La rhétorique transfrontalière qui va et vient entre l’Iran et l’Azerbaïdjan a créé jusqu’à présent un faux sentiment d’espoir pour l’Arménie.
Si jusqu’à présent cette guerre des mots était considérée comme un drame politique dans le Caucase du Sud, la nouvelle escalade des tensions entre les deux grands partis la fait pâlir en termes d’ampleur.
Au lendemain de la guerre de 44 jours en 2020, les développements politiques ont révélé des rivalités régionales qui utilisent l’Arménie et l’Azerbaïdjan pour étendre leurs zones d’influence ou se battre pour remplacer un opposant. Cela, bien sûr, donne au dictateur azerbaïdjanais le pouvoir de jouer les deux camps l’un contre l’autre et de profiter de chaque camp.
Le président Ilham Aliev se rend dans n’importe quelle capitale pour les réunions au sommet. Il s’engage même à respecter l’intégrité territoriale de l’Arménie et à négocier de bonne foi pour signer un traité de paix, puis bombarde les frontières de l’Arménie le lendemain, soulève la question du « corridor de Zangezour » et remet le pendule à zéro.
Le prochain sommet entre le Premier ministre arménien Nikol Pachinian et Aliev devait avoir lieu le 7 décembre à Bruxelles, avec la participation du président de l’Union européenne Charles Michel et du président français Emmanuel Macron. Or, M. Aliev a annoncé cette semaine son refus d’y participer, invoquant la présence de M. Macron, qu’il considère comme pro-arménien et donc pas un intermédiaire indépendant. De plus, derrière ce ressentiment se cache le récent vote unilatéral du Sénat français, qui appelle l’Azerbaïdjan à cesser son agression contre l’Arménie et à réparer toutes les conséquences de cette agression.
La participation prévue de Macron à cette réunion n’était pas nécessairement une condition préalable de Pachinian, mais elle était basée sur un accord conclu à Prague pour poursuivre les négociations selon le même format.
Le refus d’Aliev visait également à maintenir Moscou dans la mêlée, car chaque fois que les négociations se déplacent vers une capitale occidentale, Moscou est laissé de côté et considère cette décision comme une stratégie internationale pour usurper sa sphère d’influence. M. Aliev se plie aussi aux désirs de Moscou car il a trouvé des oreilles plus sympathiques en Russie qu’en Occident. Cela a été prouvé une fois de plus lorsque la direction de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) s’est réunie à Erévan le 23 novembre pour sa réunion annuelle et pour adopter une résolution sur les griefs de l’Arménie contre l’Azerbaïdjan. Il s’agissait notamment de trouver les moyens d’aider la première dans son conflit et de prendre position sur l’attaque azerbaïdjanaise du 13 septembre 2021 contre l’Arménie.
Avant la réunion, Aliev avait averti qu’il avait plus d’amis parmi les membres de l’OTSC que l’Arménie, un membre réel de ce groupe. Et sa vantardise s’est avérée vraie, car les participants n’ont pas eu assez de courage pour pointer du doigt l’Azerbaïdjan comme agresseur.
L’annulation de la réunion du 7 décembre a été une aubaine pour Moscou, qui a sauté sur l’occasion pour déplacer la prochaine session des négociations sous ses auspices. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a annoncé que l’envoyé spécial du ministère russe des Affaires étrangères, Igor Kovalev, s’était rendu à Erévan et à Bakou pour jeter les bases de la prochaine réunion et mener une enquête en vue de la préparation d’un traité de paix et du règlement des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Tous ces développements semblent être le cours normal de la diplomatie, sauf qu’une tempête plus puissante s’intensifie dans la région et Ilham Aliev entend jouer son rôle de gâcheur.
Dans le passé, seuls des responsables mineurs ou des présentateurs de nouvelles en Azerbaïdjan ont fait référence à la province azerbaïdjanaise d’Iran, mais un chef d’État n’a jamais abordé la question.
Le président Aliev avait donné un premier indice lors de la récente convocation de l’Organisation des États turcs à Samarcande, où il a également proposé de partager un morceau du « corridor de Zangezour » avec chaque nation turque dans le cadre de l’empire touranique.
Mais cette fois-ci, il a été plus explicite, posant une demande sur le territoire souverain de l’Iran. Les Azerbaïdjanais de souche en Iran n’ont jamais renoncé à leur identité et ont toujours déclaré qu’ils avaient des frères vivant dans un État souverain appelé Azerbaïdjan. L’aspiration historique de l’Iran est d’absorber cette minorité. Mais il s’avère que M. Aliev a un plus grand appétit et il pense que le petit poisson peut avaler le gros – l’Azerbaïdjan a une population de 8 millions et selon une estimation, il y aurait entre 20 et 25 millions d’Azerbaïdjanais ethniques en Iran, bien que répartis dans tout le pays, pas uniquement dans la province frontière.
Le président Aliev n’aurait jamais osé faire une telle affirmation s’il n’avait pas été soutenu par une configuration plus large de forces qui sont à couteaux tirés avec la République islamique d’Iran.
La semaine dernière, lors de la conférence intitulée « Le long du corridor du milieu » à Bakou, Aliev a lancé une attaque sans précédent contre l’Iran, déclarant que son gouvernement ferait de « son mieux pour préserver le mode de vie laïc… comme pour les Azerbaïdjanais vivant en Iran », qu’il considère comme « faisant partie de notre peuple ».
Puis il a poursuivi sa diatribe : « Nous avons travaillé avec trois présidents iraniens, [Mohammad] Khatami, [Mahmoud] Ahmadinejad et [Hassan] Rohani. Pendant toutes ces années, il n’y a pas eu de situation similaire. Jamais l’Iran n’a eu deux exercices [militaires] près de nos frontières, en quelques mois. Il n’y a jamais eu de déclarations aussi haineuses et menaçantes envers l’Azerbaïdjan. »
Des déclarations « haineuses » font référence aux mises en garde du président Raisi contre les modifications des frontières dans la région. Aliev, affichant un visage courageux, a déclaré : « Nous n’avons pas peur de l’Iran. » Bien sûr, plus tôt, il s’était vanté que l’armée azerbaïdjanaise était « aussi l’armée de la Turquie », indiquant que la Turquie soutiendrait l’Azerbaïdjan sans condition comme elle l’a fait pendant la guerre de 44 jours contre l’Arménie. L’armée de ce pays est l’une des plus importantes au monde, classée 13e au niveau mondial.
Incidemment, alors que l’Arménie peine à adopter une doctrine militaire et à renforcer ses forces de défense, la Turquie a aidé l’Azerbaïdjan à restructurer ses forces armées selon les normes de l’OTAN.
La nouvelle et audacieuse belligérance d’Aliev sera comprise lorsque replacée dans son contexte. Ainsi, récemment Mahmudali Chehregani, chef du « Mouvement d’éveil national de l’Azerbaïdjan du Sud, » jusqu’ici interdit en Azerbaïdjan et vivant à Washington, est soudainement apparu à la télévision d’État azerbaïdjanaise le 4 novembre et a promis de mettre fin au « régime fasciste persan des mollahs ». Il a également critiqué les relations entre l’Iran et l’Arménie, qualifiant cette dernière d’« ennemie de l’Azerbaïdjan ».
Lorsqu’un agent politique exilé vivant à Washington ressort de la naphtaline et rejoint ses anciens ennemis, cela signifie qu’il y a une collusion de forces pour une cause commune.
Un autre développement est le retour au pouvoir en Israël de Benjamin Netanyahu, un faucon obsédé par l’Iran ou plutôt par sa destruction. Avec les nouvelles initiatives de l’administration Biden, les négociations sur la ratification par l’Iran du traité nucléaire avaient commencé et les participants étaient sur le point de faire une percée, mais cela a été retardé par une visite d’une délégation parlementaire israélienne à Washington. Les experts occidentaux pensent que l’intransigeance de l’Iran a également contribué à le faire dérailler et à augmenter les chances de Netanyahu de revenir au pouvoir. Une fois installé sur le siège du pouvoir, Netanyahu fera pression pour une frappe directe sur les installations nucléaires iraniennes et l’administration de Washington soutiendra le plan à contrecœur. Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a déjà indiqué que les États-Unis soutiendraient l’Azerbaïdjan en cas de guerre entre l’Iran et ce dernier.
J’ai toujours soutenu que la controverse Iran-Israël n’était pas un cas isolé ; elle est partie intégrante d’un plan plus large, le printemps arabe, qui avait promis de promouvoir la démocratie et les droits de l’homme dans les pays du Moyen-Orient dirigés par des dictateurs.
L’Irak, la Libye et la Syrie étaient sur le point d’être détruits. La Libye avait le régime le plus égalitaire du Moyen-Orient, dirigé par un dictateur excentrique. L’Irak était fort et prospère tandis que la Syrie était le grenier du Moyen-Orient. Tous ces pays sont aujourd’hui en ruine, attendant toujours la démocratie. Les planificateurs du Printemps arabe avaient déjà compris la situation actuelle lorsqu’ils l’ont intentionnellement mal nommé.
L’Iran faisait également partie de ce plan, mais son heure n’est pas encore arrivée.
Tous les mouvements commencent par une explosion interne pour créer un « besoin » d’intervention étrangère. Maintenant, des manifestations ont débuté en Iran et les Kurdes iraniens se voient proposer de l’armement à faire passer en contrebande dans le pays. Par conséquent, il semble que le décor soit planté pour un autre chapitre de la saga du printemps arabe. Les ministres de la défense turc et israélien se sont rencontrés à Bakou en septembre, rejoints également par le ministre saoudien des affaires étrangères. Après Bakou, ils se sont retrouvés à Ankara, très probablement pour préparer le terrain pour un autre « incident ».
Il n’est pas rare de déclencher une guerre dans une partie du globe alors que le monde est déjà englouti dans une autre grande conflagration.
Était-ce une coïncidence si le soulèvement hongrois contre le régime soviétique s’est déroulé presque simultanément à la crise de Suez ? En effet le soulèvement hongrois a eu lieu du 23 octobre au 11 novembre 1956 et la guerre tripartite de Suez du 29 octobre au 7 novembre 1956.
Il ne faut pas trop d’imagination pour relier les deux cas l’un à l’autre, quand on découvre que les mêmes planificateurs ont été actifs dans les coulisses.
L’étau se resserre autour de l’Iran et si cela va trop loin, le cas de l’Arménie sera marginalisé dans la mêlée qui s’ensuivra. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.