Y a-t-il quelqu’un à l’écoute ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 22 juillet 2021

 

Les tambours de la guerre battent de plus en plus fort pour qui veut bien les entendre. La guerre de 44 jours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’a pas pris fin le 9 novembre 2020. Les hostilités n’ont cessées que par une déclaration qui peut au mieux s’apparenter à un cessez-le-feu précaire. Les hostilités peuvent reprendre à tout moment, sous n’importe quel prétexte.

Tout ce que l’Arménie n’a pas réussi à réaliser avec le cessez-le-feu de 1994, l’Azerbaïdjan essaie maintenant de l’accomplir. Le cessez-le-feu à la fin de la première guerre du Karabagh (Artzakh) négocié par Moscou s’est avéré sans effet. Les dirigeants inexpérimentés de l’Arménie de l’époque pensaient que le cessez-le-feu, que l’Azerbaïdjan avait signé sous la contrainte, était suffisant pour garantir l’avenir du Haut-Karabagh, en particulier avec l’argument que le contrôle arménien de sept régions adjacentes au Karabagh à l’Azerbaïdjan présentait un tampon stratégique qui préparerait l’Arménie et le Karabagh à toute éventualité.

Personne à ce moment-là n’a tenté de pousser plus loin et forcer le gouvernement de Bakou à signer un accord définitif reconnaissant l’indépendance et la pérennité du Karabagh, alors que le pays était à genoux.

A cause de cet échec, l’Arménie a connu 25 ans plus tard la défaite sous forme d’une vengeance.

Durant ce quart de siècle, le dictateur azerbaïdjanais Ilham Aliev semble avoir tiré les leçons de l’histoire imposée à son père, Heydar, avec un peu d’aide de son grand frère, le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Maintenant que l’Arménie est en panne, avec son armée brisée par les attaques coordonnées des armées djihadistes, turques et indépendantes azerbaïdjanaises, Aliev fait pression pour obtenir le maximum de concessions d’Erévan. Il a déjà averti l’Arménie de ne pas chercher à se réarmer ou à se venger.

L’Azerbaïdjan augmente progressivement la pression sur l’Arménie, au point de ranimer une nouvelle guerre. Avant la dernière guerre, il a promis « le plus haut niveau d’autonomie » pour le Karabagh en échange des territoires occupés. Aujourd’hui, Aliev revendique victorieusement qu’il n’y est pas question de discuter du Karabagh ni de son statut, et que même une zone géographique du nom du Haut-Karabagh n’existe pas mais fait plutôt partie de celle de l’est du Zangezour dans la déclaration de Chouchi fait conjointement avec la Turquie.

Non seulement il demande à l’Arménie d’oublier le Karabagh, mais il prévient qu’il prendra le contrôle du territoire souverain de l’Arménie elle-même et tout cela sans aucune protestation de la communauté internationale, ni même du partenaire stratégique de l’Arménie, la Russie.

Tout récemment, le président Aliev a rendu visite au président Vladimir Poutine à Moscou ; le seul discours émanant de la capitale russe portait sur le renforcement des liens stratégiques entre la Russie et l’Azerbaïdjan, à la suite de quelques paroles en faveur de la mise en œuvre de la déclaration tripartite du 9 novembre 2020.

Tout en se félicitant que les termes de cette déclaration soient mis en œuvre, Moscou néglige la libération des prisonniers de guerre arméniens en Azerbaïdjan, même si la déclaration du 9 novembre porte sur le retour de tous les prisonniers.

Moscou, en dépit de ses obligations par traité envers l’Arménie, a assumé le rôle d’intermédiaire entre son allié et son ennemie. D’autres concessions sont exigées de l’Arménie, en termes de cartes de champs de mines, plutôt qu’une offre pour de l’aide.

Ajoutant du muscle à sa rhétorique, l’Azerbaïdjan a fait avancer ses forces armées sur le territoire arménien, déclenchant une autre situation ridicule, cette fois avec la direction de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). En effet, l’Arménie y a fait appel à la hauteur de ses obligations conventionnelles pour forcer le départ du millier de soldats azerbaïdjanais du territoire arménien. L’OTSC a répondu que l’agression n’était rien d’autre qu’un incident frontalier car « il n’y a pas eu de victimes ».

En réalité, il y a eu des victimes ; Des soldats arméniens ont été tués et d’autres capturés sur le sol même de l’Arménie, ce qui aurait dû déclencher l’article 4 de l’accord de l’OTSC.

Contrairement à la déclaration d’Aliev, les coprésidents du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) insistent sur le fait qu’il reste encore du travail à faire au Karabagh pour déterminer de son statut.

Le 13 avril, les coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE ont appelé les parties à reprendre leur dialogue de haut niveau pour parvenir à un règlement final et durable du conflit du Karabagh sous les auspices des coprésidents. Cependant, aucune mesure n’a été prise pour le moment.

L’Europe, pour sa part, a pris des mesures subtiles pour revenir dans la région. Elle a adopté une aide économique et au développement, afin de ne pas alarmer Moscou. Mais des mesures sont également prises vers une croissance économique durable qui pourrait conduire à une future coopération politique.

Nous avons d’abord assisté à la visite d’une délégation conduite par le commissaire de l’Union européenne (UE) chargé de l’élargissement du voisinage, Olivér Várhelyi, qui a annoncé que l’UE avait décidé de contribuer à hauteur de 2,6 milliards d’euros aux programmes de développement en Arménie, en particulier dans la région de Syounik, qui est vulnérable économiquement et politiquement. L’UE fournit plus de 3 milliards d’euros à la Géorgie et 900 millions à l’Azerbaïdjan. Nous ne savons pas si ces chiffres dosent le niveau d’amitié de l’UE avec ces trois pays.

Charles Michel, président du Conseil européen, s’est également rendu dans la région afin de mettre en œuvre ces subventions.

Il est difficile d’imaginer, à ce stade, un investissement privé dans une Arménie déchirée par la guerre, où la stabilité est au mieux précaire. Ces investissements sont bienvenus et rassurants, de même que les engagements des bienfaiteurs arméniens de la diaspora.

Le prochain événement important à se produire est la visite du président Emmanuel Macron en Arménie, qui pourrait avoir des implications politiques.

Il est intéressant de noter que pendant les deux premières visites de l’UE, le Premier ministre Nikol Pachinian a exprimé sa gratitude tout en abordant certains sujets, comme le retour des prisonniers, les déclarations belliqueuses de l’Azerbaïdjan et un appel à la reprise des négociations, sous les auspices de l’OSCE.

Cependant, les deux responsables européens s’en sont tenus à leurs textes préparés et n’ont pas répondu aux appels de Pachinian. Cette attitude a encouragé le président Aliev à tenir des propos menaçants à l’encontre de l’Arménie, avec l’assurance que la communauté internationale ne réagirait pas alors qu’il y a en réalité un besoin urgent de le faire.

Nikol Pachinian a rassuré le public sur le fait qu’il n’y a pas de couloir de Zangezour. La mise en œuvre de la déclaration du 9 novembre est assurée par les vice-premiers ministres des trois pays signataires et les autorités arméniennes nient catégoriquement que la question du corridor soit à leur ordre du jour et disent en outre qu’elle ne le sera jamais. Cependant, Aliev insiste sur le fait que l’Azerbaïdjan empruntera de force ce corridor si l’Arménie refuse de le laisser-faire volontairement.

L’Azerbaïdjan a également essayé d’internationaliser la question du corridor, qui est fondamentalement une composante de l’agenda pantouranique de la Turquie. L’Azerbaïdjan, lors d’une récente conférence à Tachkent, avait vanté l’idée que le corridor du Zangezour faisait partie du projet chinois de la nouvelle route de la soie. D’autre part, l’idée a également été discutée lorsque l’Azerbaïdjan a invité des ambassadeurs étrangers à Chouchi la semaine dernière.

Jusqu’à récemment, la rhétorique du président Erdogan était considérée par la communauté internationale comme de la fanfaronnade. Sans plus. Ces dernières années, il a amplifié ses plans et il a enseigné la même chose à Aliev. Nous ne pouvons plus nous permettre de prendre leurs menaces pour de la fanfaronnade.

Les menaces du président Aliev sont devenues récemment de plus en plus inquiétantes. Il a revendiqué l’ensemble du territoire de l’Arménie.

Le 14 juillet, il a proféré les menaces suivantes : « Nous y sommes retournés et nous y retournerons. Personne ne peut nous arrêter. Nous reviendrons certainement car il n’y a pas d’autre moyen. Après l’ouverture de toutes les liaisons de transport, nous y retournerons bien entendu et la population azerbaïdjanaise retournera sur les terres de ses ancêtres. L’accord tripartite du 10 novembre stipule que tous les réfugiés doivent retourner dans leur patrie. Notre terre natale est le Zangezour. Notre terre natale est Goycha (Sevan) et Irevan (Erévan). »

À son tour, le ministre azerbaïdjanais de la Défense, le colonel général Zakir Hasanov, a amplifié la menace d’Aliev en déclarant : « Nous sommes le pays vainqueur. Nous avons détruit l’Arménie. »

Il a développé ce thème en ajoutant : « Le président Ilham Aliev, le commandant suprême victorieux des forces armées, a récemment menacé que « la guerre est terminée mais malgré cela, nous sommes prêts et devons être prêts pour une nouvelle guerre à tout moment. »

Conformément à ses menaces, les forces azerbaïdjanaises ont intensifié des actions militaires sérieuses ; après avoir traversé les territoires arméniens à Syounik et Gegharkounik, ils se sont récemment rapprochés d’Eraskh, causant des pertes humaines en vue d’Erévan. Ces actions méritent des réponses immédiates de la part de l’OTSC et du Conseil de sécurité de l’ONU.

Ce ne sont pas des menaces vides de sens. Elles sont réelles. En fait, Aliev et Hasanov ont déclaré la guerre; pas une guerre virtuelle, mais une guerre réelle. Aliev avait proféré des menaces similaires pendant les quelques années précédant le 27 septembre 2020. L’Arménie les a ignorées à ses risques et périls.

Est-ce qu’aujourd’hui quelqu’un écoute ?

Traduction N.P.