Les réformes politiques en Arménie, interrompues durant une courte période pour accueillir la conférence de la Francophonie, reprennent avec la démission du Premier ministre Nikol Pachinian, le 16 octobre.
Par ailleurs, le sommet de la Francophonie réunissant 58 pays et dirigé par le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre du Canada Justin Trudeau, en fin de semaine dernière, a été une bonne occasion de répéter tous les slogans de la démocratie. Vient maintenant le véritable test consistant à installer et à appliquer une réelle démocratie.
Depuis la chute de l’ancien régime et l’élection de M. Pachinian au poste de Premier ministre le 8 mai, la situation politique de l’Arménie a connu de nombreux rebondissements jusqu’à lever tous les obstacles permettant de tenir des élections en décembre.
Une fois les rênes entre les mains de Pachinian, le Parti républicain, le poids lourd de la politique arménienne, qui détenait la majorité au parlement, a tenté de revenir avec une action législative sournoise en collusion avec le Parti de l’Arménie prospère de Gagik Tsaroukian, qui compte toujours 31 députés et la FRA (Dashnaktsoutioun), auxquels Pachinian a répondu par une action politique rapide en renvoyant les ministres et les gouverneurs (marzbeds) appartenant aux partis renégats.
Tsaroukian, le caméléon sans scrupule du paysage politique arménien, a conclu un accord et a signé un pacte avec Pachinian afin de s’abstenir de proposer un candidat au poste de Premier ministre et d’accepter de tenir des élections anticipées en décembre.
Bien que Pachinian demeure au pouvoir grâce à la foule, il essaie toujours de faire avancer son programme politique au moyen de motions constitutionnelles, qui exigent un délai de sept jours pour élire un Premier ministre. Et puis, sept autres jours d’inaction sont nécessaires pour ouvrir la voie à la dissolution du Parlement.
De nombreux experts et conseillers ont mis en garde Pachinian contre sa démission à la suite d’intrigues récentes, mais Pachinian a décidé de prendre le risque après avoir effectivement paralysé les forces capables de comploter contre lui.
La reddition inconditionnelle de 15 députés du parti républicain a déjà brisé le dos du chameau. Maintenant, le chemin est libre et Pachinian peut courir vers la victoire finale.
Il a réussi à mobiliser les citoyens et vaincre la structure bien enracinée du parti républicain. Ce dernier, avec tous ses petits copains cupides, ont gravement meurtri le cœur du public. Lors de la récente élection du maire d’Erévan, Pachinian s’est rendu compte que bon nombre des suffrages exprimés étaient opposés à l’ancien régime et non à la nouvelle administration. À l’heure actuelle, la colère et la rancœur contre les ex-présidents Robert Kotcharian et Serge Sargissian et leurs cohortes qui pillent le pays sont telles que le public veut se venger. Peu d’attention est accordée aux actions, aux politiques ou à la philosophie politique de Pachinian. Ce dernier a déjà compris qu’il fallait apprivoiser la foule sous son impulsion pour que le pays puisse s’engager de manière constructive vers la démocratie.
La victoire écrasante du Parti des contrats sociaux de Pachinian ne fait aucun doute. Il n’a pas encore eu le temps ni l’occasion d’énoncer la philosophie politique de ce parti.
Une autre question importante concerne la configuration que prendra le prochain parlement. Si l’élection des maires en est une indication, le parti de Pachinian recevra à nouveau 80% des voix. La constitution exige que le parlement de 105 membres se compose de quatre partis politiques. Trente pour cent des sièges parlementaires doivent être alloués aux partis d’opposition. Par conséquent, si Pachinian balaye la majorité des sièges, il faut créer une opposition fictive conforme à la forme plutôt qu’à l’esprit des structures législatives. Le système ne sera pas très éloigné de l’ère Sargissian, lorsque des ersatz de groupes d’opposition ont été créés pour donner l’apparence de démocratisation au parlement.
Lors de la rédaction de la constitution actuelle, Serge Sargissian avait imaginé le bureau de super premier ministre pour donner forme à ses ambitions, supprimant même la plupart des pouvoirs du président.
Pachinian se rend compte que certains de ces pouvoirs doivent être rendus au bureau du président. De plus, l’appareil de sécurité, placé sous le commandement du Premier ministre, doit travailler de manière indépendante.
Les juges et l’ensemble du système judiciaire ont toujours été dépendants de la présidence. Les verdicts ont été rendus au gré du pouvoir. Si le rôle du pouvoir judiciaire doit être de maintenir l’équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif, il doit exister un pouvoir judiciaire indépendant. Si par le passé, les appels émanaient du bureau du président vers les tribunaux, des fuites récentes de l’appareil de sécurité révèlent que les appels arrivent maintenant dans l’ordre inverse, avec le même effet et le même résultat.
La structure du prochain gouvernement, qui mettra en place les changements, est extrêmement importante.
Durant la Révolution française, les exécutions à la guillotine étaient devenues un divertissement public. De même, des arrestations très médiatisées en Arménie, telles que celle de l’oligarque et Général Manvel Grigorian, satisfont à la demande du public voulant que les anciens gloutons qui se remplissent les poches, fassent face aux conséquences de la révolution de velours.
« Je ne sais pas comment le public a été sensibilisé à la lutte contre la corruption. Les Arméniens sont pour la plupart confrontés à la corruption alors que des oligarques pillent le pays », a déclaré Anahit Chirinian, membre de l’Académie Chatham, spécialisée dans la politique arménienne.
La lutte contre la corruption n’est pas un objectif en soi ; il doit conduire à la formation d’une société plus juste. Pachinian a plaidé pour un changement non violent dans une atmosphère d’amour et de fraternité. Cette politique l’a bien aidé à se débarrasser d’un régime corrompu. Mais la tâche de reconstruction est plus ardue, principalement parce que l’opinion publique n’a pas encore été réglée. Les médias sociaux, qui soutiennent Pachinian, regorgent de déclarations obscènes destinées aux détracteurs, dont le Premier ministre doit se dissocier. Il a déjà essayé d’apprivoiser cette bête, en vain.
« La rhétorique lors de la passation du pouvoir était entièrement opposée à l’ancien régime », a écrit Alexander Iskandarian, directeur de l’Institut du Caucase. « C’était intelligent. L’ancien régime pensait pouvoir survivre grâce aux pots-de-vin et à l’apathie, mais vous ne pouvez pas le maintenir pour toujours. La grande popularité non plus. La légitimité qu’elle apporte n’est utile que si vous l’utilisez pour quelque chose. »
À ce stade, la révolution de velours est sur la voie d’une victoire finale, qui consiste à « l’utiliser pour quelque chose ».
Une fois les élections organisées, sans pots-de-vin et avec cohésion, il faudra mettre en œuvre les réformes. Celles-ci ne devront non seulement pas être esthétiques, mais fondamentales, et envisager la formation de véritables partis politiques, avec l’objectif d’imiter les démocraties occidentales. Jusqu’ici, les trois présidents d’Arménie, à commencer par Levon Ter-Petrosian, se sont battus contre les partis politiques traditionnels qui avaient opéré en diaspora pour se concentrer sur une Arménie autonome.
Tous les nouveaux partis politiques en Arménie se sont formés autour de personnalités ou de leur portefeuille, c’est pourquoi ils sont tombés comme un château de cartes. Il n’y a pas d’organe idéologique capable de les maintenir ensemble. La diaspora peut contribuer aux investissements, mais aussi à l’expérience politique.
L’Arménie doit mobiliser toutes ses ressources au niveau national et international pour faire de cette période une marche réussie vers la démocratie. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.