Le christianisme et les boîtes de nuit attirent les touristes en Arménie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 12 avril 2018

Chaque fois que je reviens d’un voyage en Arménie, le vol est rempli de voyageurs asiatiques et européens. Je me suis souvent demandé ce qui attirait ces visiteurs en Arménie. Quelques questions aléatoires révèlent que de nombreuses personnes visitent l’Arménie pour en apprendre davantage sur son histoire chrétienne. Ce serait, bien sûr, une cause digne si c’était l’unique raison. Il ne fait aucun doute que la visite du pape François et sa déclaration courageuse sur le génocide arménien ont placé l’Arménie sur la carte touristique.
Mais passant du sublime au ridicule, la visite de Kim Kardashian en 2015 a également suscité un énorme intérêt pour ce petit pays niché dans les montagnes du Caucase auprès d’un auditoire différent.
Nous pouvons également admettre que les déclarations de Kardashian sur le génocide arménien ont peut-être été aussi efficaces face à ce tort historique que les publications universitaires sérieuses sur le sujet.
Aussi ironique que cela puisse paraître, voilà ce qui a suscité l’intérêt de certains.
Un autre flux de touristes en Arménie vient d’Iran. Les touristes musulmans de ce pays n’ont pas le moindre intérêt envers l’héritage chrétien de l’Arménie ; leur propre société fermée qui impose des codes moraux rigoureux et les empêche de jouir des libertés sociales d’une société ouverte est la seule source de leur intérêt.
L’héritage chrétien de l’Arménie est une découverte récente même pour son propre peuple. Dans le monde d’aujourd’hui, de nombreux pays filtrent avec la religion. Même en Amérique, la ceinture biblique a été un ardent défenseur du président Trump, indépendamment de ses ébats (soi-disant) frivoles avec des actrices adultes, plusieurs divorces et des alliances hors mariage. La Bible prêche la compréhension et la compassion, et Marie-Madeleine était plus vertueuse que beaucoup d’autres socialement supérieures à elle.
L’un des rares avantages du système soviétique a été l’absence de discrimination en raison de la foi. Le mélange enflammé de religion et de politique n’existait pas. C’est pourquoi autrefois les populations musulmanes des républiques soviétiques n’étaient pas attirées politiquement par les pays musulmans, et ce malgré quelques tentatives de la Turquie et de l’Arabie saoudite pour les attirer.

La religion de l’Arménie n’était pas non plus visible durant la période soviétique et a repris de la vigueur depuis l’indépendance. Dans le processus, la culture populaire occidentale a inondé l’Arménie, la rendant attrayante pour les touristes musulmans d’Iran.
Lorsque l’Arménie a acquis son indépendance, ses dirigeants amateurs d’alors ont privatisé la plupart des usines, démantelé ses infrastructures industrielles et les ont vendues comme ferraille à l’Iran et à la Turquie. Comme l’Arménie n’était pas dotée de ressources naturelles, elle devait dépendre des technologies de l’information (TI) et du tourisme. Ce dernier secteur doit encore être entièrement développé afin de servir de bouée de sauvetage à l’économie.
Ces deux avenues pour le développement économique peuvent surmonter le blocus du pays, contrairement à d’autres produits qui ont besoin de routes d’exportation.

Comme destination touristique, l’Arménie n’est pas compétitive. Depuis son indépendance, les citoyens arméniens ont gravité vers la Turquie et la Géorgie, car les stations balnéaires de leur propre pays se sont révélées être au-dessus de leurs moyens. Il est moins coûteux pour une famille arménienne de passer une semaine à Antalya, en Turquie, ou à Batumi, en Géorgie, en avion, que de se rendre au lac Sevan, à 56 km de la capitale.

Il a fallu attendre qu’un blogueur russo-israélien, Alexandre Lapshin, qui a acquis sa renommée après avoir été kidnappé et incarcéré en Azerbaïdjan après avoir visité l’Artzakh, révèle cette anomalie de l’industrie touristique arménienne.
Il a déclaré que le voyage aller simple d’Israël vers Erévan avait coûté 180 euros, alors que d’Israël à Tbilissi, en Géorgie, cela ne coûtait que 86 euros.
« Un jour, je cherchais un billet d’Erévan vers Paris pour la fin avril et un aller simple coûtait 250 euros, mais pas tous les jours. Le prix moyen d’un aller simple est de 350 euros. Ensuite, j’ai cherché des options à partir de Tbilissi et le billet coûtait 130 euros. »
La même disparité existe pour les chambres d’hôtel. Chaque touriste fera ce calcul et l’Arménie perdra son avantage concurrentiel. Les statistiques montrent que cette compétitivité est perdue. Ainsi, l’année dernière, 220 000 Iraniens ont visité l’Arménie, soit une augmentation de 16% par rapport à 2016, mais 322 000 Iraniens se sont rendus en Géorgie et 362 000 en Azerbaïdjan pour la fête du printemps (Norouz).
On pourrait penser que l’Arménie souffrant d’un taux de chômage élevé aurait dû devenir plus abordable pour le tourisme mondial, mais ce n’est pas le cas. Le seul auditoire captif de l’Arménie est la diaspora, car ils n’iront à aucun prix à Tbilissi ou à Bakou, mais directement à Erévan.
L’aéroport moderne d’Erévan, qui offre l’une des arrivées les plus enchanteresses pour les passagers, est dirigé par Eduardo Eurenkian qui facture des frais d’atterrissage élevés aux transporteurs étrangers. Cette taxe est retransmise au voyageur.
En ce qui concerne les industries de services, toutes les personnes employables ne peuvent trouver d’emploi. Les conditions fixées par les employeurs de l’industrie du tourisme pourraient être considérées comme criminelles dans d’autres pays civilisés. De nombreuses entreprises, par exemple, recrutent des jeunes femmes attrayantes de moins de 35 ans. On retrouve ainsi de la discrimination sexuelle et de la discrimination fondée sur l’âge et, en plus, une insinuation d’expérience physique à la limite de l’intimité sexuelle.
Il y a, aujourd’hui, 22 000 réfugiés arméniens syriens en Arménie. Selon le gouvernement, ils ont introduit une nouvelle culture dans l’industrie de la restauration et de nouvelles normes d’éthique du travail dans d’autres industries.
Il m’est arrivé de dîner dans l’un des minuscules restaurants gérés par des Arméniens d’Alep. La nourriture était au-dessus de la moyenne et les prix modérés. Ils appartenaient à deux partenaires, l’un travaillant avec sa femme, l’autre avec sa mère. Quand je leur ai demandé comment ils s’en sortaient, ils se plaignaient amèrement des impôts. Ils ont dit : « Ils ne nous laissent pas respirer. Ils vérifient tous les jours. Il en reste très peu après que nous leur ayons versé leur part. »
C’est là que commence l’étranglement économique du pays : ce système ne permettra jamais la création d’une classe moyenne stable, épine dorsale économique de toute société.
Certaines dispenses cosmétiques sont annoncées pour les réfugiés, mais le fisc est partout pour s’engraisser lui-même et ses superviseurs, quelle que soit la répercussion sur l’économie de l’Arménie.

Quand un petit propriétaire de restaurant doit faire face aux pots-de-vin et à la corruption, on peut imaginer à quel niveau cette dernière est pratiquée en général.

Les entreprises ne reconnaissent pas le patriotisme et le capital coulera là où se trouve une atmosphère saine pour le développement économique. Cependant, de nombreux capitalistes arméniens, qui pourraient investir dans des pays plus sûrs, tentent d’investir en Arménie, poussés par un patriotisme obstiné. Pourtant leurs homologues d’Arménie ne ressentent pas ce même niveau de patriotisme et de préoccupation pour le développement économique de leur pays.
Les maux économiques de l’Arménie commencent dans ce petit restaurant du centre-ville d’Erévan et grimpent jusqu’au sommet de la pyramide.
La classe moyenne d’Arménie aura un chemin tout pavé le jour où ce restaurant prospèrera. Ainsi, lorsque les touristes arriveront, ils auront plus de choix et les habitants, plus d’argent. Edmond Y. Azadian 

Traduction N.P.