La guerre froide semble de retour assortie d’une vengeance; Les capitales occidentales et Moscou s’échangent des accusations et des contre-accusations, de plus l’empoisonnement récent d’un ancien officier de renseignement russe à Londres a amplifié la rhétorique de la guerre froide au point d’aligner les grandes capitales occidentales pour combiner leurs salves contre la Russie.
Cette intensification des tensions internationales n’a fait que contribuer à la popularité, sur le plan intérieur, du président Poutine, lui conférant une victoire écrasante lors de son dernier mandat comme président.
En attendant, d’autres nations dont le destin dépend de ces importantes forces se demandent où toutes ces tensions aboutiront. L’Arménie doit certainement être parmi celles-là.
Mais ironiquement, l’Arménie et l’Artzakh ont pris des initiatives qui, dans les mêmes circonstances, n’auraient pas été possibles.
Frederica Mogherini, haute représentante de l’Union européenne (UE) pour les affaires étrangères, a annoncé que l’Arménie et l’UE n’avaient jamais été aussi proches. Cette relation se reflète dans les visites d’échange de délégations politiques de haut niveau entre l’Arménie et les pays européens.
Il semble que le développement des relations avec l’UE s’étende également aux relations américano-arméniennes.
En effet, au milieu de ces relations internationales tendues, une délégation parlementaire d’Arménie est en visite aux États-Unis, tandis qu’une délégation ministérielle dirigée par le président de l’Artzakh, Bako Sahakian se trouve aux États-Unis, malgré une note diplomatique de Bakou au gouvernement américain. L’ambassadeur américain a été appelé au ministère des Affaires étrangères à Bakou pour entendre des protestations contre cette visite.
Dans la même veine, l’ambassadeur d’Azerbaïdjan aux États-Unis a déposé une protestation auprès du Département d’État.
L’objection du gouvernement azerbaïdjanais repose sur la présomption que l’octroi d’un visa américain au président de facto de l’Artzakh est une reconnaissance implicite de l’État séparatiste. Cette protestation azérie s’accompagnait d’une menace : « En réponse à ce comportement des États-Unis, l’Azerbaïdjan procédera au principe de réciprocité. »
De telles visites sont motivées par des facteurs politiques et peuvent éventuellement être justifiées par la politique. Cependant, dans ce cas, il y avait un aspect légal qui justifie la position américaine. Le représentant Frank Pallone, s’exprimant lors de la réunion avec la délégation du président Sahakian a déclaré : « L’une des raisons pour lesquelles nous avons présenté ce projet de loi [H. Res. 697], c’est qu’il permet de clarifier le voyage et la communication avec l’Artzakh – même s’il n’est pas reconnu par les États-Unis – sont très importants. »
Le soutien à la Résolution 697, présentée en janvier 2018, est en croissance, à ce jour, appuyée par 12 représentants.
A la même période, un point de vue propice a également paru dans les médias, signé par l’ancien ambassadeur américain en Arménie, John Evans, appelant Washington à officiellement reconnaître l’Artzakh.
« Il est temps pour la communauté internationale d’accueillir la République du Haut-Karabagh / Artzakh dans la communauté des nations », a écrit l’ambassadeur.
Cet article a certainement eu son écho dans les cercles diplomatiques. Mais surtout, la réponse du département d’État à la protestation azérie est intéressante car elle fait un pas de plus pour affirmer au gouvernement azéri que le peuple de l’Artzakh a droit à une vie libre et paisible.
Lors d’un déjeuner et d’une réunion à Washington la fin de semaine dernière, le président Sahakian a décerné des médailles de gratitude à plusieurs législateurs, soit le sénateur Jack Reed (D-RI), Ed Royce (R-CA) et le démocrate Eliot Engel (D-NY), les représentants David Cicilline, Jim Costa, Brad Sherman, Adam Schiff et David Valado. Ils ont tous contribué de manière significative à l’Artzakh, certains ont personnellement visité la république non reconnue. En remerciant les dignitaires en visite, ils ont tous exprimé des sentiments forts concernant le peuple du Karabagh et son avenir politique.
Le président Sahakian n’a pas rencontré de représentants de l’administration – ce n’était d’ailleurs pas à l’ordre du jour – mais la plupart des législateurs qu’il a rencontrés dans la capitale nationale sont des décideurs.
Au moment où la délégation de l’Artzakh se rendait à Washington, une délégation parlementaire d’Arménie se trouvait également aux États-Unis. Elle comprenait des membres de la coalition au pouvoir ainsi que des membres de l’opposition. Les délégués ont rencontré leurs homologues aux États-Unis, ainsi que des organismes de lobbying, et se sont rendus dans des centres communautaires. Les médias y ont accordé moins d’importance parce que les États-Unis reconnaissent l’Arménie et que de tels échanges s’inscrivent dans le cadre de relations internationales normales. L’un des résultats a été l’activation d’une commission commerciale chargée de promouvoir les affaires et les intérêts en Arménie.
Mais tous ces mouvements indiquent qu’il y a un changement d’atmosphère. Les gouvernements occidentaux n’auraient pas, dans le passé, accueilli de telles visites, en particulier dans le contexte de la détérioration des relations Est-Ouest, car l’Arménie était considérée comme solidement arrimée au camp russe. Mais, à l’heure actuelle, lorsque le gouvernement turc, substitut de l’Occident, poursuit ses intérêts égoïstes tout en utilisant les atouts politiques et militaires de l’Occident, les États-Unis et l’UE doivent promouvoir leurs propres intérêts.
Certains de ces intérêts se limitent à sevrer l’Arménie et le Caucase de l’étreinte russe et à encourager les puissances régionales à honorer les sanctions économiques imposées contre l’Iran. Le secrétaire d’État sortant, Rex Tillerson, semble avoir changé les priorités de Washington en ce qui concerne l’accord nucléaire iranien et soutenu un changement de politique plus explicite dans ce domaine.
En ce qui concerne les relations arméno-russes, certains mouvements sont également visibles. Jusqu’à récemment, Moscou avait traité l’Arménie de façon cavalière. Dans ce contexte, le rapprochement actuel entre l’Arménie et l’Occident aurait déclenché des réactions de colère de la part de Moscou. Actuellement, le Kremlin traite les aspirations européennes de l’Arménie avec des gants pour enfant.
Tandis que les délégations de l’Arménie et de l’Artzakh se rendent aux États-Unis, une délégation parlementaire russe se trouve à Erévan pour rencontrer ses homologues du Parlement arménien. La délégation est dirigée par le président de la commission des affaires étrangères du Parlement de la Chambre haute de Russie, Constantin Kosachev.
Dans le passé, le principal point d’achoppement des relations des deux alliés était l’ampleur des armements modernes vendus par la Russie à l’Azerbaïdjan. La réponse toujours cynique de Moscou était que ces ventes constituaient des transactions commerciales et parfois, ajoutant l’insulte à la blessure, la réponse était que si Moscou s’abstenait de vendre ces armes à Bakou, ce dernier les achèteraient sur le marché international, nonobstant toute politique.
La délégation en visite a atténué ses arguments. Interrogé lors de la réunion interparlementaire, M. Kosachev a expliqué : « La Russie remplit ses contrats conclus avant avril 2016 avec l’Azerbaïdjan, et nous sommes obligés de le faire conformément aux dispositions de ces contrats. Mais cette situation existante et selon les informations que je possède, ne pourra pas se poursuivre. Bien sûr, nous réagissons à la situation produite en avril 2016. Cela ne fait aucun doute. »
Cette déclaration ressemble à une concession aux préoccupations de l’Arménie. La première question qui vient à l’esprit est que Moscou n’a pas été en mesure de prédire les résultats de ses ventes d’armes à l’Azerbaïdjan et qu’elle a découvert la vérité après que 200 victimes arméniennes aient versé leur sang sur les lignes de front et les villages frontaliers en raison des attaques azéries inattendues et brutales.
La question suivante est la véracité ou la motivation de cette concession. Beaucoup en Arménie pensent que ce changement de politique n’est pas le fait de Moscou parce que les sanctions contre la Russie se resserrent, les dirigeants azerbaïdjanais eux-mêmes voudraient éviter d’offenser leurs amis occidentaux en achetant des armes russes en violation du régime des sanctions.
Quel que soit le motif, c’est un développement bienvenu qui éliminera un important obstacle dans les relations avec la Russie.
Les modestes initiatives diplomatiques de l’Arménie seront évaluées dans un proche avenir, dans le contexte d’une tempête politique en évolution. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.