travailleur du consulat américain, accusé d’avoir des liens avec l’organisation de Fetullah Gülen. Un pasteur américain, Andrew Brunson, est incarcéré depuis plus d’un an dans une prison turque à la suite des arrestations massives qui ont eu lieu après la tentative ratée de coup d’État de juillet 2016. Il a été arrêté sur de fausses accusations et demeure un otage à échanger contre Gülen, si et quand les autorités américaines l’extraderont. En guise de représailles, les États-Unis ont suspendu leurs services de visas respectifs à destination de l’autre pays. La Turquie a immédiatement fait de même. Et la tension continue de monter.
Ces arrestations sont imprudentes sur le plan politique, car elles tournent en ridicule un allié de longue date, elles sont pourtant délibérées, parce que la Turquie veut se moquer des États-Unis. En outre, la Turquie, pivot de l’OTAN, a conclu un accord pour la fourniture de matériel militaire avec la Russie, donnant des voix à ceux qui désirent abandonner la base d’Incirlik en Turquie. La flotte allemande a fait précisément cela, s’installant en Jordanie, en raison des restrictions d’accès imposées à Incirlik.
Erdogan ne manque aucune occasion de lancer des remarques caustiques à l’encontre de l’administration américaine qui fournit un soutien militaire au Kurdistan irakien et aux Kurdes combattant en Syrie désireux d’établir leur autonomie à la frontière turque.
Le gouvernement turc s’est associé à l’Iran et à l’Irak afin de lutter contre le référendum kurde sur l’indépendance, au moment même où le président Trump envisage de mettre fin à l’accord nucléaire iranien, ce qui entraînera de nouvelles sanctions contre Téhéran.
Erdogan est également dans le foyer politique mondial; alors que Washington et Moscou se renvoient la balle quant aux sanctions diplomatiques, la Turquie fait un pied de nez aux alliés de l’OTAN en achetant des systèmes de défense de la Russie, mais elle se joint également à la Russie et à l’Iran pour entrer en guerre en Syrie. La réunion d’Astana entre les trois partis était une tentative de chasser Washington du jeu syrien.
Lorsque le Kurdistan irakien a tenu son référendum le 25 septembre dernier, Israël était le seul pays à soutenir ouvertement le mouvement. Les relations gelées entre la Turquie et Israël commençaient tout juste à se dégeler, lorsque Erdogan a menacé de les recongeler en réponse à la position d’Israël. Cependant, Israël a émis une réprimande sévère suggérant que le pays n’a pas l’habitude de formuler sa politique étrangère sous la contrainte d’un tiers.
Au même moment, la Turquie, la Russie et l’Iran mettaient en œuvre l’accord d’Astana, qui appelle à créer des zones sûres pour la population civile.
Comme toujours, la Turquie poursuit ses propres intérêts, sous le couvert de la mise en œuvre de l’accord. Il a déplacé ses forces près d’Idlib, pour empêcher avant tout un mouvement des Kurdes. « Quand nous ne nous rendons pas en Syrie, la Syrie vient vers nous », a déclaré le président Erdogan. « Nous n’accepterons jamais un corridor terroriste qui commence à Afrin et va jusqu’en Méditerranée, a poursuivi M. Erdogan, en référence au tronçon de la frontière sud de la Turquie, contrôlé du côté syrien par les combattants kurdes et Tahrir al-Sham.
Reuters a fait remarquer que la Turquie est l’un des plus grands soutiens des rebelles qui ont combattu le président syrien Bachar al-Assad au cours de la guerre de six ans et demi, mais son objectif est de l’évincer à sa propre frontière contre les djihadistes et les groupes Kurdes.
La Turquie mène une guerre à trois volets contre les Kurdes; massacrant les militants du PKK à l’intérieur de ses frontières, s’opposant à la formation d’une enclave kurde en Syrie et s’associant à Bagdad et à Téhéran pour miner le mouvement d’indépendance du Kurdistan irakien.
Erdogan a des ambitions globales, qui ne peuvent fonctionner que par des relations durables et permanentes avec d’autres nations, alors qu’il a recours à des accords éphémères en conservant des cibles mobiles à l’horizon.
Il faudra du temps pour que ses tours échouent et sa chute sera aussi spectaculaire que son ascension. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.