Il y a eu récemment des mesures pro-arméniennes en Occident. Est-ce une avancée politique, un faux départ ou autre chose ? Nous le saurons en temps voulu en analysant les tendances et les développements dans le Caucase du Sud.
Il a été extrêmement frustrant pour la partie arménienne de voir l’indifférence de la communauté internationale durant la guerre de 44 jours en 2020, qui a isolé l’Arménie. Il faut aussi rappeler l’attitude cavalière de l’administration Trump envers l’Arménie, qui s’est soldée par des pertes territoriales et de nombreux morts. Près de 5 000 jeunes hommes âgés de 18 à 22 ans ont péri, ce qui a été doublement ressenti dans un pays qui peine à conserver un profil démographique stable.
Peu à peu, après la guerre, alors que la communauté internationale commençait à communiquer avec l’Arménie, le message adressé à l’administration de Nikol Pachinian était qu’Erévan devait abaisser les normes concernant ses attentes afin que la communauté internationale puisse aider le pays assiégé à se redresser. Abaisser la barre signifiait pour Erévan se réconcilier avec le fait qu’à toutes fins pratiques, le Karabagh était perdu. Il ne suffisait pas de faire face à la perte du Karabagh, alors que l’Azerbaïdjan a commencé à envahir le territoire souverain de l’Arménie elle-même. À ce jour, les forces azerbaïdjanaises occupent 125 kilomètres carrés du sol arménien.
Il semble que l’agression azerbaïdjanaise ait atteint un tournant qui a permis à la communauté internationale de réagir. Une série de déclarations puissantes ont émané d’Europe et des États-Unis au cours des deux dernières semaines.
Le temps dira si celles-ci sont authentiques et quel impact elles peuvent avoir sur le cours intentionnellement cruel et belliqueux de l’Azerbaïdjan.
Le traité de paix illusoire entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est traîné de Bruxelles à Sotchi et de Washington à Prague, sans rien en vue.
Avant d’entrer dans les détails de ce traité de paix, il nous appartient de voir cette crise par rapport à une tempête plus étendue, ce qui peut rendre l’impasse entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan hors de propos.
Le président Ilham Aliev d’Azerbaïdjan, fort de son succès sur Erévan, étend ses revendications territoriales bien au-delà de l’Arménie, jusqu’à l’Iran, comme l’a révélé son discours à Samarcande la semaine dernière. Les ambitions d’Aliev sont alimentées par les nouveaux développements dans la région. De violentes accusations ont traversé les frontières, entre Bakou, Téhéran et Ankara. Jusqu’à présent, la poudre à canon dans la région demeure sèche. Cependant, le retour sur la scène du nouveau (et ancien) dirigeant israélien Benjamin Netanyahu pourrait déclencher des changements dramatiques dans le paysage politique de la région. Reste à savoir si le président Joe Biden s’avèrera plus fort que le président Obama pour contenir la posture belliciste du dirigeant israélien.
À défaut d’armement fort de la part de Washington, la coalition de la Turquie, de l’Azerbaïdjan et d’Israël pourrait agir contre l’Iran, en particulier lorsque le président turc Recep Tayyip Erdogan rêve d’aventures à l’étranger et de victoire pour renforcer sa popularité nationale en baisse avant les élections présidentielles et parlementaires de 2023.
À moins d’une telle éruption, le traité de paix arméno-azerbaïdjanais pourrait continuer à dominer la scène dans le Caucase du Sud. Ainsi, l’intervention des grandes puissances peut affecter le cours de ces négociations.
Jusqu’à récemment, les milieux pro-gouvernementaux et de l’opposition critiquaient l’administration Pachinian pour son manque d’initiative en matière de politique étrangère. Mais pas plus. Le gouvernement arménien s’est engagé dans de nombreuses missions diplomatiques, pour le meilleur ou pour le pire. Il a diversifié sa politique étrangère et a même pris des mesures timides pour rompre avec l’esclavage politique russe. Et il semble que ces efforts portent leurs fruits, car certaines tendances favorables font avancer l’Arménie.
L’un des premiers accords d’après-guerre a été conclu avec l’Inde, destiné à reconstruire les forces de défense de l’Arménie. D’autres développements se situent au niveau politique, qui doivent être soigneusement entretenus pour rapporter des dividendes.
Sur le front législatif, le parlement espagnol a tiré la première salve lorsque les membres ont refusé de ratifier un accord avec l’Azerbaïdjan concernant l’échange d’informations et de renseignements, citant comme cause l’agression de Bakou contre l’Arménie. Puis vint la résolution du Sénat français, ratifiée le 16 novembre par un vote de 265 contre 1, qui a coïncidé avec les auditions de la commission des relations étrangères du Sénat américain le 15 novembre, dirigée par le président Robert Menendez. Il ne restait plus guère de doute sur leur interdépendance.
La résolution du Sénat français incluait toutes les questions que l’Arménie avait posées à la communauté internationale pour réparer et condamner l’Azerbaïdjan. Il a appelé l’exécutif français à agir sur toutes ces questions : le retrait inconditionnel des forces azerbaïdjanaises du territoire arménien occupé, le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Arménie, le rapatriement des prisonniers de guerre, la fin de la destruction par l’Azerbaïdjan des monuments arméniens, l’application de sanctions contre l’Azerbaïdjan et appelant ses partenaires européens à faire de même, ouvrant un bureau humanitaire au Karabagh, contribuant aux capacités de défense de l’Arménie, réaffirmant la nécessité de reconnaître la République du Haut-Karabagh et menant des négociations sur cette base. Enfin et surtout, la mesure demandait que des forces internationales de maintien de la paix soient stationnées au Karabagh, ce qui toucherait certainement le Kremlin.
L’Azerbaïdjan a réagi avec fureur à la résolution du Sénat français et son parlement a publié un communiqué de presse de colère accusant les sénateurs français de « parti pris et ignorance ».
Le 16 novembre, le chargé d’affaires à l’ambassade de France, Julien Le Lan, a été convoqué au ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères et s’est vu remettre une lettre de protestation concernant la résolution.
Il est intéressant de noter que lorsque le législateur français formule une déclaration passionnée sur la scène politique, le pouvoir exécutif reçoit cet acte avec la tête froide et ne réagit pas immédiatement. Ainsi, Olivier Becht, ministre français du Commerce, qui représentait le ministre français des Affaires étrangères lors du débat au Sénat, n’a soulevé aucune objection et n’a pas non plus indiqué si le gouvernement prendrait des mesures. Son seul commentaire a été : « Aucun pays au monde ne fait plus pour soutenir l’Arménie ».
Nous devons attendre et voir en quoi cette déclaration se traduira.
Le sénateur Menendez, à son tour, a soulevé certaines questions pertinentes lors de l’audition de la commission sénatoriale des relations étrangères, interrogeant Karen Donfried, secrétaire d’État adjointe aux affaires européennes et eurasiennes, et Phillip Reeker, conseiller principal pour les négociations sur le Caucase du département d’État, et représentant des États-Unis au sein du groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), si et quand le groupe se réunira à nouveau.
Menendez a d’abord qualifié la question du Karabagh de crise humanitaire, puis a ajouté : « Ma frustration vis-à-vis du Département d’État est qu’ils disent toujours : ‘eh bien, les deux parties devraient s’abstenir’. Mais quand il y a un agresseur, il faut appeler l’agresseur. … C’est l’Azerbaïdjan. »
Il a également critiqué la dérogation systématique à l’article 907 de la loi sur le soutien à la liberté, alors que l’Azerbaïdjan ne respecte pas les règles qui lui sont imposées par les États-Unis.
La plupart du temps, les représentants de l’exécutif se sont tus, répondant dans de rares cas par des déclarations équivoques, ce qui a frustré le sénateur qui, dans ses remarques finales, a déclaré qu’« il est totalement inacceptable qu’ils ne puissent pas répondre avec précision sur quel genre d’aide humanitaire les États-Unis fournissent aux victimes. »
Un autre événement peu remarqué a eu lieu à Djerba, en Tunisie, où Pachinian a remis la présidence de l’Organisation internationale de la francophonie de l’Arménie à la Tunisie. Il a également pu insérer, contre toute attente, la position de l’Arménie dans le communiqué final de l’assemblée.
Le forum international le plus récent à se tenir sur le territoire arménien est la conférence annuelle de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dont les membres sont arrivés à Erévan le 23 novembre. L’Arménie est frustrée par la réponse de cette organisation à ses problèmes. Le principe fondamental de l’OTSC est de défendre l’intégrité territoriale de ses membres, alors que le groupe a qualifié la perte de 125 kilomètres carrés de territoire arménien au profit de l’Azerbaïdjan de « différend frontalier ». Après de longs débats, finalement, « aider l’Arménie » a été mis à l’ordre du jour de l’organisation à Erévan.
Bien que l’Azerbaïdjan ne soit pas membre de l’OTSC, Aliev a déjà tiré une salve préventive, déclarant que l’Azerbaïdjan a plus d’amis dans l’OTSC que l’Arménie. Sa déclaration était justifiée le 9 novembre, alors que la Biélorussie et le Kirghizistan le félicitaient pour sa victoire lors du deuxième anniversaire de la « guerre patriotique » de 2020. Le tigre de papier de la Biélorussie – l’alter ego de Poutine – Alexandre Loukachenko, a insulté à plusieurs reprises l’Arménie et Pachinian au forum de l’OTSC et a déclaré publiquement que « ce n’est pas l’affaire de l’OTSC de traiter des griefs de l’Arménie ». À d’autres occasions, il a déclaré que « Aliev est notre ami » et « qui a besoin de l’Arménie ».
Naturellement, Loukachenko et Poutine seront confrontés à un public plein de ressentiment en Arménie, qui demandera à Pachinian de quitter la structure de l’OTSC.
En raison de ces activités diplomatiques intenses, il y a un air d’optimisme en Arménie. Mais des experts plus expérimentés ont averti le public d’adopter une approche plus réaliste pour un certain nombre de raisons.
- Dans le cas de la résolution du Sénat français et des auditions de la commission des relations étrangères des États-Unis, toutes les déclarations sont au mieux des recommandations non contraignantes pour l’exécutif, qui pratique la plupart du temps la realpolitik, allant même à l’encontre des principes de base de l’État, ridiculisant tout prosélytisme sur les droits de l’homme et la démocratie.
- Malgré toutes ces condamnations internationales, Aliev continue de bombarder les frontières de l’Arménie, car encouragé et autorisé par la Russie. Un Poutine désespéré s’enlise dans une guerre en Ukraine qu’il ne peut pas gagner facilement et ne peut plus affronter Aliev. Il fait donc des compromis aux dépens de l’Arménie.
- Il y a aussi un non-dit : la question d’Israël, le protégé de l’Occident, qui utilise le territoire azerbaïdjanais comme tremplin militaire pour une éventuelle action contre l’Iran. L’Azerbaïdjan est l’ami d’Israël et l’ennemi de l’Iran. L’Arménie se trouve être l’amie de l’Iran, une nation paria pour l’Occident.
Une fois que nous avons compris ce casse-tête politique, nous pouvons découvrir pourquoi tous les bruits politiques de l’Occident se retrouvent en écho autour de nous. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.