Un document secret, pas si secret après tout

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 27 mai 2021

À l’approche des élections législatives du 20 juin, les partis se salissent mutuellement. Mais ce que Michael Minassian a récemment divulgué a dépassé les limites de la campagne électorale et traite directement de questions existentielles pour l’Arménie. Minassian est le gendre de Serge Sargissian et l’ex-ambassadeur d’Arménie auprès du Saint-Siège au Vatican. Il domine les médias arméniens ; bien qu’il vive en exil, il a été en mesure de faire des ravages en Arménie sur la scène politique à travers des révélations fracassantes et vitrioliques en critiquant l’administration du premier ministre Nikol Pachinian. Il a prouvé à maintes reprises qu’il entretenait des relations étroites avec les milieux politiques d’Arménie et des pays voisins.

Pachinian a été pris par surprise lorsque le document secret a été publié. L’un des leadeurs de l’opposition, Edmond Maroukian, a réclamé la réunion du Parlement en une session extraordinaire, où il a demandé que tout accord international ne soit validé qu’après un vote par le Parlement ou un référendum.

Pachinian, surpris, a dû acquiescer au fait qu’en effet, il y avait un document à l’étude et qu’il était prêt à le signer, parce que l’accord était à 100 pour cent en faveur de l’Arménie ».

Ni Pachinian ni Maroukian n’ont révélé le contenu du document.

A la question de savoir pourquoi Pachinian avait gardé secret un document si favorable au peuple arménien, sa réponse a été que des détails de l’accord étaient encore à négocier et qu’il n’avait pas le droit de les révéler.

Il a également profité de l’occasion pour prendre pour cible son ennemi juré, Minassian, qu’il a accusé de traiter avec le gouvernement azerbaïdjanais, possible coupable de la divulgation d’un document à des personnes non autorisées afin d’entacher le processus électoral.

Il se trouve que ni le ministre des Affaires étrangères Ara Ayvazian ni le ministre de la Défense Vagharshak Haroutiounian n’étaient au courant de l’existence du document.

Pachinian cherche désespérément à demeurer au pouvoir et c’est pourquoi il a signé des documents aussi humiliants pour prouver sa pertinence par rapport aux intérêts russes.

Un point a été rendu publique à propos du document : le document devait être un « addendum » à un autre, peut-être une partie des accords verbaux que Pachinian a conclus avec l’Azerbaïdjan ou avec la Russie. Ainsi, après tout, le document s’est avéré ne pas être un secret, grâce à Minassian. Cependant, ces va-et-vient ont secoué l’ensemble de l’ordre politique en Arménie.

L’Arménie a promis de signer le document, dit-elle, si le président azerbaïdjanais Ilham Aliev tient ses promesses. Le public a encore à savoir ce que Aliev a promis à Pachinian, mais ses déclarations publiques n’inspirent pas vraiment confiance. Il a créé un problème après l’autre dans l’esprit des Arméniens préconisant que leur existence même est menacée et qu’ils doivent lutter contre ce danger, plutôt que de s’inquiéter du statut du Karabagh.

Il a répété à plusieurs reprises que la question du statut n’était pas un problème car il a été résolu par la force.

Il a proposé à l’Arménie de signer un traité de paix par lequel l’Azerbaïdjan reconnaissait l’intégrité territoriale de l’Arménie, tandis que l’Arménie devait reconnaître l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, avec l’ajout du Karabagh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan.

Il s’agit d’une offre à prendre ou à laisser, ce qui signifie que si l’Arménie n’accepte pas l’offre, elle doit être prête à affronter une prochaine guerre.

En attendant, l’Azerbaïdjan crée de nouvelles réalités sur le terrain; depuis le 12 mai, les forces azerbaïdjanaises ont franchi la frontière du territoire souverain de l’Arménie et ont avancé de 3,5 kilomètres dans les provinces de Syounik et Vardenis.

A Syounik, ils avaient repris Sev Lij (lac noir), qui est la ressource en eau arménienne de la région et, selon une carte soviétique autorisée, elle appartient à l’Arménie. L’endroit où l’Azerbaïdjan s’est introduit n’a pas été choisi au hasard. Il s’agit de la distance la plus courte (40 kilomètres) vers le Nakhitchevan. L’Azerbaïdjan attendait un conflit armé avec l’Arménie pour justifier une nouvelle agression, qui utiliserait Syounik pour rejoindre le Nakhitchevan. Cela rendrait réelle la menace d’Aliev, si l’Arménie ne l’acceptait pas volontairement, de traverser ce couloir par la force « à travers la terre historique du Zangezour azerbaïdjanais. »

Il y a deux raisons pour lesquelles Aliev n’a pas exécuté son plan: l’Arménie n’a pas utilisé une réponse armée, que ce soit pour des raisons diplomatiques ou par manque de ressources militaires et, deuxièmement, un tollé international a exigé de l’Azerbaïdjan de déplacer ses forces hors du territoire arménien. Les avertissements émanaient des États-Unis, de l’Union européenne, de Grèce, de Chypre, d’Iran et d’Inde.

Nous ne sommes pas convaincus qu’Aliev ait changé d’avis. Il attendra certainement une autre occasion pour étendre ses menaces. Nous avons remarqué qu’au cours de l’année écoulée, il s’est enhardi.

Le document secret, qui n’est plus secret, se révèle être un nouveau stratagème de la Russie envers l’Arménie, une Russie qui attend une expression de gratitude d’une Arménie qui courrait un danger mortel. Le 27 septembre, la guerre a été encouragée par Moscou qui a brigué une reconnaissance pour les efforts déployés par le président Vladimir Poutine en obtenant un cessez-le-feu.

Le document appelle un comité tripartite de représentants de l’Arménie, la Russie et l’Azerbaïdjan afin de finaliser les frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan par une ligne de démarcation et de démilitarisation. Il est ironique que la proposition vienne de Moscou, qui a des obligations conventionnelles envers l’Arménie pour défendre l’intégrité territoriale de cette dernière.

L’Arménie n’a pas été autorisée à porter la question de l’incursion de l’Azerbaïdjan au forum du Conseil de sécurité de l’ONU, comme l’avait proposé la France. La seule autre option qui restait était de faire appel à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), organisation de sécurité dirigée par la Russie. Sa dernière session s’est tenue à Douchanbe, au Tadjikistan, et quatre résolutions ont été adoptées. La plainte de l’Arménie n’était même pas à l’ordre du jour. Au lieu de cela, le secrétaire général de l’OTSC, Stanislav Saz, a fait quelques remarques sur la tension frontalière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Moscou courtise Bakou pour qu’il se joigne à l’OTSC, comme l’a révélé Andrei Rudenko, vice-ministre des Affaires étrangères de Russie, et l’Arménie doit en payer le prix.

Après la signature des accords de cessez-le-feu du 9 novembre, le président Poutine a averti les parties que si l’un des neuf points de la déclaration post-guerre n’étaient pas appliqué par l’une des parties, cela signifiait le suicide. Et bien, l’Azerbaïdjan refuse de libérer les 200 prisonniers de guerre arméniens et son chef est toujours en vie.

Ensuite, malgré tout le tollé international, les soldats azerbaïdjanais sont toujours sur le territoire arménien. Leur nombre a même doublé, passant de 300 à 600. Cette clause suicide s’applique-t-elle uniquement à l’Arménie?

Des changements politiques tectoniques se produisent dans le Caucase. C’est pourquoi les partis tentent de consolider leurs acquis et que d’autres se battent pour de nouvelles positions.

Des accords fondamentaux ont été conclus entre les États-Unis et l’Iran afin de relancer l’accord nucléaire annulé par le président Donald Trump. Cela pourrait alléger certaines sanctions et Téhéran pourrait se remettre de sa dépression politique et économique et retourner dans les forums politiques internationaux pour jouer un rôle plus affirmé dans la région.

Cette dernière évolution a de nombreuses raisons sous-jacentes, dont l’une semble être l’exaspération de Washington à l’égard de la Turquie.

Il est apparu aux planificateurs politiques que la Turquie a choisi de façon irréversible son indépendance politique et ne veut pas retourner dans le bercail occidental, tout en utilisant le parapluie de l’OTAN comme bouclier et même comme arme.

Des accords séparés avec la Russie dans des zones stratégiques dont la Syrie, la Libye et le Caucase et son insistance pour l’acquisition de missiles russes S-400 signifient que les États-Unis ne peuvent plus compter sur la Turquie comme « alliée de confiance », surtout après cette dernière menace de détourner 50 bombes nucléaires américaines établies sur son territoire à la base aérienne d’Incirlik. D’autre part, le discours grandiloquent du président Recep Tayyip Erdogan contre Israël et son chef, Benjamin Netanyahu était correct, aussi longtemps qu’il visait à gagner des points dans le monde musulman, mais projeter cette rhétorique sur Washington, accusant les États-Unis et le président Biden d’avoir « du sang sur les mains » dépassaient les limites. Cela met désormais en danger le sommet Biden-Erdogan en marge de la prochaine réunion de l’OTAN.

Il s’avère que même la Russie est mécontente du rapprochement entre Téhéran et Washington, car si l’Iran revient en tant qu’acteur dans le Caucase, où Moscou et Ankara ont eu les mains libres pour façonner la structure du pouvoir dans la région, cela ne peut que nuire aux deux pays.

A l’inverse, avec le retour de l’Iran dans la région, un certain équilibre serait rétabli et l’Arménie peut retrouver un peu d’espace pour manœuvrer.

L’Iran craint déjà que la Turquie n’assume un rôle dominant dans la région. Les politicologues iraniens travaillent jour et nuit afin de sécuriser les frontières du pays avec l’Arménie et devancer les forces turques et azerbaïdjanaises.

Le ministre iranien des routes et du développement urbain, Mohammad Eslami, est à Erévan pour relancer les perspectives d’un couloir nord-sud qui relierait le golfe Persique à la mer Noire en passant par l’Arménie. Et la semaine prochaine, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, sera en Arménie pour discuter des relations entre les deux pays. Des sources russes ont publié une information voulant que dix généraux iraniens ont visité l’Arménie en secret afin de discuter de questions frontalières.

On dirait que l’Arménie a pris avantage de ces nouveaux développements et éloigner les actions turco-russes. Le ministre des Affaires étrangères Ara Ayvazian a invité les trois ambassadeurs du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), États-Unis, France et Russie, à réactiver la question du Karabagh, élargissant l’intention de Pachinian de signer un accord pas si secret.

Le ministère des Affaires étrangères a publié une déclaration voulant qu’il ne se joindrait pas aux négociations sur la démarcation des frontières avant que l’Azerbaïdjan ne retire ses forces d’Arménie, ne libère les prisonniers de guerre et ne commence les négociations sur la question du Karabagh selon les principes et le cadre du Groupe de Minsk de l’OSCE.

Bien que la divulgation du document secret ait fait du bruit, il semble que cela ait également généré du bon sens et une initiative politique en cette période des plus éprouvantes. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.