Tout nouveau développement sur la scène mondiale est perçu et interprété par chaque pays à partir de sa propre perspective, ce qui n’est pas nécessairement conforme au contexte et à la réalité en question.
Lorsque la Fédération yougoslave a été bombardée et démantelée, donnant naissance à une nouvelle nation au cœur de l’Europe et voisine de l’Albanie, à savoir le Kosovo, un espoir a été exprimé en Arménie que le Kosovo pourrait servir de précédent à la reconnaissance de l’indépendance du Haut-Karabagh.
Ce genre de logique ignore le fait que la légalité est au mieux une feuille de vigne pour couvrir les réalités créées par un avantage numérique. Les grandes puissances répondent à leurs intérêts, créent des faits sur le terrain et développent ensuite des paramètres juridiques justifiant un fait accompli.
Lorsque les Arméniens ont été réconfortés par le précédent du Kosovo, on leur a dit que chaque cas était différent, ayant ses propres prémisses juridiques, même si cette justification défiait toute logique.
Aujourd’hui, une nouvelle réalité est apparue. Nous vivons dans le monde de Trump, un monde très coloré et remué chaque jour par de nouvelles surprises. Le président Trump a offert un nouveau cadeau à Israël à travers une nouvelle proclamation dans laquelle les États-Unis reconnaissent la souveraineté d’Israël sur les hauteurs du Golan.
Les hauteurs du Golan sont un territoire syrien historique, occupé par Israël durant la guerre des Six jours depuis 1967. Le Golan possède des ressources en eau pour l’agriculture, mais surtout une valeur stratégique importante pour les deux parties. Au cours de cette guerre, les batailles les plus féroces ont eu lieu sur les hauteurs du Golan, où Israël a subi les plus lourdes pertes. Mais les dirigeants israéliens estiment que la valeur du territoire conquis justifie les sacrifices. Israël avait déjà annexé les hauteurs du Golan à son propre territoire, ignorant le tollé suscité au Moyen-Orient. La proclamation du président Trump n’offre qu’un appui des États-Unis à l’action israélienne.
Cet accord est motivé par les politiques intérieures israélienne et américaine. Les deux dirigeants, Benjamin Netanyahu et le président Trump, vivent dans l’ombre d’inculpations légales et éthiques.
Netanyahu fait face à des poursuites judiciaires pour accusations de corruption qui pourraient compromettre ses chances lors des prochaines élections. Trump, à son tour, est sous l’ombre d’une enquête menée par l’avocat spécial Robert Mueller, qui alimente les perspectives de mise en accusation dans les rangs démocrates.
Selon le procureur général des États-Unis, William Barr, bien que le rapport Mueller n’ait conclu à aucune collusion, Trump n’est pas exonéré non plus. Il ne s’agit que d’une victoire partielle pour le président, qui doit faire face à des perspectives de réélection difficiles dans son propre pays. Par conséquent, le cadeau offert à Israël n’est qu’un radeau politique pour les deux dirigeants. Cette action dynamisera davantage la base évangélique de Trump et améliorera ses relations avec les électeurs juifs conservateurs.
Bien que l’initiative ait été prise sur la base de préoccupations nationales, elle a eu d’énormes répercussions internationales, dont M. Trump se moque bien.
La réaction de colère du gouvernement syrien assiégé était anticipée. Les autorités des Nations Unies ont également réagi. Le secrétaire général, António Guterres, a déclaré qu’il était « clair que le statut du Golan n’a pas changé ».
« La politique des Nations Unies dans le Golan se reflète dans les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et cette politique n’a pas changé », a ajouté Stéphane Dujarric, porte-parole de l’ONU.
Le Golan est la deuxième amputation du territoire syrien. La première a eu lieu à l’ère de la décolonisation, au moment où les forces d’occupation françaises quittaient le Moyen-Orient. En 1939, Le sandjak d’Alexandrette est un territoire, aujourd’hui turc, situé à l’extrémité orientale du littoral méditerranéen de la Turquie, à la frontière syrienne. Il correspond à peu près à l’actuelle province turque du Hatay.
Le gouvernement syrien n’a jamais reconnu cette perte. Il considère toujours Hatay dans toutes les cartes officielles et tous les manuels scolaires comme appartenant à la Syrie. Mais lors de la lune de miel initiale entre la Syrie et la Turquie, l’Accord d’Adana a été signé en 1998, principalement pour dissuader les incursions des Kurdes à partir du territoire syrien vers la Turquie, et Damas a tacitement acquiescé au destin de Hatay.
La proclamation du président Trump a également suscité un débat politique sérieux en Arménie. Une fois de plus, la logique du Kosovo est en train de renaître pour voir si le précédent et la logique du Golan peuvent être utilisés pour faire avancer la position de l’Arménie et le destin du Karabagh. Non seulement les médias se sont excités, mais même les responsables officiels ont réagi.
Le chef de cabinet du président du Karabagh, David Babayan, a déclaré : « Trump a déclaré ouvertement que les hauteurs du Golan devaient appartenir à Israël… Nous avons ici également une situation similaire. Tel est le destin de Karvajar, où se trouvent nos ressources en eau. Si aujourd’hui nous échouons à insister pour que Karvajar demeure à l’intérieur des frontières de l’État arménien, nous serons blâmés pour le manque de volonté politique à l’avenir. »
D’autres experts insistent sur les relations arméno-américaines. En effet, la décision du président Trump est le reflet de relations étroites américano-israéliennes auxquelles l’Arménie n’est pas attachée. Un éminent analyste politique a déclaré qu’il pensait que « dans une perspective plus large, tout ce que Trump a proposé pour le plateau du Golan, Obama le proposait dans le cas du Karabagh, en s’appuyant sur les échecs des politiques russe et azerbaïdjanais au lendemain de la guerre d’avril ».
Un autre commentateur qui a écrit sous le pseudonyme d’Aram Amaduni (très probablement un membre du parlement) profitait de l’occasion pour promouvoir une politique pro-américaine pour l’Arménie. Reposant sur les relations américano-israéliennes, il propose que l’Arménie devienne un outil anti-russe dans le Caucase pour jouir de la confiance des États-Unis et, bien entendu, se qualifier pour ses largesses.
Toute cette analyse et cette excitation peuvent constituer un exercice politique sain, mais les analogies ne peuvent et ne contribueront pas à résoudre le conflit du Karabagh. Il faut la sagesse politique de l’Arménie pour obtenir le soutien international, appuyé par la détermination de l’Arménie de défendre le Karabagh par la force, si nécessaire. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.