L’ex-président du Comité des relations culturelles avec les Arméniens de l’étranger, l’historien, Vartkes Hamazaspian, a déclaré de son propre chef : « Regardez l’ironie du destin, les survivants d’un empire autrefois si puissant comme l’Assyrie recherchent les ailes protectrices de la minuscule Arménie pour préserver leur identité en Union soviétique. »
L’Arménie, aussi petite soit-elle, sert de refuge à d’autres minorités échappant à la persécution et au génocide. Un groupe minoritaire du genre est celui des Kurdes qui ont été persécutés – et continuent de l’être – dans l’ensemble du Moyen-Orient. Le seul pays qui leur ait offert refuge a été l’Arménie, où ils jouissaient de droits égaux individuel et comme minorité ethnique pouvant pratiquer leur propre langue, religion et coutumes, avec leurs émissions de radio et leurs journaux en langue kurde.
Un groupe minoritaire moins compris sont les Yézidis, avec leur langage syncrétique et leur marque de religion. Ils sont définis comme un groupe ethno-religieux kurde (dialecte kurmanji) pratiquant une tradition assyrienne préislamique mélangeant le soufisme et l’islam chiite, le christianisme nestorien et le zoroastrisme. C’est exactement ce que signifie être syncrétique, c’est-à-dire combiner des concepts divers et parfois contradictoires en une seule foi. Leur religion croit en sept anges déchus dirigés par le Paon Angel Malek Taus. Ce dernier symbole a été mal interprété par d’autres groupes qui les considèrent comme des adorateurs du diable. Ces distinctions sont des caractéristiques suffisantes pour les définir comme les « autres » et les persécuter.
Les Turcs ottomans ont persécuté et tué les Yézidis durant la Première Guerre mondiale et beaucoup d’entre eux ont fui vers l’Arménie, et se sont installés dans la région d’Aknalich, à 35 km d’Erévan. Quelque 50 000 Yézidis sont actuellement en Arménie, où ils attendent la fin de la construction du Quba Mere Diwane, un temple qui deviendra la plus grande structure religieuse yézidie dans le monde. Ils sont représentés au Parlement arménien par Rustam Makhmoudian.
La majorité des 1,5 million de Yézidis dans le monde vivaient dans le nord de l’Irak, où ils ont également été persécutés par le gouvernement de Saddam Hussein et ont récemment subi un génocide dans leur pays.
Quelque 300 000 Yézidis vivent au Kurdistan irakien, où ils jouissent d’une sécurité relative, tandis que la majorité résidait dans la région montagneuse de Sinjar, occupée par l’État islamique, qui a mené un génocide contre eux.
À mesure que les détails des atrocités apparaissent, on a considéré cela comme une répétition du génocide arménien.
Un siècle plus tard, les mêmes actions exactes ont été répétées. « Près de 10 000 Yézidis ont été tués ou emprisonnés par l’État islamique, bien que l’ampleur réelle de l’horreur demeure inconnue, » rapporte le périodique The Indépendant. Alors que les hommes adultes étaient les plus susceptibles d’être exécutés par les milices, presque toutes les victimes tuées après avoir gravi le mont Sinjar étaient, selon une étude, des enfants de moins de 15 ans.
La Dre Valeria Cetorelli, agente de recherche et boursière postdoctoral de l’École de santé publique Johns Hopkins Bloomberg, a déclaré que les évadés avaient documenté la torture, l’esclavage sexuel, la conversion religieuse forcée et le recrutement comme enfants soldats.
« Nous avons entendu plusieurs récits de filles offertes ou vendues à des combattants de l’État islamique en tant qu’esclaves sexuelles et des garçons forcés dans des camps d’entraînement, » a-t-elle ajouté. « Plus d’un tiers des personnes enlevées sont toujours portées disparues et il n’a pas été possible de déterminer si elles sont encore ou non en vie, c’est certainement un génocide en cours car des milliers de personnes sont toujours en captivité. »
Cette comptabilité ressemble aux mémoires des survivants du génocide arménien.
Les Nations Unies ont officiellement reconnu la campagne génocidaire de l’EI contre la population yézidie en juin 2016. L’organisme a également déclaré dans un communiqué que « le crime ne peut demeurer impuni, » plaidant pour que le Conseil de sécurité saisisse la Cour pénale internationale.
Tous les crimes et actes décrits dans la Convention sur la répression du crime de génocide telle que définie par la résolution 260 de l’Assemblée générale adoptée en 1948 ont été perpétrés par l’État islamique.
Il existe une répulsion mondiale contre les crimes perpétrés par l’EI. L’ONU et la Cour internationale sont en quête de justice. Mais où sont les criminels ? Quel parti sera tenu responsable de ces crimes odieux ? Maintenant que l’EI a été effectivement éliminé à Raqqa, c’est une solution de facilité pour ne pas punir les criminels et ne pas prendre d’autres mesures.
Le génocide rwandais dans les années 1990 était un enfant du génocide arménien et de l’Holocauste juif et le précurseur du génocide yézidi. L’opportunisme politique interdit toute intervention lors d’évènements qui se sont déroulés devant les yeux de la communauté internationale. Le chef de la force de maintien de la paix des Nations Unies de l’époque a mis en garde contre un génocide imminent, mais il a été réduit au silence. Ainsi, 800 000 Tutsis ont perdu la vie dans les massacres qui ont suivi au Rwanda, engendrés par le groupe ethnique hutu. Plus tard, après sa démission, le président Bill Clinton s’est rendu dans la capitale rwandaise, Kigali, pour s’excuser de l’inaction américaine, une excuse bien tardive pour les 800 000 victimes.
Dans l’affaire yézidie, l’excuse peut être que les dirigeants de l’État islamique ont été tués et ne peuvent donc pas être traduits en justice. Mais qu’en est-il des pays qui ont soutenu, armé, formé et aidé logistiquement le groupe dans l’exécution de leurs vils efforts ? La Turquie, le Qatar, l’Arabie Saoudite et plusieurs autres pays voisins ont créé le monstre et l’ont armé contre des civils non armés. Est-ce que ces gouvernements vont être exempts de leurs obligations parce qu’ils sont nos « alliés de confiance » et qu’il y a toujours une conjoncture politique pour les absoudre ?
Actuellement, un autre crime est commis par la Turquie contre les Kurdes de Syrie, des Kurdes armés par les États-Unis. Selon toutes les estimations des observateurs, la Turquie n’aurait pas osé envahir les enclaves kurdes d’Afrin et de Manbij sans l’accord tacite des États-Unis et de la Russie, qui ont leurs atouts militaires dans la région.
« Je n’ai pas vu la futilité totale – peut-être la folie – de notre politique au Moyen-Orient dévoilée plus clairement que dans les stupéfiants développements de cette semaine en Syrie, » écrit le Dr Ron Paul, décrivant la situation et les encouragements donnés à la Turquie, principal architecte du carnage dans la région.
Les Arméniens, victimes du génocide, sont extrêmement sensibles au sort d’autres minorités qui subissent le même sort. Le président Serge Sargissian avait déjà condamné les massacres de Yézidis en Irak en 2014 et avait chargé les missions du ministère des Affaires étrangères de « redoubler d’efforts pour soulever correctement la question sur la scène internationale ». Cette politique persistante s’est concrétisée lorsque le Parlement arménien a adopté à l’unanimité une résolution, le 16 janvier dernier, reconnaissant comme génocide l’assassinat de masse des Yézidis d’Irak commis en 2014 par l’État islamique.
L’organisme Yazda et l’ambassadrice de bonne volonté des Nations Unies pour la dignité des survivants de la traite d’êtres humains, Nadia Mourad, ont salué la résolution.
« La reconnaissance du génocide des Yézidis par le parlement arménien aujourd’hui est un moment historique pour toute la communauté yézidie dans le monde et pour les victimes de ce génocide. Nous saluons cette étape importante, d’autant plus qu’elle vient d’un pays qui, dans son histoire récente, a beaucoup souffert du génocide. » lit-on dans la déclaration.
C’était la bonne chose à faire pour l’Arménie. Il aurait été contreproductif de prétendre que notre douleur est plus grande que la douleur des autres, comme certains d’entre nous sont tentés de le faire.
Il n’est pas non plus utile de prétendre que notre expérience est unique, puisque tous les génocides et toutes les tragédies humaines font partie de la souffrance universelle.
En faisant preuve d’empathie envers les autres groupes, nous saisissons une part de cette empathie pour les nôtres. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.