On aurait pu croire que la crise du Patriarcat arménien d’Istanbul était proche d’une résolution. Mais de nouveaux développements ont plongé la communauté dans une situation plus que difficile. Rien ne donne plus de confort aux autorités turques que de voir la communauté arménienne occupée par des problèmes internes jusqu’à épuisement. Les autorités ont manipulé le processus électoral afin de créer une tempête presque parfaite.
Alors que la crise entre dans sa dixième année, le siège du Patriarcat s’est transformé en un jeu de chaises musicales, avec deux candidats potentiels tandis que la presse arménienne locale danse également. Actuellement, les premières étapes de la controverse sont derrière nous, alors que des propositions différentes et contradictoires ont été présentées au gouvernement, l’une demandant l’élection d’un nouveau patriarche, et l’autre l’élection d’un patriarche coadjuteur, pour contrer le titulaire non reconnu du siège, l’archevêque Mesrob Mutafian.
Un nouveau cycle de crise a été déclenché par l’archevêque Aram Ateshian, qui continue de s’accrocher au titre de Vicaire général, contrairement à son engagement d’abandonner sa fonction dès l’élection d’un remplaçant.
Il était candidat à ce dernier poste, s’opposant à l’archevêque Karekin Bekjian. Lorsque la Conférence du Clergé a massivement voté pour élire le dernier candidat, Ateshian a sorti une lettre de sa poche, signée par le vice-gouverneur d’Istanbul, qui disait que le processus électoral n’avait pas été autorisé par le gouvernement, et qu’ainsi les résultats électoraux étaient nuls et non avenus.
Ateshian avait collaboré avec les autorités pour freiner théâtralement le processus.
À la suite d’une accalmie, lorsque l’archevêque Bekjian a commencé à agir comme locum tenens, l’archevêque Ateshian a déclenché une nouvelle crise. Il s’est rendu en Arménie et a donné une conférence de presse à Erévan, le 21 décembre, lançant un ultimatum à l’archevêque Bekjian pour qu’il démissionne. Il a également déclaré avec confiance que les autorités turques continuaient à le reconnaître unique vicaire général légitime représentant le Patriarcat arménien.
Répondant aux questions des journalistes, il a fait d’autres remarques incendiaires, notamment :
• qu’il n’était pas seul lorsque la lettre controversée au président Erdogan avait été rédigée, condamnant la résolution du Bundestag allemand de reconnaitre le génocide arménien ;
• Beaucoup dans la communauté arménienne ont suggéré avec colère qu’il était le frère d’Erdogan. Il a dit qu’il était fier de cette annonce ;
• Seule une poignée de personnes s’oppose à lui dans la communauté turco-arménienne ;
• La démission de l’archevêque Bekjian ouvrira la voie à l’élection d’un nouveau patriarche ;
• Garo Paylan, membre du Parlement turc, est un embarras pour la communauté arménienne, qui déplore ses actions.
Alors que la plupart des journaux se donnent beaucoup de mal pour ne pas aliéner l’un ou l’autre des candidats, craignant qu’ils finissent par vivre avec l’autre, la section arménienne de l’hebdomadaire Agos a pris la position radicale d’affronter l’archevêque Ateshian. Le rédacteur en chef d’Agos, Pakrad Eudokian, qui ne mâche pas ses mots, a répliqué aux déclarations d’Ateshian dans une entrevue : « Si Ateshian revendique la popularité de la communauté arménienne, il parle d’une vingtaine de personnes. La communauté est très enthousiaste au sujet des activités de Garo Paylan. Ateshian ne peut justifier sa position. Il est une non-entité dans la communauté. Il est désespéré et veut préserver son titre. Cela ne change rien aux capacités que lui reconnaissent les autorités. Nous ne cherchons pas un employé du gouvernement pour servir le Patriarcat. Nous cherchons un chef spirituel. Quant à Ateshian, il est libre d’offrir ses services au gouvernement. »
À un niveau différent, la question de l’élection du Patriarche est devenue un sujet de relation internationale. Lorsque le président Erdogan a perdu face aux pays occidentaux, il a lancé un concours de popularité en se rendant dans des pays moins puissants comme le Soudan ou le Tchad. Prenant une décision politique incompréhensible, le gouvernement grec en faillite l’a également invité à Athènes afin que le dirigeant turc insulte les Grecs à n’en plus finir. Incidemment, il a demandé la révision du Traité de Lausanne de 1923, qui avait sauvé la Turquie du nœud coulant, mais aujourd’hui cette révision signifirait la cession des îles du littoral turc, qui appartiennent à la Grèce.
Parmi les insultes lancées par Erdogan à la tête des dirigeants grecs, il y a l’intolérance religieuse de ne pas permettre à la communauté turque de Grèce d’élire son mufti. Garo Paylan a profité de l’occasion pour interroger Erdogan publiquement sur les raisons pour lesquelles il n’a pas permis à la communauté arménienne d’élire son patriarche au cours des dix dernières années, tout en accusant les Grecs d’agir de la même manière.
Revenant au débat public à Istanbul, les réprimandes indiquent un relâchement du Patriarcat face aux déclarations de l’archevêque Ateshian.
L’archevêque Bekjian a publiquement écarté chaque déclaration d’Ateshian, lors de sa conférence de presse. Répondant à une question de news.am, l’archevêque Bekjian a qualifié les déclarations d’Ateshian de « fictions manufacturées ». Nulle part le gouvernement n’a déclaré qu’il ne reconnaissait pas la position du locum tenens. « Nous avons demandé au gouvernement de fixer une date pour les élections. Nous n’avons pas encore reçu de réponse qui pourrait arriver demain ou en février. »
Les deux parties semblent déterminées. Si Ateshian n’avait pas le soutien du gouvernement, il n’oserait pas suggérer un combat. D’autre part, l’archevêque Bekjian semble confiant sur le fait que son élection par le conclave ne nécessite pas l’approbation du gouvernement. Il compte aussi sur sa popularité dans la communauté. Il vient de décider de démissionner de son poste de Primat d’Allemagne.
La communauté est dans le désespoir. Dix années de confusion et de luttes nerveuses ont embrouillé et épuisé tout le monde. De toute apparence, le gouvernement Erdogan voudrait imposer un membre malléable sur le trône patriarcal, contrairement à la volonté de la communauté. Comme Erdogan consolide ses pouvoirs dictatoriaux dans le pays, personne n’est d’humeur à le défier, sauf quelques adversaires téméraires.
Il serait également intéressant d’examiner les clauses du Traité de Lausanne pour savoir si le gouvernement turc est autorisé à faire de la micro-gestion des affaires religieuses des minorités.
Pendant ce temps, les offres et les contre-offres sont publiques, alors que les deux chefs religieux poursuivent leur jeu de chaises musicales, au grand dam de la communauté, et alors que la diaspora arménienne suit les débouchés avec une profonde appréhension.
Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.