Tous les jours, la politique intérieure arménienne connaît un développement spectaculaire, mais l’enfer a éclaté cette fin de semaine avec la libération de Robert Kotcharian, deuxième président de l’Arménie, incarcéré dans l’attente de son procès. Il est accusé d’avoir miné la constitution arménienne lors des émeutes du 1er mars 2008, au cours desquelles 10 personnes ont été tuées, dont deux policiers.
Les séances au tribunal sont devenues un cirque avec les manifestations et les acclamations des admirateurs de Kotcharian et les railleries de ses adversaires. Les sessions sont également devenues des sujets enflammés dans les médias. Il est ironique de constater que personne n’a remis en question la raison pour laquelle Kotcharian suscite tant d’attention, alors que la révolution de velours avait visé Serge Sargissian.
En effet, ce dernier est libre et actif à la tête de son parti républicain décimé et planifie son retour en politique.
La révolution de velours a balayé la vieille garde qui monopolisait la scène politique d’Arménie. Certains groupes ont également tenté d’exporter la révolution au Karabagh, mais les têtes les plus froides y régnaient, réalisant la situation délicate et précaire sur le territoire. Cela n’a pas dissuadé tous les partis perdants lors des dernières élections législatives d’Arménie de tenter leur chance au Karabagh, en y construisant leurs propres bases de pouvoir. Le mouvement a débuté par une convention de la FRA (Fédération révolutionnaire arménienne, Dashnaktsoutioun), qui a tenu sa convention en février dernier à Stepanakert, où le chef sortant du parti, Hrant Markarian, n’a pas hésité à déclarer que son parti éliminera du pouvoir le Parti des contrats sociaux du Premier ministre Nikol Pachinian et reprendra le gouvernement en l’éloignant du pouvoir.
La FRA est retournée au Karabagh pour une seconde fois en mai et a pris des risques politiques en organisant un forum et a invité de nombreux autres groupes, y compris l’ancien Premier ministre et candidat à la présidence, Vazgen Manoukian, qui présidait le forum dans le but de d’entrainer l’opinion publique et forcer la conclusion d’un traité entre l’Arménie et le Karabagh. Bien que l’idée n’ait pas eu beaucoup de succès, les organisateurs avaient l’intention d’envoyer un message voulant démontrer que le parti était en vie même après avoir perdu les élections législatives.
L’ancien président, Serge Sargissian, a ensuite prononcé son premier discours politique depuis son éviction du pouvoir.
Une autre phase de cette chaîne d’événements est le grincement des dents du parti militant Sasna Tserer, qui affirme que tant que l’élite politique actuelle du Karabagh n’est pas renversée, la révolution de velours ne pourra être considérée comme réalisée.
Sous l’ombre de cette invasion de forces politiques arméniennes, le peuple du Karabagh se préoccupe de sa propre politique intérieure en prévision de la prochaine élection présidentielle. Alors que le président actuel, Bako Sahakian, a déclaré qu’il ne se représenterait plus jamais, quatre candidats ont émergé.
À ce stade, les principaux candidats semblent être Arayik Haroutiounian, l’ancien Premier ministre du Karabagh, qui a développé une infrastructure agricole dans ce pays, bénéficiant du soutien de la population. Haroutiounian, bien que populaire, n’a pas été impliqué dans les négociations du Karabagh.
Samvel Babayan a été un héros de guerre du Karabagh, mais sa carrière politique a été marquée par des actions opportunistes qui l’ont conduit deux fois en prison, au Karabagh et en Arménie.
Valery Balasayan est un autre héros qui peut contrôler les pulsions aventureuses de Babayan.
Le dernier candidat est Achod Ghoulian, l’actuel président du parlement. Bien qu’il soit un homme politique solide, sa popularité et ses chances de succès sont faibles.
Dans toutes les élections du Karabagh, la main discrète du gouvernement d’Erévan a été active. Actuellement, cette influence est subtile.
Mais revenons à la sortie de prison de Kotcharian. On dirait que c’est la dernière goutte qui a fait déborder le vase, en révélant le clivage qui règne entre les gouvernements d’Arménie et du Karabagh.
Le premier président d’Arménie, Levon Ter-Petrosian, a semé les bases de cette discorde et a affirmé durant toute sa carrière dans l’opposition politique que le clan du Karabagh avait usurpé le pouvoir en Arménie, suscitant le ressentiment de la population arménienne. Ce ressentiment a été exprimé lors du procès Kotcharian lorsque le juge a ordonné la fin de son incarcération avant le procès. Alors que les partisans de Kotcharian se réjouissaient de la décision, ses opposants ont commencé à blâmer le président Sahakian et l’ancien président Arkady Ghoukasian, les qualifiant de « traîtres » et de « Turcs ».
Beaucoup pensent que la révolution de velours a entraîné la fin du clan du Karabagh. Pourtant, avec la libération de Kotcharian, ils soupçonnent que de futurs méfaits auront à nouveau lieu.
La décision elle-même a conduit à de nombreuses interprétations et débats animés; Certaines personnes pensent que cette décision résulte de la liberté des tribunaux de subir des pressions politiques du gouvernement actuel. D’autres interprètent la situation comme signifiant que Pachinian a perdu le contrôle du système judiciaire. D’autres encore sont d’avis que la décision a été prise par d’anciens juges corrompus mis en place par le régime précédent.
Mais toutes les indications donnent à penser que toute la question résulte de pressions politiques exercées par Moscou. En effet, le président Vladimir Poutine avait adressé à Kotcharian des messages de félicitations à l’occasion de son anniversaire, alors qu’il était en prison, indiquant son mécontentement face au sort tragique de son ancien allié et ami personnel. Il ne fait aucun doute que le président russe a dû plaider personnellement le cas de Kotcharian lors de ses entretiens avec le Premier ministre Pachinian.
Depuis que Pachinian est arrivé au pouvoir, les relations amicales avec la Russie ne se sont pas améliorées, peu importe les efforts du Premier ministre arménien.
M. Poutine se soucie moins de l’ampleur du chaos qui aurait pu être créé par les dirigeants de l’ancien régime corrompu. De son point de vue, la révolution de velours avait toutes les subtilités et les méthodes des révolutions de couleur en Géorgie et en Ukraine, de sorte que les amis fidèles de la Russie étaient traumatisés.
Il doit y avoir un peu de vérité dans cette perspective, car de nos jours, le changement de régime et le renversement des gouvernements ne se font pas toujours par des armes à feu. Les techniques modernes sont beaucoup plus raffinées. Tout chef d’État faisant obstacle à une grande puissance est d’abord vilipendé et diabolisé par le biais de puissants médias sociaux. Cette mission est complétée notamment par la mission « caritative » de la Fondation Soros qui engage des fusils dans la presse.
La pression exercée par le front Poutine sur Pachinian a certainement mené à la libération de Kotcharian. Pachinian n’avait besoin que d’une feuille légale pour libérer Kotcharian. Cette légalité a été fournie par Bako Sahakian et Arkady Ghoukasian, anciens compagnons d’armes de Kotcharian et Sargissian lors de la guerre d’indépendance du Karabagh, qui ont entrepris la mission en prévoyant que des insultes leur seraient lancées au tribunal.
La rupture entre l’Arménie et le Karabagh entraînera un désastre qui devrait être évité à tout prix.
Il ne fait aucun doute que des forces extérieures ont peut-être contribué à briser à tout prix la détermination de l’Arménie de s’accrocher au Karabagh.
Toutes ces querelles intestines se déroulent sous les yeux vigilants d’Ilham Aliev, qui tient l’axe symbolique du meurtrier Ramil Safarov pour frapper notre peuple au Karabagh et en Arménie.
Depuis que Pachinian est arrivé au pouvoir, ses partisans ont eu envie de mettre en place une justice transitionnelle, de rassembler des pouvoirs considérables pour régler des comptes avec les dirigeants de l’ancien gouvernement. La tourmente créée par la libération de Kotcharian a permis au Premier ministre d’agir. Le 20 mai, il a ordonné la fermeture de tous les tribunaux et s’est rendu sur les médias sociaux pour annoncer sa décision.
La Constitution arménienne (article 163-2) interdit la création de tribunaux spéciaux pour empêcher le gouvernement d’exercer un pouvoir absolu. La prochaine session du parlement discutera de la manière de contourner ce problème et d’aller de l’avant. Tous les dictateurs de l’histoire ont parlé au nom du peuple et ont assumé le pouvoir au nom du peuple, les utilisant rarement pour le bien du peuple. Cette situation suscite des craintes, car le Premier ministre a déjà sous son contrôle les pouvoirs exécutif et législatif et va maintenant ajouter le pouvoir judiciaire, ce qui lui donnera le pouvoir absolu. Il existe une attitude attentiste pour savoir où mènera cette consolidation de pouvoir.
Dans notre histoire, l’empire de Tigrane le Grand s’est effondré en raison de la collusion de son fils avec ses ennemis romains. En 1375, le royaume cilicien est tombé aux mains des mamelouks, car les querelles des princes avaient affaibli le royaume. Ces cas doivent nous mettre en garde en ce qui concerne une répétition du 21 mai.
Seul un coup d’œil par-dessus la frontière azerbaïdjanaise peut faire réfléchir toutes les têtes politiques, promoteurs de la dissension et politiciens myopes. Le point de vue de l’armée militaire azérie sur notre frontière devrait être un motif suffisant de prudence et de sagesse. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.