Élection en Arménie: bénédiction déguisée ou étendard d’un désastre ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 13 mai 2021

Des élections anticipées en Arménie sont prévues le 20 juin prochain et la constitution n’autorise que 12 jours de campagne avant cette date. Cependant, la campagne préélectorale prend forme depuis longtemps et les partis d’opposition accusent le Premier ministre par intérim Nikol Pachinian d’avoir utilisé les ressources du gouvernement pour mener sa campagne, en particulier dans les zones rurales, qui semblent constituer la base du pouvoir de Pachinian.

L’atmosphère est si tendue que les animosités, la colère et la rancœur minent l’atmosphère à un tel degré que le discours politique civilisé est devenu impossible.

Même du point de vue pourtant éloigné de la diaspora, une analyse objective montre que ces élections semblent entachées d’une polarisation extrême. Il est difficile de détecter un agenda politique rationnel dans chacun des camps, car tous les partis misent et capitalisent sur l’échec – ou l’échec présumé – de l’adversaire.

Par exemple, la débâcle de la guerre de 44 jours est l’un des sujets brûlants du récit politique. L’opposition blâme Pachinian pour la défaite tandis que Pachinian accuse l’ancien régime de contribuer à la défaite à la suite de 30 ans d’inaction alors que l’Azerbaïdjan était dans une course pour renforcer et moderniser ses forces armées.

Il n’y a pas de voix calmes pour rappeler aux deux parties que toutes les administrations, y compris l’actuelle, se sont vantées tout au long de leur règne du fait que l’Arménie possédait la force de combat la plus redoutable de la région.

Le blâme porte surtout sur la perte humiliante par Pachinian de 75% du Karabagh, ainsi que les sept régions qui étaient censées servir de tampon ou de couloir de défense pour le Karabagh. Nous avons découvert qu’au fil des ans, les négociations avec l’Azerbaïdjan s’étaient concentrées sur le principe de l’échange de terres contre la paix, après avoir échoué à forcer Bakou à signer un traité reconnaissant le statut indépendant du Karabagh le 12 mai 1994. Un cessez-le-feu convenu s’est transformé en une bombe à retardement politique au cours des trois dernières décennies.

Le 10 mai 2021, conformément à la constitution de la République d’Arménie, le parlement a tenté et a échoué à élire un Premier ministre, ce qui a abouti à la dissolution du gouvernement ouvrant ainsi la voie à des élections anticipées.

Lors de la dernière session du parlement, Pachinian a prononcé un long discours passionné défendant les réalisations de son administration.

« Je considère ce que je viens de dire comme notre plus grande réussite: les citoyens de la République d’Arménie se sentent les maîtres de notre pays. En fin de compte, c’est à cela que servait la révolution de velours non violente de 2018 et cet objectif a été atteint. »

L’opposition peut remettre en question cette réalisation, mais il est vrai que les élections de 2018 représentent le seul cas – après la première élection de Levon Ter-Petrosian où la corruption a été déracinée et les pots-de-vin n’ont en aucune façon eu d’incidence sur le résultat des élections.

Cette révolution s’est également efforcée d’éradiquer la bureaucratie dans les institutions gouvernementales, alors que dans les administrations précédentes, les fonctionnaires de haut et de bas niveau ne remplissaient leurs fonctions qu’après avoir reçu des pots-de-vin.

La révolution de velours a également marqué un changement de génération, portant au pouvoir une jeune génération de législateurs et d’administrateurs en Arménie, bien que cette génération se soit révélée plus gênée par l’inexpérience que par le savoir-faire en matière d’innovation.

Dans son discours, Pachinian s’est attribué le mérite de l’élévation du niveau des eaux du lac Sevan et la reconnaissance du génocide par neuf pays, tout cela au cours de son mandat.

Cette dernière hypothèse était malhonnête, car l’équipe de Pachinian, comme celle de Serge Sargissian, a envoyé des signaux aux administrations américaines que la reconnaissance du génocide n’était pas une priorité pour l’Arménie, tombant dans le piège tendu par la Turquie.

L’engagement de Pachinian en 2018 selon lequel la révolution ne se livrera pas à des vendettas contre d’anciens responsables a rapidement été renversé alors que le lynchage politique des membres des administrations précédentes est devenu un sport politique pour divertir le public vengeur. Ce public a également été dupé dans deux autres cas, un national et un étranger.

Dans un premier temps, l’administration de Pachinian a promis de récupérer la richesse acquise illégalement, ce qui a donné l’espoir aux citoyens ordinaires de mettre de la nourriture sur la table des familles, alors qu’elle n’a fait qu’aider à chasser de la capitale le programme économique du pays.

En outre, Pachinian est arrivé au pouvoir avec un plan anti-russe caché, tout en affirmant que la révolution de velours n’avait pas d’agenda de politique étrangère. Ironiquement, Pachinian lui-même est devenu l’otage de Moscou et aujourd’hui, la Russie, tenant Pachinian en esclavage, a la possibilité de demeurer neutre durant les élections législatives parce qu’après la guerre, la politique arménienne elle-même est devenue captive de la politique russe.

Il importe peu de savoir qui est élu, car tous les dirigeants sont et seront à la merci des Russes.

Nikol Pachinian a résisté à des tempêtes politiques potentiellement mortelles et il se sent maintenant rassuré à l’approche des élections législatives, d’autant plus que ses opposants ne parviennent pas à attirer l’attention des électeurs. La coalition de 17 partis dirigée par l’ancien Premier ministre Vasken Manoukian, appelée Salut de la patrie, semblait autrefois prête à réussir, mais s’est effondrée et s’est rapidement désintégrée.

De plus, le président Armen Sarkissian a appelé Pachinian à démissionner et a demandé la formation d’un gouvernement de transition dirigé par des technocrates, proposition tombée dans l’oreille d’un sourd.

Le gouvernement a également pu contrôler les grognements des forces armées dirigées par le général Onik Gasparian.

Ainsi, éprouvé au combat, il est prêt à affronter toute autre opposition sur son chemin.

Les sondages préélectoraux, en particulier dans un pays comme l’Arménie, ne sont guère fiables et extrêmement biaisés. L’un des rares sondages réalisés est celui de l’Institut républicain international, qui prédit que la coalition Mon Pas de Pachinian remportera les élections avec une marge de 33%. Selon eux, les deuxième et troisième places seront occupées par l’Arménie prospère dirigée par Gagik Tsaroukian et l’ancien président Robert Kotcharian, chacun à 3%. Une alliance doit franchir la barre des 8% pour être élue.

En ce moment, deux forces visibles et importantes se font face: Pachinian et Kotcharian.

La coalition de Kotcharian a fait beaucoup de vagues politiques, mais il est très difficile de prédire sa destination.

Le récent rassemblement politique de Kotcharian à Erévan a réuni sur la place de la Liberté 30 000 personnes, ce qui indique que son mouvement prend de l’ampleur. Son alliance, Bloc Arménie, comprend la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA) et le parti Renaissance de l’Arménie basé à Syounik et dirigé par l’ancien gouverneur de la province, Vahe Hagopian.

Son association avec la FRA est une arme à double tranchant. Alors que cette dernière est le seul parti politique d’Arménie avec une histoire et une plate-forme politique, ses principes politiques sont éclipsés par son association passée avec un régime impopulaire, où elle a également été perçue par le public comme une candidate de choix pour le train de la corruption. La FRA est également le parti le mieux organisé, ce qui peut aider le camp de Kotcharian, mais peut s’avérer également un frein à sa popularité.

L’autre énigme est l’association des forces de Syounik avec Kotcharian. Cette région est le talon d’Achille de l’Arménie où Pachinian a même été interdit de visite, créant un dangereux précédent pour un Premier ministre dûment élu qui devrait étendre son pouvoir constitutionnel à tout le pays.

La région est également dans la ligne de mire de l’Azerbaïdjan. Plus les problèmes internes sont excités dans cette région, plus le destin de la région devient ténu. En plus de tous ces problèmes, Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, s’est récemment rendu en Arménie et a suggéré à l’Arménie et à la Russie de signer un accord séparé, censé être destiné à protéger cette région. Cela donnerait la liberté à Moscou de négocier Syounik avec la Turquie et l’Azerbaïdjan contre tout gain pratique pour la Russie.

L’initiative du président Levon Ter-Petrosian a été un autre spectacle parallèle qui impliquait Kotcharian. En effet, l’ancien président a rencontré tous les anciens présidents d’Arménie et du Karabagh pour former une coalition. Le but de Ter-Petrosian était d’empêcher Pachinian – son ancien protégé – de dire que le retour au pouvoir de ce dernier serait désastreux pour l’Arménie.

Ter-Petrosian est connu pour ses explications vitrioleuses, qui n’ont pas changé, car il a déclaré que le maintien au pouvoir de Pachinian serait plus dangereux que toute menace pouvant venir d’Azerbaïdjan et de Turquie. Il n’y a pas eu de partisans à la proposition Ter-Petrosian.

L’Arménie prospère, qui avait la plus grande faction après Mon pas au parlement, y participera seule. Le Parti républicain de Serge Sargissian sera dirigé par Armen Achodian et forme une alliance avec le Parti de la patrie d’Arthur Vanetzian.

  1. Vanetzian est l’ancien chef des forces de sécurité d’Arménie. Le Congrès arménien de Ter-Petrosian n’a pas encore trouvé de plate-forme après avoir échoué à convaincre les deux anciens présidents.

Le comportement et la duplicité de la Russie dans la guerre récente ont donné du vent aux voiles des forces pro-occidentales. Ainsi, trois partis se rangent ouvertement du côté de l’Occident: l’Axe national populaire, composé de Sasna Tserer et du Parti européen de Tigran Khezmalian. Les autres partis sont appelés Au nom de la République, dirigé par Arman Babadjanian, et le Parti chrétien-démocrate, dirigé par Levon Shirinian. Ces partis ont des plates-formes antirusses véhémentes.

Il existe également de nombreux groupes marginaux à la recherche de partenaires. La situation est encore aléatoire; de nouvelles coalitions peuvent encore être formées ou d’autres partis peuvent disparaître du radar.

Il y a une apathie générale envers les élections parce que les citoyens sont fatigués des promesses non fondées et de la polarisation déchirant la société. Selon les sondages susmentionnés, 44% de la population ne soutient aucun parti et 45% n’est pas satisfaite de la direction politique des partis. La question qui préoccupe tout le monde est la suivante: les élections se révéleront-elles être une bénédiction déguisée ou un renforcement de la catastrophe actuelle ? Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.