Les acteurs politiques mondiaux exploitent et utilisent la misère des petites nations pour obtenir des gains politiques. Dans le cas du Kosovo, l’Occident avait un intérêt vital à briser l’ex-Yougoslavie et même a utilisé les forces de l’OTAN pour créer une nation musulmane au cœur de l’Europe.
Dans le cas du Karabagh, personne ne semble s’intéresser au sort des Arméniens piégés dans cette enclave, et aucune partie ne semble suffisamment intéressée pour marquer cyniquement des points politiques en fournissant de l’aide pour cette situation misérable. Ainsi, la ligne de vie entre l’Arménie et le Karabagh demeure bloquée, créant une catastrophe humanitaire.
L’Azerbaïdjan semble avoir développé un manuel de jeu qui guide ses actions et sa guerre hybride contre l’Arménie. Bakou, lorsqu’il a attaqué le territoire souverain de l’Arménie le 13 septembre dernier, n’avait pas anticipé la réaction mondiale qui a suivi cette brève guerre. Cette fois-ci, il agit de manière plus calculée pour étrangler le peuple du Karabagh, dans le but ultime de dépeupler cette enclave et d’extraire simultanément un prix à l’Arménie en termes d’accès sans entrave au « corridor de Zangezour ».
Des condamnations sont parvenues des grands centres de pouvoir, qui n’ont pas réussi, pour l’instant, à dissuader le président Ilham Aliev dans sa détermination à poursuivre sa politique de nettoyage ethnique. Tous appellent à la mise en œuvre de la déclaration tripartite du 9 novembre 2020, signée par Moscou, Erévan et Bakou.
Il y a aussi une intention malhonnête dans tous ces appels, ce qui les rend inefficaces; ainsi, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est dit préoccupé par le blocus du corridor en cours, à la suite de sa rencontre avec le ministre arménien des Affaires étrangères, Ararat Mirzoyan. Mais la déclaration a été publiée par son porte-parole, Stéphane Dujarric. De même, le département d’État américain a mis la main à la pâte, cette fois-ci, non pas par l’intermédiaire du secrétaire d’État Antony Blinken, mais par le principal porte-parole adjoint du département d’État Vedant Patel. Dans le langage diplomatique, le moindre détail est très significatif. Le messager diffuse le poids du message. Ainsi, le président Aliev peut comprendre l’importance du message par l’agenda prioritaire du messager et façonner ses réactions en conséquence.
De temps en temps, nous entendons des messages émis par la Turquie, qui orchestre la politique étrangère de l’Azerbaïdjan. Au cours de cette confrontation entre les soi-disant écologistes azerbaïdjanais et les forces de maintien de la paix russes, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Çavusoglu, est intervenu et a annoncé que le blocus ne prendra fin que lorsque les mines seront fermées au Karabagh.
L’Azerbaïdjan n’a certainement pas fait de son mieux en matière d’optique lors de la mise en scène de cette mascarade d’éco-guerriers autoproclamés bloquant le couloir de Latchine. Les manifestants, exigeant de vérifier le fonctionnement d’une mine en Artsakh, étaient censés symboliser tout ce qui est pur et bon. Ainsi, ils ont lâché des colombes. Cependant, ils ont choisi de libérer 44 colombes, un hommage à la guerre qui a brisé le dos de l’Artsakh, et la porte-parole du groupe, vêtue d’un manteau de fourrure, ce qu’aucun vrai écologiste ne ferait, a fait mourir une pauvre colombe entre ses mains pendant qu’elle la secouait et parlait. La vue de cette pauvre petite créature tombant au sol résume bien le tragique de ces actions.
L’industrie minière est la composante primordiale de l’économie du Karabagh. Toute interruption de l’exploitation minière paralyserait son économie déjà faible.
Le président Recep Tayyip Erdogan s’est également prononcé en faveur de la demande d’Aliev de créer une fausse parité avec Latchine et de se tailler une bande de terre en Arménie, à Zangezour. Ce corridor fait partie intégrante d’un plan touranique global, qui a récemment été discuté au Turkménistan, où Aliev a assuré à ses collègues turcs que c’était déjà chose faite.
Alors que le plan que tentent de réaliser les nations turques va à l’encontre des intérêts de l’Iran, Téhéran a fait de l’intégrité territoriale de l’Arménie une priorité et une ligne rouge de sa politique étrangère. Une autre histoire est de savoir si l’Iran entrera en guerre si la Turquie et l’Azerbaïdjan se frayent un chemin à travers Syounik pour créer le « corridor de Zangezour ». La province de Syounik, où l’Iran a ouvert cette année un consulat, est une région vitale pour l’industrie minière arménienne, mais elle s’est également transformée en un territoire stratégique d’importance mondiale dans la rivalité entre l’Iran et le monde turc. La Russie est également partie prenante avec l’Iran sur ce territoire.
La semaine dernière, le chef du MI-6, l’agence de renseignement britannique, Richard Moore, s’est rendu en Arménie. Peu d’informations ont été publiées sur ses entretiens avec les autorités arméniennes. Des commentaires ont été émis selon lesquels la visite était liée aux projets de l’Arménie de développer sa propre agence de renseignement étrangère. Mais en plaçant cette visite dans un contexte plus large, nous pouvons constater qu’elle est plus probablement liée aux plans occidentaux et israéliens concernant l’Iran. En effet, au printemps dernier, le chef de la Central Intelligence Agency, William Burns, s’est rendu en Arménie suivi de son homologue russe, Sergey Narychkine. Le tableau sera complété lorsque nous mentionnerons qu’entre ces visites, les ministres de la défense d’Israël et de Turquie étaient à Bakou, rencontrant le ministre des Affaires étrangères d’Arabie saoudite.
Les troubles intérieurs en Iran sont en corrélation avec les plans secrets complotés contre ce pays dans les couloirs du pouvoir entre les acteurs internationaux. L’Arménie ne sera plus en sécurité si le régime de Téhéran s’effondre.
Les Arméniens ont récemment été réconfortés par la nouvelle voulant que l’Inde vendrait 250 millions de dollars d’armes modernes à Erévan pour reconstruire son arsenal des forces armées dévasté. Ces espoirs ont été encore accrus lorsqu’un article est paru dans l’Eurasia Daily Monitor de la Fondation Jamestown. Selon cet article, « l’Iran pourrait fournir à l’Arménie des drones de combat et des munitions rodeuses fabriqués localement, permettant aux forces arméniennes d’exercer une force de dissuasion grossière contre les États rivaux, principalement l’Azerbaïdjan ».
L’auteur de l’article, Fouad Shahbaz, plutôt que d’y voir un équilibre militaire susceptible de déboucher sur un traité de paix équitable, estime que l’acquisition de ces armes retardera les perspectives de paix. Ce point de vue est certainement basé sur la conviction que maintenant que l’Arménie est militairement abattue, il sera plus avantageux pour Bakou d’imposer un traité selon ses propres conditions.
Alors que des conflits politiques et stratégiques majeurs se développent dans la zone générale, certains jeux locaux de cape et d’épée sont également en vue. Ainsi, l’Azerbaïdjan a coupé le flux de gaz naturel vers le Karabagh pendant plusieurs jours, pour geler les Arméniens. Soudain, le flux de gaz a été rétabli. Le ministre d’État d’Artsakh, Rouben Vardanian, a annoncé qu’il n’y avait pas eu de discussions ou de compromis avec les Azerbaïdjanais pour en rétablir le flux. La restauration du gaz n’était certainement pas une charité des autorités de Bakou. Plus tard, un récit différent a émergé, avec la mention du réservoir d’eau de Sarsang. Ce réservoir a un double usage ; il fournit de l’électricité au Karabagh et de l’eau d’irrigation aux basses terres d’Azerbaïdjan. Les autorités du Karabagh avaient menacé de refuser l’acheminement de l’eau d’irrigation vers l’Azerbaïdjan la saison prochaine et d’utiliser à la place toute la capacité de production d’électricité cet hiver. Cela a fait l’affaire.
Le corridor de Latchine reste bloqué, créant une urgence alimentaire et médicale pour les personnes bloquées dans l’enclave. Les autorités azerbaïdjanaises comptent sur l’impatience des habitants du Karabagh et d’Arménie, les poussant au bord de la famine, pour qu’ils recourent à des actes désespérés qui justifieraient alors une nouvelle guerre de l’Azerbaïdjan.
Vardanian a déclaré que « nous apprendrons à vivre dans ces conditions ».
Le nom du jeu est la patience et les mouvements sont calculés. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.
