Missions de surveillance concurrentes pour une paix insaisissable dans le Caucase

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 22 octobre 2022

Tout indique que la Turquie et l’Azerbaïdjan ont trouvé l’occasion une fois par siècle de terminer le travail macabre qu’ils ont commencé il y a 107 ans. Cette conclusion ne doit pas être interprétée comme une exagération à la lumière de certains faits historiques.
En 1914, en raison de la situation dans l’Empire ottoman qui devait conduire à la mise en œuvre de certaines clauses du traité de Berlin de 1878, des gouverneurs européens ont été envoyés dans les provinces intérieures de l’empire, non seulement pour superviser, mais aussi pour mener des réformes dans les provinces arméniennes. Les mauvais traitements infligés par le gouvernement aux résidents de ces provinces avaient conduit à l’agitation des habitants, insufflant aux dirigeants ittihadistes la crainte que les Arméniens étaient en route vers l’indépendance, brisant ainsi l’empire.
L’une des raisons pour lesquelles la Turquie est entrée dans la Première Guerre mondiale, du côté de l’Allemagne, était d’empêcher cette rupture de se produire. La guerre leur donnait, en effet, l’occasion d’éliminer le problème arménien une fois pour toutes en se débarrassant complètement de la population. Cette tâche a été facilitée par le fait que les forces russes, qui avaient occupé les provinces orientales de l’empire et défendaient la sécurité physique des Arméniens, avaient décidé de se retirer à la suite de la Révolution russe.
Tout au long de l’histoire, sur la base de leurs propres intérêts, les Russes ont protégé les Arméniens et défendu leurs droits. Mais ce rôle n’a pas été une caractéristique suffisamment permanente dans les relations russo-arméniennes pour justifier une politique aveugle pro-Russie en Arménie.
Actuellement, un scénario similaire se déroule dans le Caucase, où la présence traditionnelle de la Russie sur la région est en lambeaux à cause de la guerre en Ukraine, offrant une occasion pour le tandem Turquie-Azerbaïdjan de porter un coup écrasant à l’existence même de l’Arménie. Cette perspective est rendue nécessaire par les ambitions impériales du président Recep Tayyip Erdogan désireux d’atteindre les républiques turques d’Asie centrale, dans l’espoir de construire un nouvel empire turc.
Depuis la guerre de 44 jours, la Turquie s’est pleinement investie dans la région et s’est enracinée sur le terrain, face à une Russie impotente.
Alors que la sphère d’influence de la Russie se rétrécit dans la région, l’Occident y a également manifesté un regain d’intérêt et l’Arménie est l’une des bases politiques qu’il peut utiliser contre la Russie.
À ce jour, les défenses et l’économie de l’Arménie ont été pleinement intégrées à celles de la Russie. Dépêtrer l’Arménie de l’étreinte russe s’avérera douloureux. En effet, une Russie affaiblie pourrait se venger plus sévèrement de l’Arménie.
L’Arménie avait mis ses espoirs en matière de sécurité sur la présence de la 102e base militaire russe à Goumri et son accord de traité à long terme avec Moscou. En plus de ces garanties supposées, l’Arménie s’était jointe à l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par Moscou, créée en tant que contrepartie de l’OTAN. Mais aucune de ces relations n’a offert d’aide pendant la guerre de 44 jours, qui, à toutes fins pratiques, se poursuit à ce jour.
Armen Khatchatrian, vice-ministre de la Défense, a récemment annoncé lors d’une conférence sur la sécurité des pays de la Communauté des États indépendants (CEI) que l’Azerbaïdjan occupait 127 kilomètres carrés du territoire souverain de l’Arménie depuis septembre 2022 et a exigé que le forum condamne Bakou en tant qu’agresseur. La quantité de terres occupées était une surprise ; jusqu’à présent, on croyait que l’Azerbaïdjan avait occupé 51 kilomètres carrés.
L’appel direct du secrétaire d’État américain Antony Blinken à l’Azerbaïdjan et à la dure caractérisation de ce dernier par le président français Emmanuel Macron n’a donné aucun résultat et l’Azerbaïdjan continue de s’accrocher à ces territoires et menace d’en occuper encore plus.
La défense peu brillante de son allié par la Russie en a conduit beaucoup à qualifier la OTSC de structure sans dents, dont l’Arménie n’a pas besoin dans cette situation désastreuse. Non seulement l’adhésion de l’Arménie à l’OTSC n’offre aucun espoir de sécurité, mais l’empêche également de demander à d’autres de l’aide en défense et des armes.
Ces tendances en Arménie sont alimentées par l’intérêt renouvelé de l’Occident pour la région et en particulier par l’appel du président Macron selon lequel « la France soutiendra l’Arménie ». Cette déclaration a irrité non seulement l’Azerbaïdjan, mais également la Russie, comme si l’Arménie ne méritait aucun soutien des grandes puissances et devait être laissée aux tendres miséricordes de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.
À l’heure actuelle, il y a 40 experts de l’Union européenne (UE) en surveillance du côté arménien de la frontière avec un mandat de deux mois. L’Azerbaïdjan a refusé de les accueillir sur son territoire de peur qu’ils ne signalent ses atrocités et ses destructions dans les régions frontalières.
« La situation demeure très dangereuse, l’instabilité est élevée et le ressentiment de 30 ans de conflit est grand », a déclaré Toivo Klaar, le représentant spécial de l’UE pour le Caucase du Sud et la crise en Géorgie. « Il n’y a pas beaucoup d’autres acteurs internationaux que nous, c’est pourquoi nous devons être encore plus impliqués. »
Comme si ces déclarations ne suffisaient pas à irriter Bakou et Moscou, le groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est maintenant sur le point d’envoyer ses propres observateurs.
Bien sûr, tout signe de la résurrection du Groupe de Minsk de l’OSCE est préoccupant pour Bakou, car c’est la seule structure internationale qui maintient encore que les Arméniens d’Artsakh ont le droit à l’autodétermination. D’autre part, le Kremlin est inquiet parce qu’il croit en son droit divin de façonner le destin des peuples de la région.
« La mission de l’OSCE n’a pas de mandat », a déclaré le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères, Jeyhun Bayramov, ajoutant : « « Tout groupe appelé l’OSCE « mission d’évaluation des besoins en Arménie » n’a pas de mandat, ne peut être associé de quelque manière que ce soit à l’OSCE et aucun de ses résultats ni aucun de ses rapports ne peut être accepté comme un document de l’OSCE. »
Mais le groupe technique avancé est déjà en Arménie, en train d’arpenter les frontières et de planifier une mission de surveillance dans un avenir proche.

La Russie craint que son rôle ne soit repris par d’autres puissances, dont l’objectif ultime est de saper sa position dans la région.
Dès que la nouvelle est venue d’un éventuel déploiement des observateurs, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, a annoncé que l’OTSC était également prête à envoyer une équipe d’observateurs en Arménie.
Il est ironique que, contrairement aux missions de l’UE ou de l’OSCE, les délégués de l’OTSC ne puissent pas jouer le même rôle indépendant et surveiller la frontière parce que l’Arménie fait partie de sa zone de surveillance en tant que membre à part entière. Par définition, l’OTSC a déjà été (ou aurait dû être) déployée sur le territoire de l’Arménie pour la défendre. Mais le fait est que l’Arménie a invoqué l’article 4 de l’organisation par l’intermédiaire duquel une nation attaquée demande l’aide de l’OTSC et que l’organisme n’a rien fait.
Malgré tout cela, les choses se déplacent en faveur de l’Arménie, au grand dam du dirigeant russe Vladimir Poutine et du président azerbaïdjanais Ilham Aliev, et les dirigeants arméniens doivent maintenant faire preuve de suffisamment de compétences diplomatiques pour changer la tendance dans la région.
Pour couronner tous ces développements, cette semaine, l’Iran a ouvert un consulat à Kapan, Siounik, en grande fanfare en présence du ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, qui a déclaré que « la sécurité de l’Arménie est la sécurité de l’Iran ».
Il a également révélé que Téhéran avait joué un rôle crucial en dissuadant l’Azerbaïdjan de s’engager dans une guerre à part entière, lors de l’agression du 13 septembre.
C’est la première fois que des fissures apparaissent dans les relations entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, après que Bakou ait accueilli, le mois dernier, les ministres de la Défense de Turquie et d’Israël et le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite. Selon toute apparence, ils complotaient contre l’Iran.
Pour ramener l’Arménie dans son sein, le président Poutine, dont les mains sont déjà pleines avec la guerre mal avisée qu’il a lancée en février, a invité le Premier ministre Pachinian et le président Aliev à Moscou à la fin du mois d’octobre pour élaborer le traité de paix entre les deux pays.
Il est peu probable que M. Poutine puisse offrir un réconfort à l’Arménie, ni négocier un accord de paix. Au mieux, c’est un stratagème tactique pour décourager l’ingérence occidentale dans le Caucase et envoyer un faux message à l’Occident qu’il a toujours le plein contrôle de la région. Edmond Y. Azadian

Traduction N.P.