Ce n’est pas la première fois qu’une agitation diplomatique est déclenchée autour du Karabagh. Les rencontres au sommet entre les présidents Serge Sargissian et Ilham Aliev sont trop nombreuses pour être suivies. Chaque fois que des réunions se tiennent au niveau ministériel ou présidentiel, des documents sont rédigés puis suspendus pour une durée indéterminée. Ces réunions sont presque devenues une routine et personne ne s’attend à une percée.
Comme beaucoup d’autres conflits « gelés », le Karabagh est devenu l’otage de l’intérêt des grandes puissances. Les réunions et les discussions s’intensifient chaque fois qu’une ou deux puissances ayant un intérêt dans le conflit perçoivent une pertinence dans sa résolution. Ensuite, des problèmes plus importants prennent le relais et le Karabagh est à nouveau relégué au second plan.
Il semble que cette fois-ci, deux facteurs déclenchent l’intérêt des parties à revoir la question. La volonté de la Turquie de se joindre à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), que seul Moscou peut assurer, et la volonté de Moscou d’attirer l’Azerbaïdjan dans l’Union économique eurasienne (UEE) et la Communauté des États indépendants (CEI), que seul Ankara peut procurer.
Toutes ces attentes et anticipations forment le fond de relance des activités diplomatiques.
Les présidents Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan se sont récemment rencontrés à Sotchi et ont conclu de nombreux accords économiques et politiques. Il n’y a pas si longtemps, ils se prenaient à la gorge. À la veille de cette réunion, M. Poutine a annoncé que les relations entre la Russie et la Turquie étaient pleinement rétablies.
La Turquie était au bord de l’effondrement économique lorsque la Russie a bloqué presque toutes les activités commerciales entre les deux pays après que l’armée de l’air turque ait abattu un avion militaire russe en 2015. La Turquie a reculé, cherchant désespérément une issue honorable.
Washington et Bruxelles ont, d’autre part, resserré le nœud coulant autour de la Russie à travers des sanctions économiques et des constructions militaires en périphérie de la Russie.
Ainsi, l’orientation politique d’Erdogan vers Moscou lui a offert un répit bien nécessaire dans son isolement, tout en affligeant un œil au beurre noir à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), par le divorce virtuel d’Ankara.
Le champ de bataille syrien est devenu le théâtre de la convergence des intérêts des deux pays, l’union Russie-Turquie-Iran ayant mené la guerre syrienne à sa conclusion, reléguant les États-Unis à un rôle marginal.
L’appétit d’Erdogan a été aiguisé pour d’autres offres possibles suivant ce même canal.
Le Karabagh est, par conséquent, l’une des questions gelées envers lesquelles les deux pays ont un intérêt et sa résolution pourrait rapporter des dividendes aux deux parties.
Erdogan a révélé, à la suite de la réunion de Sotchi, que des pourparlers avaient porté sur la partie arménienne cédant cinq des sept régions sous contrôle des forces du Karabagh.
C’est un thème récurrent pour la partie turque, depuis l’époque des protocoles en Suisse, quand Ahmet Davutolgu, alors ministre des Affaires étrangères de Turquie, demandait à la partie arménienne de céder au moins une région, geste de bonne volonté sans contre-offre.
Ces régions stratégiques servent de garantie de sécurité dans la zone de guerre et d’arme diplomatique à la table des négociations.
À la suite de la rencontre des présidents russe et turc, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est rendu à Bakou et à Erévan, où il n’a fait aucune annonce alarmante.
Il a certainement déçu les attentes d’Erdogan lorsqu’il a déclaré que le format du groupe de Minsk était très bon et que toute expansion pourrait s’avérer être un « gâchis ». D’un autre côté, il a indiqué que Moscou serait heureux de voir l’Azerbaïdjan adhérer à l’UEE et la CEI. « L’UEE est une alliance d’intégration ouverte, » a déclaré M. Lavrov, ajoutant : « Nous ne forçons personne à se joindre à nous… Nous accueillons toujours favorablement l’adhésion de nouveaux membres. »
Le chef de la diplomatie russe a fait des déclarations presque identiques dans les deux capitales d’Erévan et de Bakou : « Personne n’est satisfait du conflit et une solution devrait être recherchée, d’autant plus que de nombreux domaines sont censés donner des résultats, » a-t-il souligné.
Cette diplomatie impartiale ne permet pourtant aucunement de se réjouir. Le seul soulagement est venu d’un autre avertissement contre l’attitude belliqueuse de l’Azerbaïdjan. Le président de la commission des affaires étrangères du Sénat russe, Konstantin Kosachev, a rappelé à Aliev l’aventure de la Géorgie en 2008, laissant entendre que toute reprise des hostilités ne pourrait que contribuer à officialiser la scission du Karabagh de l’Azerbaïdjan. En effet, en 2008, l’ancien président géorgien Mikhaïl Saakachvili a soutenu sa rhétorique hostile par des balles, offrant à Moscou une occasion bien nécessaire de déplacer ses chars en territoire géorgien pour « sauver » l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, qui sont aujourd’hui devenues des républiques non reconnues du Caucase.
Le conflit du Karabagh est un problème insoluble pour deux raisons primordiales. L’une est le refus des principales parties de le résoudre, d’utiliser la question en leur faveur au moment opportun, et la seconde est que les prémisses de la question sont inexactes lorsqu’ils tentent de concilier les principes d’autodétermination et d’intégrité territoriale. Une fois que la communauté diplomatique aura reconnu que le Karabagh n’a jamais fait partie du territoire de l’Azerbaïdjan, la conciliation des deux principes sera résolue.
Le fait qu’aucune résolution n’ait encore été réalisée se reflète parfois sur les diplomates eux-mêmes. Certaines personnes pensent que l’Arménie possède la solution miracle au problème et accusent le ministre des Affaires étrangères Edouard Nalbandian, un diplomate accompli, d’être en compétition avec ses homologues.
Récemment, lors d’une conférence de presse conjointe à Erévan avec son homologue brésilien, Nalbandian a commenté la déclaration des 28 ambassadeurs de l’Union européenne à Bruxelles, le 24 novembre. La déclaration du ministre des Affaires étrangères de l’Arménie a adroitement indiqué que le problème de Bakou n’était pas avec l’Arménie mais plutôt l’UE, contre laquelle se bat l’Azerbaïdjan.
En dépit d’un mouvement diplomatique intense, personne dans le Caucase n’imagine une percée prochaine.
La Turquie et l’Azerbaïdjan sont devenus des États parias. Si les parties concernées peuvent les reconnaître comme telles, peut-être, pouvons-nous espérer une paix à l’horizon. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.