Les ministres des Affaires étrangères d’Arménie et d’Azerbaïdjan se rendent à Washington pour une nouvelle série de pourparlers dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ces entretiens sont devenus des rituels routiniers, au cours desquels la diplomatie tourne au vinaigre, et sur le terrain, un affrontement sérieux entre les parties s’amplifie.
Historiquement, ces rencontres se sont révélées vaines, surtout lorsqu’elles ont lieu dans une grande capitale. Dans des centres très en vue, au lieu de chercher une solution, le problème se transforme en rivalité. Il n’est, par exemple, pas de l’intérêt de Moscou de faire une percée soudaine à Washington. Par conséquent, aucune avancée décisive n’a pu être réalisée à Moscou pour la même raison.
Les parties sont loin de parvenir à un accord ou à une avancée décisive, car les nuages s’amoncellent, alors qu’elles se préparent à parler de paix. Un analyste militaire, Hayk Nahapetian, a récemment commenté dans la presse arménienne l’évolution de la situation dans la région en déclarant: « L’Azerbaïdjan restreint lentement mais régulièrement le cercle qui entoure l’Artzakh », faisant référence aux exercices militaires turco-azerbaïdjanais au Nakhitchevan. « Une telle augmentation de l’intensité », a déclaré Nahapetian, « a également été observée en février-mars 2016, à la veille des opérations militaires d’avril. »
L’Azerbaïdjan avait précédemment annoncé les plans de sept exercices conjoints avec l’armée turque, mais ce nombre a été porté à 13, signe d’une aggravation de la situation.
Avertie par ce rassemblement, l’Arménie a également augmenté sa préparation militaire, afin d’éviter une répétition de l’attaque furtive de l’Azerbaïdjan sur l’Artzakh en avril 2016.
Une évolution plus alarmante est le déploiement massif de troupes turques au Nakhitchevan.
Alors que la Turquie est dans le même lit que Moscou et Téhéran sur la question syrienne, elle cherche des objectifs alternatifs dans le Caucase.
Un objectif à court terme est de renforcer le moral de l’armée azerbaïdjanaise face aux forces arméniennes. Mais il semblerait qu’Ankara poursuive également des objectifs à long terme, se concentrant plus à l’est.
La poussée des forces turques vers le Nakhitchevan est particulièrement révélatrice, car elle coïncide avec l’augmentation des troupes américaines dans le golfe Persique. Nous n’avons pas encore entendu d’explications plausibles sur les mouvements parallèles de ces forces, qui permettent aux États-Unis de confier certaines tâches stratégiques à la Turquie.
D’une part, la poussée turque vers l’est a des motivations historiques. La Turquie n’a pas renoncé à ses rêves ottomans de placer sous son autorité les nations turcophones d’Asie centrale. Au cours des négociations du traité de Kars de 1921, la Turquie a été en mesure d’ouvrir un corridor territorial de 15 miles avec l’Azerbaïdjan afin de permettre un accès contigu au territoire.
D’autre part, la Turquie agit comme membre de l’OTAN, sans parler de son impasse actuelle avec Washington.
Les relations américano-turques ont connu des périodes de turbulences par le passé et Ankara a compris que l’acrobatie politique était payante. À l’heure actuelle, alors que les experts retiennent leur souffle sur l’ultimatum de Washington envers la Turquie quant à l’achat de missiles russes S-400, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déjà un plan B pour éviter une catastrophe.
Depuis que l’Occident a concocté et exécuté le « Printemps arabe », la Turquie en a été la seconde bénéficiaire après Israël.
En concentrant ses forces sur le Nakhitchevan, M. Erdogan compte sur le discours de guerre du conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, et du secrétaire d’État, Mike Pompeo, qui semblent prêts à déclencher un conflit avec l’Iran.
Au lendemain du « Printemps arabe » en Irak, la Turquie a pu stationner ses forces dans ce pays, sous prétexte de protéger la minorité turkmène, mais en réalité limiter les activités du Parti des travailleurs kurdes (PKK) contre l’Irak. Tout en maintenant des relations amicales avec le gouvernement régional kurde, le gouvernement turc veille à empêcher l’émergence d’un Kurdistan indépendant qui pourrait enflammer les aspirations de tous les Kurdes du Moyen-Orient.
Toujours dans le cadre du « printemps », la Turquie a déplacé ses forces en Syrie et s’est accrochée avec ténacité à des parcelles de son territoire.
Enfin, le « printemps » a également balayé la Libye, où une guerre d’usure sévit actuellement et où la Turquie s’est rangée du côté des forces islamistes. Il ne faut pas oublier que la Libye était autrefois sous domination ottomane, aux côtés de la Syrie et de l’Irak.
Au vu de tous ces développements, il serait naïf de penser que la Turquie est un parti désintéressé et innocent aux portes de Téhéran.
Les deux principales forces qui ont historiquement mené de nombreuses guerres dans la région avec l’empire ottoman ont été les empires russe et perse.
Au milieu de tous ces développements régionaux et internationaux alarmants, il semblerait que le fossé entre Erévan et l’Artzakh s’aggrave. Selon diverses sources, les démissions de Vitaly Balasanian, secrétaire du Conseil de sécurité nationale d’Artzakh, et d’Arthur Aghabekian, conseiller du président en Artzakh, ont été demandées par le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. C’est le pire moment pour déstabiliser l’Artzakh à la lumière du péril imminent qui l’entoure.
Washington n’a jamais caché son intention de diviser l’Iran le long de ses lignes de fracture ethniques. Bien entendu, cela profitera à l’Azerbaïdjan et lui permettra de réaliser le rêve de l’un de ses derniers dirigeants, Abulfaz Elchibey. La Turquie attend également dans les coulisses pour prendre sa part du butin, à la fois en tant que partenaire de l’OTAN et en tant qu’héritier « légitime » de l’héritage ottoman.
La complexité régionale du Caucase amplifie le potentiel de guerre dans ce pays et lui donne la possibilité de devenir un problème mondial, bien au-delà de la confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Le monde observe cette situation explosive avec appréhension. Tout incident mineur ou majeur peut entraîner une conflagration plus large.
Les guerres en Irak et en Syrie ont montré qu’il existe de nombreuses opérations sous fausse bannière pour inciter à la guerre; les récentes attaques de pétroliers dans le golfe Persique sont certainement de cette nature.
Après avoir récupéré des morceaux de territoire ottoman à Chypre, en Irak et en Syrie, Ankara espère une catastrophe en Iran.
Les plans et les actions de la Turquie sont dévoilés. Il reste à connaître les positions de la Russie et de la Chine, qui risquent de se perdre, si la machine de guerre se déplaçait vers le Caucase. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.