Depuis qu’elle a obtenu son indépendance, l’Arménie a du mal à former une société démocratique moderne, tout en essayant d’améliorer la situation économique de ses citoyens. Sa focalisation sur les questions intérieures lui a donné une politique étrangère à deux dimensions, traitant principalement avec un voisin hostile, l’Azerbaïdjan.
Un atout majeur de la politique étrangère arménienne a été sa relation étroite avec la Russie, ce qui a conduit Erévan à la complaisance.
Cet état de fait s’est avéré très utile pour l’Azerbaïdjan, qui, avec sa sœur aînée, la Turquie, a commencé à isoler l’Arménie dans la région, tout en faisant appel à la Géorgie.
L’administration de l’ancien dirigeant géorgien Mikhaïl Saakachvili a représenté l’apogée de la politique pro-azérie et pro-turque de la Géorgie. Le blocus turco-azéri de l’Arménie a été exacerbé, jusqu’à ce jour, par sa collusion avec la Géorgie.
L’Arménie n’a que deux frontières étroites par lesquelles accéder au monde extérieur: la Géorgie et l’Iran.
Malgré une rhétorique amicale entre la Géorgie et l’Arménie, leur coopération économique n’atteint pas son plein potentiel.
La Turquie et l’Azerbaïdjan ont pleinement profité de la situation difficile de l’Arménie pour resserrer le nœud d’isolement autour de son cou.
Après la révolution de velours, l’Arménie a déployé des efforts bien précis pour sortir de son isolement politique. La révolution a d’abord laissé croire à Moscou qu’Erévan sortait de sa zone de contrôle, mais progressivement, un équilibre a été retrouvé.
Les réformes démocratiques de l’Arménie ont été saluées dans les capitales européennes. L’Arménie a profité de cette bonne volonté et cultive activement ses relations avec l’Europe, la France et l’Allemagne étant au premier plan, avec le Conseil de l’Europe en arrière-plan.
Un point critique à ce stade est le référendum de la nouvelle administration sur un amendement visant à se débarrasser de la Cour constitutionnelle mise en place sous le régime précédent. Le référendum devrait avoir lieu en avril et devrait l’emporter à une écrasante majorité.
Cependant, la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, l’organe consultatif chargé de traiter les questions de droit constitutionnel, a exprimé ses réserves quant à la dynamique, estimant que le Premier ministre Nikol Pachinian, après avoir pris le contrôle des pouvoirs exécutif et législatif du gouvernement, tente également de mettre le pouvoir judiciaire sous son contrôle.
Outre le problème ci-dessus, les relations avec l’Europe se sont développées de manière robuste. À ce jour, Pachinian a rencontré la chancelière allemande Angela Merkel à trois reprises. Sa visite à Erévan a été très chaleureuse et a réchauffé les relations diplomatiques. L’Allemagne souhaite développer le couloir menant du golfe Persique à la mer Noire, ce qui pourrait rapprocher cette région de l’Europe.
Lors de sa visite en Allemagne, Pachinian a rencontré la Secrétaire Générale du Conseil de l’Europe (CdE) Marija Pejcinovic Buric. Elle a déclaré « nous avons déjà commencé une coopération intensive entre l’Arménie et le Conseil de l’Europe après la visite du groupe de travail de haut niveau en mai dernier. Je sais que vous avez demandé au CdE de s’engager dans ce processus. Et le CdE a commencé à suivre de près ce qui se passe. »
Un facteur ayant contribué au rapprochement de l’Arménie avec l’Europe a été le refroidissement des relations entre la Turquie et l’Europe, et plus généralement avec l’Occident tout entier.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, a toutefois annoncé récemment que la Turquie explorerait de nouvelles voies pour accroître ses chances d’adhérer à l’Union européenne.
Parallèlement, l’affrontement de la Syrie avec la Turquie a poussé Damas à reconnaître le génocide arménien. Il convient de mentionner que le président Bachar al-Assad était l’un des rares chefs d’État (aux côtés du président Ahmadinejad d’Iran) à avoir évité de se rendre au mémorial des martyrs du génocide arménien en Arménie par crainte d’aliéner Ankara.
Lors de sa récente visite en Allemagne, Pachinian a annoncé qu’il avait invité le président iranien Hassan Rohani à se rendre en Arménie. Cela semble contrebalancer la récente visite productive du roi Abdallah II de Jordanie, allié de l’OTAN et des États-Unis.
La visite du roi Abdallah a été importante pour renouer des liens anciens avec ce pays arabe ami qui a joué un rôle historique dans la protection des Arméniens après le génocide et cherche maintenant un nouveau conduit vers l’Occident.
L’Arménie a également été accusée d’avoir incité l’Iran à coopérer avec l’Union économique eurasienne dirigée par la Russie.
Avec ces relations multidirectionnelles, l’Arménie délaisse progressivement l’étiquette de simple avant-poste de la Russie dans la région, sans s’aliéner ni irriter Moscou.
Avant de passer à une autre dimension de la politique étrangère de l’Arménie, il convient de mentionner que le Premier ministre arménien a rencontré le président azerbaïdjanais Ilham Aliev en marge de la Conférence mondiale de Munich sur la paix et la sécurité la semaine dernière.
J’espère que quelque chose de positif a été réalisé lors de leur rencontre en tête-à-tête. Mais leur débat public a été embarrassant. Pachinian était mal préparé et ce qui a empiré les choses, c’est son utilisation de la langue anglaise qu’il maîtrise mal. Quiconque essaie de convaincre le Premier ministre qu’il a eu une performance exceptionnelle n’est ni son ami ni celui de l’Arménie.
La seule grâce salvatrice a été qu’Aliev n’a pas mieux fait.
En octobre, l’entrevue du ministre des Affaires étrangères Zohrab Mnatsakanian sur le « HardTalk » de la BBC a été également fortement critiquée.
Ces deux performances sont ternes par rapport aux apparitions publiques des anciens ministres des Affaires étrangères Vartan Oskanian et Édouard Nalbandian. Leur compétence linguistique correspondait à l’excellence de leurs compétences diplomatiques. Cette nouvelle administration a cruellement besoin de cadres capables de représenter l’Arménie sous son meilleur jour sur la scène mondiale.
Conformément au développement des relations étrangères de l’Arménie, il y a le prochain sommet avec la Grèce et Chypre. Encore une fois, c’est un facteur d’intimidation de la Turquie. Cette dernière occupe une grande partie de Chypre et a défié la Grèce sur son contrôle de la mer Égée. La récente découverte de gisements de pétrole et de gaz dans la Méditerranée orientale a encore plus galvanisé la situation. Sur la base de son occupation de Chypre, Ankara tente de remédier aux droits miniers inexistants de la soi-disant République turque de Chypre. Tout en entamant ses propres explorations dans la région, la Turquie a menacé d’autres parties qui ont des droits légaux sur la richesse sous-marine.
La Grèce et Chypre ont contacté Israël et l’Égypte pour former des consortiums. Lorsque les intérêts d’Israël sont menacés, le monde sait où est Washington. Malgré les menaces implicites des États-Unis, la Turquie continue de faire du mal dans la région.
Il est acquis d’avance que les parties confrontées à l’intimidation turque doivent coopérer avec d’autres puissances régionales. La Grèce et Chypre ne sont pas à la hauteur de la Turquie. Mais un consensus international pourrait freiner les actions de la Turquie. C’est ainsi que l’Arménie a trouvé sa niche dans cette configuration.
Le ministre des Affaires étrangères Mnatsakanian vient de rencontrer le ministre chypriote des Affaires étrangères Nikos Christodoulides. Il a également appelé son homologue grec, Nikos Dendias. Tous ces contacts se font en préparation d’un sommet trilatéral qui se tiendra ce printemps à Erévan. Le sommet entend élargir le champ de la coopération entre ces trois pays et aidera sans nul doute l’Arménie à consolider son ancrage dans l’Union européenne.
Pour rapprocher encore plus les pays, un contingent de cadets arméniens est déjà formé dans les écoles militaires grecques.
Malgré l’inexpérience du nouveau gouvernement révolutionnaire, sa politique va dans la bonne direction, en vue de sortir le pays de son isolement politique.
Il est ironique que la Turquie contribue également à cette évolution, bien sans le vouloir.
Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.