Réprimande inhumaine pour la mission humanitaire arménienne

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 21 février 2019

La guerre en Syrie en est à sa huitième année et la paix demeure insaisissable en dépit de la destruction presque totale des forces de l’État islamique (EI). Pour les factions en présence, les 500 000 morts et les 8 millions de réfugiés ne semblent pas être une raison suffisante pour mettre fin au carnage alors que les négociations d’un accord de paix entre les parties impliquées est en vue.
La Syrie n’est pas un quelconque pays pour les Arméniens; c’est le pays qui, il y a un siècle, a accueilli 500 000 Arméniens qui avaient survécu au génocide ainsi qu’aux déportations de Cilicie. Les Français ont honteusement abandonné des centaines de milliers d’Arméniens rentrés en Cilicie sur la promesse d’un gouvernement autonome sous un protectorat français. La Syrie n’est donc pas un pays qui nous est indifférent.
Les Arméniens installés dans les grandes villes d’Alep et de Damas, ainsi que dans les zones rurales, jouissaient de la sécurité et du respect de leur identité et de leur religion. Ils ont prospéré dans ce pays grâce à leurs écoles, leurs églises, leurs centres culturels et de jeunes et la communauté est devenue un exportateur d’enseignants, de prêtres, d’intellectuels et d’artistes vers d’autres communautés de la diaspora.
Avant la guerre de Syrie, la communauté arménienne comptait 110 000 personnes. Aujourd’hui, elle est réduite à moins de la moitié. Beaucoup sont retournés afin de reconstruire leurs maisons, leurs entreprises, leurs églises et leurs centres culturels.
Au cours des huit années de guerre civile, la diaspora arménienne mondiale a recueilli des fonds et envoyé de l’aide à ses frères et sœurs dans ce pays en crise. La communauté arménienne américaine a généreusement apporté son soutien aux familles arméniennes de Syrie dans le besoin. L’Arménie, qui est toujours un pays pauvre, a fait sa part grâce à quatre avions chargés de provisions. Elle a également accueilli 22 000 réfugiés syriens, sans aucune aide des organismes internationaux de secours pour faciliter leur réinstallation. De même, de nombreux Arméniens syriens ont pu accéder gratuitement aux universités et obtenir de l’aide pour créer leur propre entreprise en Arménie.
En revanche, la Turquie s’est vu attribuer des milliards de dollars pour l’installation de réfugiés, alors qu’elle a utilisé ces réfugiés comme arme politique, les abandonnant dans des camps de réfugiés, dans des conditions inhumaines.
Les Arméniens de Syrie ont non seulement subi des dommages collatéraux durant la guerre, mais ont également servi de cibles. L’occupation de la région historique arménienne de Kessab incombait aux substituts de la Turquie, de même que la destruction du monument des Martyrs à Deir ez-Zor, dédié au génocide qui avait amené tant d’Arméniens en Syrie.
La communauté arménienne internationale se doit de soutenir la réinstallation et la guérison de ses compatriotes Arméniens de Syrie.
Le gouvernement arménien a déployé ce mois-ci une mission humanitaire avec 83 experts en déminage et en soins de santé. La mission n’est ni armée ni capable de mener des combats. Elle travaillera dans les zones où la vie civile est revenue à la normale, notamment à Alep, où les Arméniens demeurent concentrés.
Pourtant, cette mission pacifique s’est transformée en une partie de football politique entre les États-Unis et l’Arménie. En réalité, entre les États-Unis et la Russie, l’Arménie payant le prix d’être un acteur mineur dans un champ de mines mondial.
Alors que la guerre faisait rage, Moscou avait demandé à ses alliés stratégiques de contribuer aux efforts de combat. La Biélorussie, le Kazakhstan et le Kirghizistan ont refusé. Le président Serge Sargissian avait mis en garde les Arméniens de Syrie de se conformer à une stricte neutralité afin de ne pas être identifiés à une partie quelconque et de ne pas devenir une cible pour les terroristes de l’État islamique. Mais, maintenant que la guerre s’est calmée, le nouveau gouvernement arménien a fait le pari politique, peut-être sans se rendre compte, que la mission pourrait se politiser en dépit de sa nature humanitaire.

Lorsque le Premier ministre Nikol Pachinian a rencontré le conseiller à la Sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Bolton, à l’automne dernier, la mission a fait l’objet d’une discussion et les responsables arméniens ont rassuré le diplomate américain sur le fait qu’elle était purement humanitaire. Par conséquent, les États-Unis n’auraient dû soulever aucune objection.
M. Bolton a également demandé au gouvernement arménien de fermer sa frontière avec l’Iran, conformément aux sanctions économiques prises par les États-Unis contre ce pays. M. Bolton n’est pas inquiet à l’idée que la fermeture de la frontière iranienne équivaudrait à un suicide, étant donné que la seule autre frontière avec le monde extérieur passe par la Géorgie, un voisin qui coopère avec la Turquie et l’Azerbaïdjan pour isoler l’Arménie. M. Bolton n’a même pas pris la peine de forcer la Turquie et l’Azerbaïdjan à lever le blocus en contrepartie du respect de la politique américaine par l’Arménie.

Après des discussions officielles avec Bolton et après avoir confirmé le caractère pacifique de la mission, la réprimande laconique du département d’État, diffusée par l’ambassade des États-Unis à Erévan, est une surprise. « Nous reconnaissons le désir d’autres nations de réagir à la situation humanitaire en Syrie et partageons leurs préoccupations concernant la protection des minorités religieuses au Moyen-Orient. Cependant, nous ne soutenons aucun engagement avec les forces militaires syriennes, qu’il s’agisse de fournir une assistance aux civils ou de nature militaire. Nous ne soutenons pas non plus la moindre coopération entre l’Arménie et la Russie pour cette mission. La Russie s’est associée au régime Assad pour massacrer des civils et provoquer une catastrophe humanitaire. La Russie continue de protéger le régime Assad et ses atrocités sur la scène mondiale. »
Ce n’est pas à nous de défendre Assad ou de justifier les actions de la Russie, quoi que les médias aient fait pour les diaboliser. Il suffit de noter que même le commentateur de droite, Glenn Beck, a exprimé son dégoût quant au niveau et à la nature des atrocités perpétrées par le suppléant turco-saoudien, l’EI. En outre, le discours des politiciens ne laissera jamais émerger de son arsenal l’accusation selon laquelle le régime de Damas aurait utilisé du gaz toxique, même après la révélation de la BBC selon laquelle il s’agirait d’un canular.
Le ministère des Affaires étrangères arménien a délicatement réagi à la déclaration américaine.
« La mission humanitaire arménienne en Syrie est purement une mission de secours régie par le droit international humanitaire et coordonne ses activités avec les agences de secours et les partenaires internationaux présents sur le terrain », a déclaré la porte-parole du ministère arménien des Affaires étrangères, Anna Naghdalian.
Rouben Roubinian, président de la commission des relations extérieures du Parlement arménien, a quant à lui minimisé l’importance du problème en déclarant: « Envoyer une équipe de spécialistes en Syrie est très importante pour nous, car elle vise avant tout à assurer la sécurité physique des personnes pour nos compatriotes de souche arménienne qui y vivent ainsi que pour la sécurité des personnes vivant en Syrie. Il ne s’agit donc pas d’un geste géopolitique, politique ou militaire. C’est purement humanitaire. »
Le ministre de la défense de Chypre, un membre de l’Union européenne, Savvas Angelides, qui se trouvait en Arménie en visite officielle, a fermement appuyé la mission de l’Arménie.
En outre, l’Arménie n’a jamais été félicitée ni remerciée pour sa participation répétée aux missions de maintien de la paix menées par l’OTAN au Kosovo et en Afghanistan, ainsi que par les Nations Unies dans le Sud-Liban. Il a suffi que Sergey Shoygu, ministre russe de la Défense, remercie l’Arménie d’avoir envoyé la mission sous les ordres de la Russie, pour transformer la question en controverse dans la politique américaine de confinement de la Russie.
L’Arménie n’est pas en position de faire plus que ce qu’elle a fait jusqu’à présent. Il incombe aux Arméniens des États-Unis d’élever la voix. Il est encourageant que l’administration Trump se désengage de la guerre en Syrie et retire ses forces du champ de bataille. C’est une reconnaissance suffisante et une concession aux parties restantes pour régler le conflit syrien, à savoir la Russie, l’Iran et la Turquie. Le rôle de l’Arménie demeure symbolique pour en faire un problème important pour le département d’État.
La mission humanitaire fait partie intégrante de l’assistance humanitaire fournie par la communauté arménienne mondiale pour venir en aide aux Arméniens démunis. Les Arméniens doivent être en mesure de rassembler suffisamment de courage politique pour résister à la réaction du Département d’État, qui est sans commune mesure avec les efforts déployés.
Le département d’État doit comprendre et permettre une certaine humanité dans cette mission humanitaire. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.