Les conflits et la compétition entre les mondes spirituel et temporel sont d’anciennes tendances de l’histoire et aucune nation n’est à l’abri. La confrontation entre le roi Henri II et l’archevêque de Cantorbéry Thomas Becket au XIIe siècle constitue un chapitre remarquable de l’histoire britannique. Ils étaient, au début, des amis proches mais se sont disputés lorsque le roi a tenté d’usurper les droits de l’église. Henri II a été tellement irrité par l’opposition de Thomas Becket qu’il a fait assassiner l’archevêque dans la cathédrale le 29 décembre 1170. Plus tard, il s’est repenti et a été absous par l’église. Thomas Becket a été sanctifié et demeure à ce jour le symbole du héros qui a tenu tête à un tyran.
Les Arméniens ont leur propre martyre des cathédrales, en la personne de l’archevêque Ghevont Tourian, assassiné au cours de la messe de la veille de Noël, en 1933, à l’église Sainte-Croix de New York.
Il a été tué par le parti FRA (Dashnag) parce qu’il avait refusé de se plier à leurs revendications politiques. Dans la version arménienne de l’histoire, les meurtriers ne se sont pas repentis et ont été canonisés par le parti, bien que le système de justice américain les ait envoyés au pénitencier de Sing Sing.
En 1956, le parti Dashnag, avec l’appui du gouvernement libanais, a repris l’église d’Antelias, du Catholicosat de Cilicie; ils se sont départis de la majorité du clergé outré et ont élu catholicos un évêque docile, Mgr Zareh Payaslian, contrairement aux canons de l’Église arménienne qui prévoit que trois évêques nomment un nouveau catholicos. Ils n’y en avaient que deux: le célèbre archevêque Khoren Paroyan et le malheureux archevêque Ghevont Chebeyan.
Après la prise de contrôle du Catholicosat au Liban, des églises dissidentes aux États-Unis, qui étaient déjà sous le contrôle du parti, sont passées sous la juridiction d’Antélias.
Ces rappels nous conduisent aux temps modernes des relations Église-État. À l’époque soviétique, l’église n’avait aucun pouvoir. Mais les Soviétiques ont étudié le rôle spirituel de la Sainte Etchmiadzine dans la communauté arménienne mondiale et l’ont utilisé à leur avantage politique. Entre temps, le Saint-Siège a survécu, principalement grâce à la sagesse du pontife d’alors, Sa Sainteté le Catholicos Vasken Ier.
Pour pouvoir utiliser un objet ou une entité, il faut étudier pleinement la nature de ce sujet. Une analogie peut être trouvée dans l’art de Picasso ; l’artiste déconstruit les figures humaines et les reconstruit à travers sa vision en créant dans son intégralité une nouvelle harmonie.
Notre église en Arménie a été mal utilisée (ou non utilisée) par les autorités et par la population en général, car personne ne s’est soucié de comprendre et d’expliquer le manque de connaissances dans les relations avec l’Église.
Sous le gouvernement précédent, Etchmiadzine et le Catholicos n’avaient d’autre choix que de se tenir aux côtés des autorités. Après la révolution de velours, cette politique est devenue un problème. L’aile extrême de la foule des révolutionnaires enthousiastes croyait de manière irréfléchie qu’avec le départ de l’ancien régime, tout le reste devait disparaître; Le slogan « Nouvelle patrie, nouveau catholicos » est devenu le mantra du jour et Sa Sainteté Karekin II a même été physiquement harcelé par une foule agitée par les enseignements d’un régime athée.
Depuis l’indépendance, aucun effort sérieux n’a été consenti pour un programme d’éducation religieuse à grande échelle, ni pour l’introduction d’études religieuses sur l’histoire de l’Église arménienne dans les programmes scolaires. Le résultat de cette négligence se manifeste certainement dans les idées erronées du rôle de l’église et, par conséquent, dans l’ignorance à l’égard de l’église et de ses dirigeants.
Enfin, le nouveau gouvernement a compris qu’il avait besoin d’un lieu approprié pour traiter avec l’église.
Une commission composée de plusieurs sous-ministres a été créée pour fonctionner sous l’égide du bureau du Premier ministre. Nous ne sommes pas certains de la compétence des membres nommés ni de leur connaissance des questions relatives à l’église ou de l’apprentissage sur le tas. Une lacune de taille est évidente: la contribution de la diaspora est ignorée à ses risques et périls.
Lorsque le Catholicos a été physiquement harcelé, les responsables gouvernementaux ont déclaré qu’il existait une séparation entre l’église et l’État, ce qui n’a fait qu’encourager les assaillants. Même si les autorités devaient adhérer au principe de la séparation de l’Église et de l’État, elles étaient néanmoins tenues de protéger le bien-être physique du pontife.
Au fur et à mesure que la question du catholicos et des relations entre l’Église et l’État évolue, il s’avère que ces déclarations ne sont ni bénignes ni innocentes. À l’heure actuelle, tout prouve que ces fonctionnaires sont mal informés et comprennent mal la situation.
Incidemment, les Arméniens ne sont pas seuls face aux questions de politique religieuse, un drame parallèle se déroule en Russie. L’Église orthodoxe russe a rompu ses relations avec le chef de l’Église orthodoxe œcuménique, le patriarche Bartholomée d’Istanbul, parce que le patriarcat de la ville a été réduit à une simple coquille. En outre, le bras de fer entre la Russie et l’Ukraine s’est infiltré au niveau de l’église alors que l’Église orthodoxe ukrainienne avait rompu ses relations avec l’Église orthodoxe de Russie. Il y a quelques jours à peine, le président Petro Proshenko a nommé un nouveau patriarche pour l’Église orthodoxe ukrainienne.
Les militants contre le Catholicos d’Etchmiadzine ont remis en cause la méthode et les procédures de son élection, tout en préparant en coulisses un autre stratagème illégal. Les médias ont découvert qu’il existait un plan pour inviter Sa Sainteté Aram Ier à Etchmiadzine afin de prendre le contrôle de la Sainte Église, quels que soient les sentiments des dirigeants de l’église et des membres du monde entier.
Le mentor politique du Premier ministre Nikol Pachinian, l’ancien Président Levon Ter-Petrosian, avait un jour tenté cette même action illégale et avait lamentablement échoué parce qu’il ne connaissait pas le rôle de l’église dans la vie des Arméniens, malgré ses connaissances académiques.
Il pensait qu’en déplaçant le Catholicos Karekin II de Cilicie à Etchmiadzine, où il deviendrait le Catholicos Karekin Ier d’Etchmiadzine, il résoudrait d’un coup de baguette magique la division de l’Église arménienne. Cette politique a échoué, car un successeur plus robuste a pris sa place à Antélias, Aram Ier, qui contrôle l’église sous l’égide de la FRA. Déplacer Aram Ier à Etchmiadzine ne résoudra pas la division de l’église. Du point de vue de l’église dissidente, Antélias s’opposait à Etchmiadzine parce que cette dernière était sous le contrôle soviétique. Mais avec l’effondrement de l’Union soviétique, cet argument s’est également effondré et la vérité s’est révélée dans toute sa nudité, à savoir que l’église dissidente est une entreprise lucrative pour le parti et un outil d’influence.
Le site d’information « 168 hours » a découvert au cours de ses enquêtes qu’Alain Simonian, Lena Nazarian et Hratchia Hagopian, membres de l’alliance de Pachinian, ont été envoyés au Liban pour étudier la faisabilité du complot. L’auteur de l’article explique que les délégués prévoyaient étendre la révolution de velours jusqu’à l’église. L’auteur estime également que l’inaction de la police lorsque le Catholicos a été harcelé à Vayk et lorsque les militants ont érigé des tentes à la limite du campus d’Etchmiadzine étaient des actes délibérés, encouragés par les autorités.
À la suite de la mission infructueuse des délégués, le Premier ministre Pachinian s’est lui-même adressé au Catholicos Aram Ier, lorsqu’il a assisté à la célébration du 50e anniversaire de son sacerdoce. Le Catholicos a rejeté l’offre du Premier ministre, se souvenant peut-être de l’issue désastreuse du plan de Ter-Petrosian.
Toutes ces actions infantiles et amateurs sont emblématiques de l’inexpérience, particulièrement en matière d’église.
Il faut rappeler que le seul but de la révolution de velours était de renverser le régime corrompu et de rétablir la légitimité du gouvernement. Les déviations dans les affaires de politique étrangère ou d’église n’ont jamais été sur la table.
Un exemple démontre la dangereuse ignorance de certains des nouveaux dirigeants. Il est vrai que les Arméniens sont fiers de voir de jeunes professionnels, dont beaucoup ne disposent que peu de moyens, aux postes de direction. Mais ils n’avaient pas négocié l’inexpérience de ces dirigeants.
Arayik Haroutiounian, ministre de l’Éducation, des Sciences et de la Culture, s’est récemment rendu dans une école de la province d’Ararat. Il y a croisé un prêtre de l’école, le révérend Ghazar Petrossian, et lui a ordonné de quitter les lieux immédiatement, ajoutant que tout le monde devait respecter la loi, même le clergé et le ministre. Le prêtre a quitté l’école frustré par le comportement du « ministre de l’éducation sans éducation » et le ministre de l’Éducation a déclaré que, conformément à la loi, le prêtre appartenait à l’église.
En réalité, une loi promulguée le 22 février 2007 appelle l’Église apostolique arménienne à adopter des programmes religieux dans les écoles publiques.
Un deuxième article de la loi stipule que « l’Église apostolique arménienne a le devoir de développer des études religieuses, des manuels et des programmes de formation des enseignants ». L’article 4 de la loi prévoit que l’Église apostolique arménienne participe aux programmes institutionnels d’éducation religieuse du secteur public ».
Un bon point de départ serait de développer un programme d’éducation religieuse, en commençant par l’histoire de l’Église arménienne.
Enseigner la théologie ou les dogmes de l’Église peut soulever des questions, mais l’histoire de l’Église peut faire partie des études académiques.
La division entre le public et l’Église est le résultat de décennies de campagnes athées et anticléricales. La connaissance de l’histoire et de la mission de l’Église est un besoin urgent, afin que le public puisse comprendre le rôle et l’importance de l’Église et éviter d’adopter une position négative.
Une fois les cours d’histoire de l’Église offerts dans les écoles, le ministre Haroutiounian pourrait peut-être en devenir le premier bénéficiaire.
Un développement récent souligne le rôle du Catholicos à Etchmiadzine. Depuis onze ans, les Arméniens d’Istanbul demandent aux autorités turques l’autorisation d’élire un nouveau patriarche en vain, le patriarche actuel n’étant plus apte à servir en raison de la maladie d’Alzheimer.
Le 4 février, le ministre des Affaires étrangères de Turquie, Mevlut Çavusoglu, a reçu l’archevêque Khajag Barsamian, du légat pontifical du Vatican et d’Europe occidentale, envoyé à la demande du Catholicos Karekin II pour discuter de questions liées à l’église arménienne de Turquie. Lorsque le Catholicos d’Etchmiadzine impose un tel respect à ses amis et ses ennemis, comme le pape et M. Çavusoglu, il n’est pas sage de miner son autorité dans son propre pays.
L’Église est une institution importante qui doit être traitée correctement. En outre, elle joue un rôle vital dans la vie spirituelle des Arméniens. C’est l’un des ponts entre l’Arménie et la diaspora.
De nombreux partis ont utilisé l’Église comme un pion politique, mais si elle est levée à sa position vénérable sur un piédestal, elle peut jouer son propre rôle dans la direction spirituelle des masses et devenir ainsi une fondation solide pouvant aider la patrie. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.