Les nouveaux défis de l’Arménie à la suite des élections législatives anticipées

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 1er juillet 2021

Les élections législatives anticipées en Arménie ont surpris non seulement les perdants mais également les gagnants.

À la suite du dernier rassemblement des partisans de l’ex-président Robert Kotcharian, les observateurs pensaient que sa campagne avait finalement gagné du terrain car le public était plus nombreux que lors du dernier rassemblement de Pachinian. Mais les sondages ont leur propre logique et le Premier ministre sortant a remporté une victoire écrasante de 54 pour cent.

Kotcharian arrive loin derrière avec 21 pour cent des voix et le bloc « J’ai l’honneur » de Serge Sargissian n’a même pas obtenu le seuil des 5 pour cent réservé aux partis politiques, et encore moins les 7 pour cent en cas d’alliance. Cependant, l’alliance de Sargissian aura sept représentants au parlement parce que les lois électorales d’Arménie exigent trois groupes d’opposition dans cette dernière catégorie.

Bien que le parti « Contrat civil » de Pachinian puisse faire adopter une loi au parlement avec 71 représentants, Kotcharian se prépare à jouer dur, même sans consulter le camp Sargissian, qui n’a pas encore révélé s’il se joindra ou non à l’offre de Kotcharian.

Les élections se sont déroulées, dans l’ensemble, dans des conditions pacifiques et les irrégularités signalées par les observateurs n’ont eu aucun impact sur le résultat.

Avant même que les résultats finaux soient dévoilés, des messages de félicitations sont arrivés d’Union européenne (UE), de Russie, de France et d’autres pays.

Le message du président Emmanuel Macron a été le plus significatif, car il dépassait la limite des strictes félicitations et promettait un soutien économique et une coopération avec l’Arménie pour résoudre l’affaire inachevée du Karabagh.

Une mise en garde doit être faite concernant la couverture de ces élections par les médias occidentaux, où la victoire de Pachinian a été caractérisée comme la victoire des forces anti-russes contre les pro-russes. Si le camp Pachinian est tenté de souscrire à ce point de vue, il sera perçu comme irritant pour le Kremlin.

Les élections en Arménie ont eu une incidence au niveau national et international.

Sous le vernis de pourparlers calmes entre Erévan et Moscou, il y a un ressentiment légitime en Arménie en raison de l’attitude cavalière de son partenaire stratégique lorsqu’elle a été attaquée. L’Arménie ne peut pas trop s’éloigner de l’orbite russe, mais pour Moscou, un niveau limité de dissidence peut être tolérable, tel le Kazakhstan, membre de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) tout comme l’Arménie, mais qui a un traité militaire avec la Turquie.

D’autre part, le Bélarusse, partenaire de l’Arménie dans l’OTSC, s’est précipité pour féliciter l’adversaire de l’Arménie, l’Azerbaïdjan, pour sa victoire et fournit à ce jour de l’armement à Bakou.

L’Arménie a vraiment besoin de revoir, de toute urgence, sa politique étrangère actuellement en pagaille.

Bien que le pays envoie régulièrement des étudiants étudier la diplomatie dans le monde, les rangs de son corps diplomatique semblent vides depuis 30 ans, soit depuis l’indépendance. Il serait téméraire pour l’administration Pachinian de refuser de puiser dans l’expertise des anciens ministres des Affaires étrangères au motif qu’ils faisaient partie de l’ancien régime. Le Caucase est en constante évolution et chaque jour de nouvelles possibilités peuvent se présenter, mais avec une approche amateur en politique étrangère, l’Arménie peut perdre de précieuses opportunités diplomatiques.

L’Iran, pour sa part, a fait des vagues dans la région, après avoir été libéré des sanctions punitives des États-Unis, et a montré ses muscles. Téhéran était un partenaire de la Russie en Syrie soutenant le régime de Bachar al-Assad, mais cherche actuellement un rôle indépendant face au mastodonte russo-turc du Caucase.

Il offre aussi des occasions économiques à l’Arménie et la Géorgie, qui, à long terme, pourrait libérer les deux pays de la sphère économique de la Russie et de la Turquie.

Un autre développement intéressant et effrayant est ce qui se passe entre la Turquie et l’Azerbaïdjan. Le récent voyage du leader turc Recep Tayyip Erdogan à Chouchi, techniquement absorbé par l’Azerbaïdjan, où il a signé un traité avec le leader azerbaïdjanais Ilham Aliev et a posé la première pierre de l’empire pantouranique qu’il aspirait à construire.

Incidemment, la Turquie et l’Azerbaïdjan ont organisé leurs septièmes exercices militaires à la frontière arménienne. C’est pourquoi Pachinian a envoyé une commission militaire à Moscou pour négocier un nouvel accord visant à renforcer la région de Syounik, qui est la cible des ennemis de l’Arménie.

L’administration Pachinian sera également confrontée à de nombreux défis nationaux alors que le pays est encore sous le choc des effets dévastateurs de la double catastrophe de la guerre et de la pandémie. Comme tous les gagnants des élections, Pachinian a fait de nombreuses et généreuses promesses à son électorat allant de construire des routes, améliorer l’économie, à développer la science, etc. Les gens sont habitués à ces promesses, qui peuvent ou non se matérialiser, tandis que les gouvernements ont aussi des excuses pour le non-respect de leurs engagements.

Tout homme d’État qui remporte les élections et ne fait pas preuve de magnanimité envers ses adversaires ne mérite pas sa victoire.

Parallèlement à ses engagements positifs, Pachinian a promis de mettre un terme à certaines de ses habitudes négatives qui ont caractérisé son comportement dans le passé. Soit Pachinian lui-même s’en est rendu compte, soit ses conseillers l’ont averti de s’abstenir de certaines actions.

Lors du rassemblement de la victoire le 21 juin, Pachinian s’est présenté comme un leadeur réformé. Beaucoup s’attendaient à le voir utiliser le marteau (réel), qu’il avait littéralement brandi tout au long de sa campagne, contre ses adversaires, mais il a plutôt adopté une attitude conciliante dans son discours. Il a tendu la main à l’opposition pour obtenir sa coopération au parlement. Il a également promis de rechercher des citoyens qualifiés en dehors de son camp pour les inviter à participer à son gouvernement.

Pachinian a demandé au public de s’abstenir d’utiliser un langage grossier dans les médias d’information ainsi que sur les réseaux sociaux. Il a confié qu’il avait parfois lui- même utilisé un tel langage « volontairement ou non » mais qu’en fait, il a été le promoteur de ce langage lorsqu’il était rédacteur en chef du journal Haykakan Zhamanak, puis chef de l’opposition.

Malheureusement, le langage utilisé sur les réseaux sociaux est ahurissant et j’espère que l’appel de Pachinian pourra le tempérer. En lisant ce genre de langage, il est déprimant de découvrir à quel point n’importe quel arménien peut dégénérer moralement.

Lors de son rassemblement pour la victoire, Pachinian a abordé une question très délicate : les relations Église-État, qui ont atteint un nouveau creux. C’était une approche très constructive de la part du candidat gagnant pour rétablir les relations avec l’église. Sa Sainteté Karekin II a répondu en félicitant Pachinian pour sa victoire.

Ces mouvements publics peuvent aider à relâcher certaines tensions, mais des actions sont nécessaires au-delà de la rhétorique. Pendant la guerre, le Catholicos avait demandé la démission de Pachinian, ce qui avait créé un point sensible. Ce n’était pas la place du Catholicos de patauger dans les eaux politiques. Au mieux, il aurait dû faire appel au calme et à la conciliation. Ce qui a mis en colère le camp Pachinian qui a réagi en homme d’État en refusant un service de police d’escorte au Catholicos, en prélevant des taxes sur l’huile de paraffine qu’Etchmiadzine importe pour fabriquer des bougies et en permettant à la douane la détérioration de tonnes de denrées périssables destinés au Karabagh sous les auspices d’Etchmiadzine.

Pour couronner le tout, l’administration Pachinian a arrêté le directeur de l’hôpital d’Izmirlian, le professeur Armen Charchian, pour avoir tenu des propos équivoques devant son personnel, avant les élections. Incidemment, l’hôpital est géré par le Saint-Siège d’Etchmiadzine.

L’auteur de ces lignes a eu l’occasion d’avoir de longues discussions avec le conseiller en chef de Pachinian, Arayik Haroutiounian, considéré comme l’un des principaux planificateurs politiques, ainsi que Sa Sainteté. Malheureusement, ils sont retranchés derrière leurs positions. Espérons que la catastrophe qui a frappé l’Arménie aura un effet dégrisant sur les deux parties, leur rappelant qu’il y a des problèmes plus urgents à régler pour le pays en ce moment.

Les médias nationaux et internationaux ont qualifié l’alliance instantanée de « contre » et non de « pour », car l’électorat était confronté à la perspective du retour de l’ancien régime. Ils ont tellement souffert sous ce régime que leur vote était contre, plutôt qu’en faveur de Pachinian.

Kotcharian, qui avait uni ses forces à la FRA, qui a la meilleure machine électorale organisée en Arménie, a certainement perdu des voix à cause de cette association, étant donné que le parti n’a pu profiter de sa popularité en Arménie, contrairement à son homologue de la diaspora.

L’Arménie n’est pas encore sortie du bois et l’administration Pachinian fera face à de nombreux défis qui nécessiteront les ressources de la nation tout entière, en Arménie et dans la diaspora.

L’échec de la nouvelle administration ne fera que rendre heureux les Turcs et les Azerbaïdjanais. Lorsque les enjeux sont si élevés, seules la vigilance, l’unité nationale et des politiques prudentes pourront aider l’Arménie à survivre. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.