Élections soudaines en Arménie: solution ou illusion?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 25 mars 2021

Un nuage de fatalisme s’est abattu sur l’Arménie; c’est un moment où les familles de certaines des 5 000 victimes de la récente et désastreuse guerre ont hâte de retrouver les restes de leurs proches. Dix mille soldats blessés sont confrontés à un difficile chemin vers la récupération et la mobilité grâce à l’aide de prothèses. Le pays tout entier est pris dans les griffes d’une pandémie qui fait rage, plaçant ses espoirs sur l’immunité des troupeaux plutôt que sur les vaccins promis qui ne sont pas encore arrivés.

La vie, comme on le voit, est sens dessus dessous en Arménie, à l’exception de la vie politique, qui se prépare à des élections anticipées qui auront lieu le 20 juin.

La coalition au pouvoir Mon Pas du Premier ministre Nikol Pachinian, qui compte 83 sièges sur 132 au parlement, avait auparavant hésité à appuyer sur la gâchette des élections anticipées alors que la pression montait tant de la part de l’opposition que d’autres partis. Les membres ne savaient pas comment ils s’en sortiraient. Au début, le parti a annoncé qu’il n’y avait pas de clameur publique pour des élections alors qu’il était clair que la popularité de Pachinian diminuait. Puis, après avoir été rassurés sur le fait que l’opposition n’avait pas obtenu suffisamment d’élan, ils ont entamé des négociations avec Edmon Maroukian, docile chef du parti d’opposition Arménie lumineuse au parlement.

Cependant, l’un des facteurs décisifs pour les élections anticipées a été le réalignement du Parti de l’Arménie prospère. Son chef, Gagik Tsaroukian, avait auparavant rejoint le Mouvement pour le salut de la patrie, dirigé par l’ancien Premier ministre Vazgen Manoukian. Ce n’est pas la première fois que Tsaroukian change d’allégeance. Lorsque son parti a quitté le mouvement d’opposition de 17 partis et a déclaré publiquement que l’Arménie prospère ne proposerait pas de candidat au poste de Premier ministre, le parti de Pachinian est allé de l’avant et a annoncé la date des élections. Le deuxième coup porté au mouvement d’opposition est venu du Parti de la patrie (Hayrenik), dirigé par l’ancien chef des services de sécurité Arthur Vanetzian. Il est probable que le parti de Vanetzian rejoigne l’Arménie prospère dans une alliance, sinon il n’a aucune chance d’avoir un représentant au parlement. Le mouvement d’opposition a également perdu de sa popularité lorsque son chef, Vazgen Manoukian, a permis au chef de la FRA Ishkhan Saghatelian de le surpasser.

Le chapitre local de la FRA en Arménie ne jouit pas d’une grande popularité; sa conduite a même provoqué une scission dans les rangs de la FRA en diaspora.

Toutes ces défections ont conduit les manifestants de l’opposition qui avaient érigé des tentes rue Baghramian pour bloquer l’entrée au parlement, à abandonner leurs postes.

Alors que l’opposition perdait de son influence, aucun tiers parti n’est apparu pour donner un choix alternatif à l’électorat, rassurant Pachinian sur le défi à l’affronter.

Il existe de nombreux partis marginaux qui prévoient participer aux élections; Le Parti national de Levon Ter-Petrosian, le Parti chrétien-démocrate de Levon Shirinian, le Parti des travailleurs, le Parti du patrimoine et de nombreux autres groupes dont les noms ne sont pas connus du public.

Un développement important à remarquer est la montée en puissance du pôle national populaire (Bever), qui comprend Sasna Tserer et le Parti européen, dirigé par le cinéaste Tigran Khzmalian. Aucun parti n’avait, jusqu’ici, osé se ranger publiquement du côté de l’Occident et de l’OTAN. Le rassemblement public organisé par ce groupe le 16 mars a rassemblé une grande foule qui, le long du drapeau tricolore arménien, a agité les drapeaux américain et français. Les orateurs ont également déclaré que « dorénavant, les vents soufflent de l’ouest et non du nord ».

Ils ont carrément appelé à l’alignement sur l’Union européenne et les États-Unis. Il s’agit là du résultat de la frustration du traitement de l’Arménie par la Russie durant la guerre de 44 jours. En effet, Moscou avait fourni à l’armée arménienne des missiles Iskandar, qui ne se sont pas déclenchés et des avions de combat SU-30 sans leurs missiles.

Pour couronner le tout, certaines voix faisant autorité à Moscou ont blâmé la partie russe d’être à l’origine de la guerre. Constantin Zatulin, le chef de la Commission de politique étrangère de la Douma russe, a accusé les actions russes de contribuer au début de la guerre, tandis que les dirigeants du Kremlin attendaient la gratitude d’Erévan pour avoir arrêté la guerre, suggérant « sinon, l’Arménie aurait fait face au pire ».

Dans son projet de purger l’armée de son élément russophile, le Premier ministre avait limogé le chef d’état-major de l’armée Onik Gasparian, qui, avec 40 autres officiers, avait exigé la démission de celui-ci.

Le décret du premier ministre limogeant Gasparian n’a pas été signé par le président Armen Sarkissian et a été soumis au tribunal administratif, qui l’a jugé illégal et a rétabli Gasparian dans ses fonctions.

Pendant ce temps, Pachinian a nommé Artak Davtian pour remplacer Gasparian. C’est une anomalie dans le système politique qu’un Premier ministre ne puisse faire adopter ses décisions.

Il y a certainement une crise politique, que le parti au pouvoir pense pouvoir atténuer par des élections anticipées. Pachinian lui-même symbolise la défaite mais bénéficiera de l’apathie créée par la dernière guerre.

Des sondages récents indiquent que seulement 40 pour cent des électeurs prévoient de voter.

Malheureusement, pendant ses trente années d’indépendance, l’Arménie n’a pas été en mesure de développer des partis politiques autour d’idées et de philosophies. Au lieu de cela, les électeurs suivent des individus d’influence et changent d’allégeance sans raison.

Selon toute probabilité, l’alliance Mon Pas de Pachinian remportera les élections par défaut, car aucune force alternative n’est apparue et surtout, à cause de l’immaturité politique de l’électorat.

Tout nouveau gouvernement sera confronté à un programme très difficile: préparer l’armée à une prochaine guerre inévitable, développer l’économie, soutenir la modernisation des forces armées, décourager l’exode rapide de la population, restaurer les esprits blessés dans le public et faire face à des négociations difficiles avec l’ennemi pour la mise en œuvre de la déclaration en neuf points du 9 novembre 2020.

Dans l’intervalle, la détérioration des relations entre les États-Unis et la Russie ainsi que les négociations autour de l’accord nucléaire iranien doivent être prises en compte.

Outre ces facteurs politiques externes, certains problèmes internes doivent être résolus: depuis le 27 septembre 2020, la loi martiale est en place et devra être levée avant les élections.

Un projet de loi a été soumis pour modifier le code électoral, il devra être abordé car la configuration du prochain parlement dépend fortement d’une élection en vertu de la loi actuelle ou de celle en attente d’approbation.

La tâche de Pachinian est faite pour lui. Il n’a pu gérer la guerre et pourtant il sera chargé de diriger le redressement d’un pays dévasté.

Selon le scénario le plus optimiste, les élections ne parviendront pas à résoudre le désastre politique, économique, psychologique et diplomatique. Au mieux, cela créera une illusion pour le public.

 

Traduction N.P.