Le défi lancé par la Turquie aux puissances régionales et mondiales a connu récemment un répit. Le gouvernement islamiste du président Recep Tayyip Erdogan a poussé trop loin sa chance, notamment en jouant le rôle de saint patron du monde islamiste sunnite. Avec les changements continus dans le paysage du Moyen-Orient, la position de la Turquie en matière d’intimidation a finalement buté sur un obstacle. Les relations avec l’Égypte, l’Arabie saoudite et Israël se détériorant, le gouvernement d’Erdogan s’est tourné alors vers d’autres fronts pour obtenir des gains en matière de politique étrangère.
Lorsque la Turquie a abattu un avion militaire russe à sa frontière avec la Syrie en 2015, Moscou a riposté avec audace et a presque paralysé l’industrie touristique turque. Aujourd’hui, toutefois, les relations russo-turques s’améliorent. Au cours des 12 derniers mois, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint 25 milliards de dollars par an, ce qui représente une augmentation de 25%, et il est en passe d’atteindre son objectif de 100 milliards de dollars par an.
Et bien que la Turquie soit membre de l’OTAN, elle a accepté d’acheter, malgré les menaces des États-Unis, des missiles de défense russes S-400.
Puis il y a quelques jours à peine, Moscou a déclaré une politique de libéralisation du régime de visas pour les citoyens turcs.
Sur la scène de guerre syrienne, la Turquie a des intérêts politiques concurrents et complémentaires avec la Russie et l’Iran. L’accord entre Ankara et les États-Unis sur la ville d’Idlib n’a pas encore été conclu et Ankara cherche des règlements avec Moscou et l’Iran lors du prochain sommet de Sotchi. La Russie vante et ressuscite l’accord d’Adana, signé en 1999 entre la Syrie et la Turquie, engageant les deux parties à limiter toute activité kurde de part et d’autre de la frontière. Cela constituerait un lieu alternatif à la candidature d’Ankara pour une zone de sécurité à la frontière syrienne, qui s’étendrait de Jarablus à la frontière irakienne. Pour inciter la Turquie à conclure cet accord, la Russie et l’Iran se sont également engagés à adhérer à ce pacte.
Ankara mesure la température à la frontière arméno-azérie, où les sonnettes d’alarme se sont déclenchées récemment, alors que la Turquie a décidé de créer une base militaire dans l’enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan. Les experts d’Arménie ont été surpris par la soudaine accalmie des incidents transfrontaliers avec l’Azerbaïdjan. Des questions avaient été soulevées pour savoir si cela résultait de la brève conversation dans un ascenseur d’Astana, entre le Premier ministre Nikol Pachinian et le président Ilham Aliev, alors que les deux hommes assistaient à une réunion. Les spéculations réfèrent également à l’évolution des relations de la Turquie avec ses voisins.
Les développements mentionnés plus haut coïncident également avec la décision d’Erdogan de restituer trois biens confisqués à la communauté arménienne.
En guise de conciliation, l’Arménie s’est également engagée dans l’imbroglio syrien avec son contingent de personnel non militaire pour une mission humanitaire sous commandement russe. Le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, s’est déjà demandé si la mission avait un caractère véritablement humanitaire ou militaire et avait même conseillé à Pachinian de ne pas déployer le groupe en Syrie.
La participation de l’Arménie en Syrie n’affectera pas l’équilibre militaire, mais la défiance de Pachinian face aux avertissements de Bolton a permis à l’Arménie de marquer des points.
Erévan est dans l’impasse face à la Biélorussie pour la nomination du secrétaire général de l’alliance militaire de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et Moscou penche pour l’Arménie, signe positif de l’amélioration des relations entre l’Arménie et la Russie.
La Turquie a ses forces d’occupation à Chypre, bloquant tout progrès par rapport aux pourparlers en cours. Malgré cette impasse, le Premier ministre socialiste grec Alexis Tsipras a décidé de se rendre en visite officielle en Turquie en février. Il y a quelques semaines à peine, un général turc menaçait de détruire la Grèce en quatre heures en raison du différend quant à une île égéenne cédée à la Grèce par le traité de Lausanne de 1923. Ce traité définit la frontière entre la Grèce et la Turquie, et marque l’acte de naissance de la Turquie moderne.
En Grèce, le gouvernement conservateur précédent ainsi que le gouvernement socialiste actuel ont mené des politiques erratiques et opportunistes vis-à-vis de la Turquie, passant des menaces aux conciliations.
L’agenda du Premier ministre Alexis Tsipras lors de sa récente visite en Turquie manque de clarté. Même ses déclarations publiques n’ont pas permis de faire la lumière sur cette mission. S’adressant à l’agence de presse officielle Anadolu d’Ankara, il a déclaré : « Les relations gréco-turques doivent créer les conditions pour que des mesures historiques puissent être prises. »
Il a également déclaré que ses relations avec M. Erdogan avaient été « contestées dans des moments très difficiles, mais cela nous a permis de consolider les canaux de communication à plusieurs niveaux, de surmonter les obstacles et de pouvoir aujourd’hui parler d’un agenda positif. »
M. Tsipras a visité le séminaire orthodoxe grec de l’île d’Heybeli, fermé par le gouvernement turc en 1971, ainsi que le séminaire arménien de Sourp Khatch. La visite symbolique a réconforté la communauté orthodoxe grecque dans l’espoir que le gouvernement autorise sa réouverture. Mais lors de sa visite en Grèce, M. Erdogan avait conditionné l’ouverture du séminaire grec à la construction d’une mosquée à Athènes. Il avait également surpris ses hôtes grecs lorsqu’il avait proposé de réviser le Traité de Lausanne, probablement pour assurer le retour de certaines îles de la mer Égée sur le littoral turc à Ankara.
Malgré le style populiste du président Erdogan, la Turquie mène une politique extrêmement raffinée dans la région. L’Arménie compte sur Erdogan comme un personnage de bande dessinée, mais nous devons comprendre qu’il se fie à l’expérience de six cents ans de pouvoir à la tête d’un empire colonial. Nous devons reconnaître et comprendre le véritable pouvoir de notre ennemi et agir en conséquence. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.