L’Arménie a présidé le sommet de l’Union économique eurasienne (UEE), qui a débuté le 1er octobre à Erévan. Beaucoup de politique de fond et de théâtre étaient en jeu.
La session s’est déroulée dans la foulée de la tournée plus qu’ordinaire du Premier ministre Nikol Pachinian aux États-Unis; en effet, une foule de 30 000 personnes était attendue au rassemblement de Los Angeles. À peine 6 000 expatriés enthousiastes s’y sont présentés, envers qui le Premier ministre a été extrêmement reconnaissant. Aucune personnalité politique éminente n’a rencontré le dirigeant arménien, en dépit du fait que l’Arménie ait abandonné ses liens stratégiques avec Moscou, en se penchant vers l’occident.
Sa photo avec le président Trump dans les couloirs du siège des Nations Unies ne constitue pas non plus un succès politique.
De retour en Arménie, certaines spéculations et craintes appréhendaient la session de l’UEE au cours de laquelle, outre les membres de l’organisme, l’Arménie avait invité les dirigeants de l’Iran, de la Moldavie et de Singapour, ce qui étendaient le potentiel et les paramètres économiques de l’union.
Lors d’une précédente session de l’Union économique eurasienne, qui s’était tenue en Arménie, le sultan du Kazakhstan, alors président, avait snobé le dirigeant arménien et avait envoyé son représentant à la session. Lors du même sommet, le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, a carrément rejeté, voire insulté, M. Pachinian.
Au cours de la session du 1er octobre, un drame se préparait avec la participation anticipée du président Vladimir Poutine. Les médias russes avaient signalé le mécontentement du Kremlin face à la révolution de velours en Arménie et les médias sociaux d’Erévan étaient remplis de tristesse.
L’incarcération de l’ancien Président Robert Kotcharian était devenue un important problème et en fait une partie de bras de fer politique entre l’Est et l’Occident.
Le président Poutine avait indiqué qu’il rencontrerait son vieil ami, Kotcharian, même dans sa cellule de prison. Par conséquent, une course contre la montre a commencé et, en dépit de la rancœur publique contre Kotcharian, sa libération potentielle de prison est devenue un suspense.
Beaucoup espéraient malgré tout qu’il serait libéré de prison temporairement pour sauver l’administration de l’embarras. La pression politique dans les coulisses était certainement en jeu pour refuser une victoire au président russe.
Mettant fin à ce drame, la juge Anna Denibekian a rejeté la demande de l’avocat de Kotcharian, Hayk Alumyan, de remise en liberté de l’ancien président. Les médias ont interprété cette position judiciaire comme une réaffirmation de la souveraineté de l’Arménie.
L’administration Pachinian a également pu résister à la pression exercée par les membres de l’UEE pour inviter l’Azerbaïdjan en tant qu’observateur auprès de l’organisation. Cette initiative visait également à empêcher toute possibilité de coopération entre Bakou et l’UEE, du moins au forum des dirigeants.
Les médias de l’opposition spéculaient que le président Poutine ne se présenterait pas à la dernière minute ou que, s’il venait, il assisterait à la session officielle uniquement et partirait rapidement.
En effet, Poutine est descendu de l’avion le visage impassible, mais au fil des jours, son comportement est devenu plus animé. Au lieu de se rendre à la prison de Kotcharian, il a opté pour une brève rencontre avec Mme Bella Kotcharian. Il a pleinement participé aux débats du programme et, en se rendant à l’aéroport, il a eu une conversation en tête-à-tête d’une heure et demie avec le Premier ministre Pachinian.
Lors de sa réunion publique avec le dirigeant arménien, il a félicité son hôte pour son autorité. En fait, la participation de Singapour et de l’Iran a ajouté une nouvelle dimension au forum. Le Premier ministre arménien a eu des entretiens séparés avec le Premier ministre de Singapour, Lee Hsien Loong, et le président iranien, Hassan Rohani, avec qui il a signé des accords de coopération économique. Loukachenko a changé sa relation avec Pachinian au point d’établir une amitié étroite.
L’Iran a manifesté son intérêt pour la relance du projet de centrale électrique dans la région de Meghri.
Au cours des négociations, l’Arménie a discuté du potentiel d’exportation d’énergie renouvelable vers l’Iran contre des importations de gaz. Téhéran a également considéré l’Arménie non seulement comme un intermédiaire sur le marché de l’UEE, mais bien au-delà comme une voie de transit vers l’Europe.
Affecté par les sanctions occidentales, l’Iran cherchait à nouer de nouvelles amitiés et Moscou était impatient de ne pas perdre ses anciens alliés stratégiques, permettant à l’Arménie de restaurer sa souveraineté vis-à-vis de ses vieux partenaires.
La Turquie était le gorille de 800 livres à l’arrière-plan. La présence militaire turque au Nakhitchevan a alarmé ses adversaires historiques, la Russie et l’Iran.
Bien que les trois pays aient coopéré en Syrie, les mouvements actifs de la Turquie dans la région ont semé la peur chez ses voisins. Par conséquent, l’Iran et la Russie ont signé un pacte militaire visant à dissuader l’invasion turque en Azerbaïdjan, tentant de créer un fossé entre l’Iran et la Russie à la demande de l’OTAN. Bien que l’Arménie n’ait aucun rôle à jouer dans ce nouveau rapprochement, elle devient le premier bénéficiaire de ce pacte militaire.
Commentant ces développements, Manvel Sarkissian, directeur du Centre arménien d’études stratégiques et nationales, a écrit: « Les temps changent. Les tendances mondiales obligent tout le monde à adapter ses idées aux relations avec ses partenaires, même ceux qui n’ont jamais été considérés comme tels. La Russie, acculée par les pays occidentaux, ne peut plus compter sur l’Union eurasienne. Il était impératif d’entrer dans un espace plus vaste, dans la sphère des relations entre les principaux pays. Et ici, vous devez changer votre attitude envers vos partenaires traditionnels. Le club connu sous le nom d’UEE n’est pas devenu un mécanisme permettant de déployer un nouveau réseau de relations mondiales. »
L’UEE a été créée par la Russie pour imiter l’Union européenne et faire contrepoids à celle-ci sur la scène mondiale. Mais jusqu’à présent, l’organisme n’a pas atteint ses objectifs, car ses membres ont des intérêts et des politiques diverses. Parfois, ils se font même concurrence sur la scène mondiale, par exemple lorsque la Russie et le Kazakhstan tentent de fournir de l’énergie aux mêmes marchés. Même sa tentative de se battre pour une monnaie commune est un échec.
L’Arménie considère que c’est un moyen de conquérir les marchés internationaux, à l’instar des autres États membres.
La session de l’UEE qui a débuté avec appréhension, a aidé l’Arménie à consolider ses relations avec ses partenaires traditionnels et à développer de nouvelles relations.
Cela aura permis à Erévan de reprendre sa place dans la politique régionale.
Le Congrès mondial des technologies de l’information (CMTI), qui a suivi le sommet de l’UEE, a été la touche finale. Comme l’a annoncé le Premier ministre, « l’Arménie peut devenir un paradis pour les personnes talentueuses ». Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.