Après avoir passé trois ans et demi à Erévan, l’ambassadeur des États-Unis en Arménie, Richard Mills, a choisi de partir en faisant des remarques incendiaires, plutôt que de laisser de bons souvenirs.
Durant son mandat en Arménie, une transformation remarquable a eu lieu dans le pays. Alors que l’Arménie devenait plus visible sur la scène internationale, les changements intérieurs annonçaient une nouvelle ère, en particulier avec l’avènement de la révolution de velours.
Tous les pays, quelle que soit leur taille, ont un rôle à jouer dans l’équilibre stratégique des pouvoirs, en particulier dans la région du Caucase, devenue un véritable baril de poudre.
Dans sa salve de départ, M. Mills a accordé une longue entrevue à EVN Report (https://www.evnreport.com/politics/us-ambassador-mills-i-leave-inspired-and-hopeful), au cours de laquelle il a parlé des développements dans la région durant son mandat à Erévan. Ses remarques et ses opinions ont pour le moins entraîné un arrière-goût amer en Arménie en ce qui concerne la solution du conflit du Karabagh.
Les médias arméniens, en Arménie et dans la diaspora, ont réagi avec véhémence à sa déclaration, allant même jusqu’à l’insulter personnellement. Il serait imprudent et naïf de tenir M. Mills personnellement responsable de ces propos. Nous n’avons pas besoin de tirer sur le messager mais plutôt sur le message. Nous avons vu dans le cas de l’un de ses prédécesseurs, à savoir John Evans, comment le seul mot « génocide » lui a coûté son poste de diplomate et a détruit sa carrière. En fin de compte, l’histoire justifiera Evans, mais cela n’aide pas son cas.
Ces déclarations politiques sont rédigées avec soin à un niveau supérieur, au département d’État, et incombent à chaque diplomate. Au fond, la mission de M. Mills était de transmettre le message au peuple arménien, aussi désagréable soit-il. Son successeur, Lynne Tracy, ne peut pas non plus s’écarter de ce scénario.
Au cours de cette entrevue notoire, M. Mills a déclaré: « Lorsque je suis arrivé ici, j’ai été surpris de constater que la plupart des Arméniens que j’ai rencontrés étaient farouchement opposés au retour des territoires occupés dans le cadre d’un règlement négocié. … Mon gouvernement comprend depuis longtemps pourquoi les territoires occupés ont été initialement saisis; ils sont la base pour une option de paix », a-t-il déclaré. « J’ai été donc très surpris qu’il n’y ait plus de soutien à ce processus. »
À l’origine, l’idée de concession territoriale avait été adoptée par le premier président d’Arménie, Levon Ter-Petrosian, accessoirement le mentor de l’actuel Premier ministre par intérim, Nikol Pachinian. Mais cette vision lui a coûté la présidence et le soutien à cette position s’est érodé depuis. L’Arménie a finalement été en mesure d’imposer un cessez-le-feu à l’Azerbaïdjan en mai 1994, après avoir atteint des sommets stratégiques sur le front, ce qui impliquait la prise de contrôle de certains territoires (sept régions au total) en dehors des frontières historiques du Karabagh.
Dans un village niché sous la ville de Chouchi, appelée Karintak, toutes les familles ont perdu au moins l’un de leur membre. L’armée azérie lançait indistinctement des roquettes sur la population civile. Voilà pourquoi les habitants du Karabagh refusent de céder un pouce de territoire.
Ter-Petrosian croit toujours que la rigidité est le chemin sûr vers la guerre, mais la majorité de la population pense le contraire, en particulier après la guerre-éclair de l’Azerbaïdjan en avril 2016. La génération postindépendance a davantage conscience de sécurité et pense que la sauvegarde de l’Arménie commence dans les montagnes du Karabagh.
La stratégie consiste à peupler ces zones plutôt que de les céder à l’ennemi.
Actuellement, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump, John Bolton, est en mission à Moscou. M. Bolton n’est pas connu pour être un diplomate suave et il n’y a rien à attendre de son voyage en Arménie. Ce voyage coïncide avec la déclaration émoussée du président américain selon laquelle les États-Unis renforceront leur arsenal nucléaire et ne se laisseront pas intimider par la Russie et la Chine. Ce sera certainement l’axe principal du message de M. Bolton.
Bien que M. Trump sache que le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping ne sont pas le genre d’hommes d’État à cligner des yeux. M. Bolton se rendra plus au sud, en Arménie, en Géorgie et en Azerbaïdjan où il risque de causer des ravages. Son unique mission dans le Caucase sera de contenir à tout prix l’Iran.
Certains commentateurs estiment que l’appel de M. Trump aux armes est davantage motivé par des facteurs nationaux que par des problèmes internationaux. Au vu des prochaines élections à mi-parcours, les conseillers de M. Trump l’ont exhorté à adopter une attitude plus agressive pour surmonter l’érosion des sièges des républicains à la Chambre et au Sénat.
Naturellement, ce genre de position a tendance à graisser les rouages du complexe militaro-industriel, haut placé dans la boussole morale du président, comme il l’a révélé dans son traitement du royaume saoudien, après le meurtre d’un journaliste dissident.
M. Mills et son successeur sont le prolongement de cette même politique dans le Caucase. Ils supposent que la restitution du territoire est l’un des principes fondamentaux des principes de Madrid.
En mentionnant cette seule modalité des principes de Madrid, M. Mills décompose tout un accord comportant également d’autres éléments. Si l’accord porte sur le territoire contre la paix, où se trouve l’autre élément qui assure la sécurité de la population du Karabagh après l’abandon de ses positions stratégiques ?
L’ambassadeur a déclaré qu’il avait été surpris de découvrir qu’il n’y avait aucun intérêt pour des concessions territoriales du côté arménien. Comment se fait-il qu’il ne soit pas autant surpris alors que le président azéri Ilham Aliev a menacé à plusieurs reprises d’occuper non seulement le Karabagh mais également l’Arménie proprement dite ?
La résolution du conflit du Karabagh a été confiée au groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), présidé par les États-Unis, la Russie et la France. Jusqu’à présent, le code de conduite consistait à faire en sorte que les trois coprésidents se concertent. Mais, selon les déclarations unilatérales de M. Mills, il semble que les États-Unis se sont éloignés du protocole établi.
Dernier point, mais non le moindre, la position de M. Mills est favorable à l’Azerbaïdjan pour ses achats d’armes auprès d’Israël, d’une valeur de 5 milliards de dollars, et à sa volonté de permettre à Israël d’espionner l’Iran et, si nécessaire, d’utiliser son territoire comme plateforme pour lancer une attaque contre l’Iran.
En ce qui concerne l’Iran, et peut-être aussi la Russie, M. Mills a un message incongru pour l’Arménie. Il pontifie : « En fin de compte, ce que nous souhaitons, c’est que l’Arménie suive sa propre politique étrangère sur la base d’un principe fondamental ; L’Arménie est une nation souveraine, elle devrait prendre ses propres décisions en fonction de ses propres intérêts et ceux du peuple arménien. »
Dans le même souffle, il plonge dans le problème iranien et après avoir donné la même diatribe (« L’Iran est un exportateur de terrorisme », « Les méfaits de l’Iran en Syrie », « Le Hezbollah », etc.), il demande à l’Arménie de se lever et de frapper l’Iran. « Mais si votre voix doit être entendue par la communauté internationale, vous devez aussi accepter certaines responsabilités. »
Le conseil de M. Mills équivaut à un double suicide : abandonner les territoires azéris sans garantie de paix afin que M. Aliev puisse entrer en Arménie. Vous devez contrarier l’Iran parce que nous voulons que vous le fassiez en tant que partie intégrante de « votre voix dans la communauté internationale », même si l’Iran est votre seul oléoduc vers le monde extérieur, comme l’a prouvé la guerre entre la Russie et la Géorgie de 2008.
L’Arménie et le Karabagh doivent certainement utiliser leurs canaux officiels pour se faire entendre. Mais il incombe aux Arméniens de la diaspora, en particulier aux États-Unis, de réagir. Pour pouvoir réagir efficacement, la communauté doit être politisée. Les élections de mi-mandat sont à venir. Aucun parti ni aucun candidat n’a contesté la politique du Département d’État en matière de produits toxiques à l’égard de l’Arménie ou du Karabagh.
Seuls les Arméniens peuvent faire entendre leur voix de manière organisée ou coordonnée. D’autres groupes ont joué un rôle vital dans la protection et la défense des intérêts de leurs terres ancestrales.
Si la diaspora veut avoir un sens pour l’Arménie, elle doit devenir le prolongement de sa politique étrangère dans les pays lointains. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.