Près d’un mois s’est écoulé depuis le blocus de l’Artsakh par l’Azerbaïdjan au vu et au su des forces russes de maintien de la paix. Pourtant, il y a une apathie générale choquante dans le monde et même dans la communauté arménienne internationale, car le destin de 120 000 Arméniens est en jeu.
Le 31 décembre, le quotidien The Guardian a publié un résumé des problèmes internationaux par ses correspondants à travers le monde mentionnant les points chauds à surveiller au cours de la nouvelle année. Ils ont répertorié plus de 100 conflits dont il faut se préoccuper ; Le blocus de l’Artsakh n’en fait pas partie. Cela démontre la place de l’Artsakh sur l’échelle mondiale des crises et fait comprendre que le monde politique a des crises beaucoup plus urgentes à gérer. Par conséquent, il nous incombe exclusivement de surveiller et de rechercher des solutions pour cela, avant que Bakou n’impose sa propre solution en dépeuplant l’Artsakh.
Les Arméniens se sont rarement comportés avec une telle nonchalance face à une crise. Avons-nous collectivement abandonné après avoir été témoins de tant de tragédies qui ont peut-être engourdi notre sens des responsabilités ?
Le nouveau ministre d’État d’Artsakh, Rouben Vardanian, a déclaré que le peuple d’Artsakh avait trois choix : se joindre à l’Azerbaïdjan, partir ou se battre. Il a conclu : « Nous avons choisi de nous battre. » C’est plus facile à dire qu’à faire, car la population emprisonnée de l’enclave peut difficilement assumer seule le fardeau de se battre alors que le peuple arménien et la diaspora regardent impuissantes cette lutte.
Comme le casse-tête politique de la situation dans et autour de l’Artsakh ne laisse aucune voie politique pour résoudre la crise, cela laisse l’option de lieux non conventionnels.
Pour commencer, la source et la cause de cette apathie est la situation politique chaotique en Arménie et la désintégration du leadership et de l’autorité dans la diaspora. De nombreux experts et analystes en Arménie demandent quelle politique cohérente le gouvernement a-t-il pour faire face à la situation, mais il n’a pas encore reçu de réponses convaincantes.
Dans de tels cas d’urgence nationale, il incombe à toutes les forces de se rallier autour du gouvernement afin d’atténuer la situation, mais aucun mouvement de ce type n’est visible sur la scène politique arménienne. Une opposition agitée se comporte de manière erratique, prétendant toujours avoir pour objectif principal de renverser le Premier ministre Nikol Pachinian plutôt que de faire pivoter ses objectifs vers la gestion de la catastrophe imminente en Artsakh. D’un autre côté, le parti au pouvoir lance un faux pas après l’autre, des erreurs de calcul qui réduisent sa base de pouvoir plutôt que de l’élargir. Parmi ceux-ci figurent le harcèlement continu des membres des administrations précédentes, par l’emprisonnement ou des traînements devant les tribunaux, et l’affaiblissement de l’Église arménienne par des moyens tacites ou manifestes, tandis que la Russie et la Géorgie utilisent leurs églises comme atouts politiques pour renforcer leurs régimes impopulaires.
En bref, le gouvernement arménien ne fait pas de son mieux pour sortir son enclave sœur de sa spirale de mort ; au lieu de cela, il essaie toujours d’éliminer les ennemis politiques au niveau national.
L’Azerbaïdjan continuera à faire pression sur les Arméniens jusqu’à ce qu’il atteigne l’un de ses objectifs immédiats, sans renoncer à ses objectifs futurs. Lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion des ministres des Affaires étrangères à Moscou le 23 décembre, réunion que le ministre arménien des Affaires étrangères Ararat Mirzoyan a manqué, le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Jeyhun Bayramov aurait déclaré que le couloir de Latchine était ouvert dans un sens – si les Arméniens d’Artsakh choisissaient de partir pour de bon.
En bloquant l’Artsakh, Bakou a ouvertement affiché ses intentions : arracher le « couloir de Zangezour », c’est-à-dire toute une partie du sud de l’Arménie. C’est pourquoi l’un des appels lors du récent rassemblement à Stepanakert était un rappel à l’Arménie de ne pas céder, afin de soulager sa douleur. À défaut d’atteindre cet objectif, l’Azerbaïdjan imposera sa volonté à l’Arménie, en établissant un point de contrôle sur le corridor de Latchine, en collusion avec la Russie. Pachinian avait raison alors qu’il a déclaré récemment que les soldats de la paix ne contrôlaient plus le corridor de Latchine car ils avaient cédé cette autorité aux pouvoirs de Bakou.
Malgré la position de faiblesse de l’Arménie, elle a su rassembler suffisamment de volonté politique pour menacer Moscou d’abandonner l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui, plutôt qu’une structure de défense, est devenue une imposture et un handicap pour l’Arménie. On ne sait pas encore combien de points Erévan peut marquer avec l’Occident grâce à cette position.
L’Arménie ne peut fonder ses espoirs sur le bras de fer entre Bakou et Téhéran, car ce désaccord pourrait s’avérer temporaire. L’Arménie ne peut pas non plus compter sur la perspective épouvantable d’accueillir une base militaire iranienne à Syounik, dont la rumeur disait qu’elle serait installée. Cela pourrait s’avérer désastreux, car la Turquie, Israël, l’Azerbaïdjan et l’Arabie saoudite complotent ouvertement pour renverser le régime en Iran.
Le potentiel de changement de régime en Iran pourrait en outre être alimenté par l’administration Biden qui a renoncé à l’accord sur le nucléaire, et en particulier avec la montée en puissance de Benjamin Netanyahu en Israël, avec son penchant pour les frappes préventives sur les installations nucléaires iraniennes.
Au début de décembre, nous avons assisté à un débat au Conseil de sécurité des Nations unies. Les politiciens et les analystes ont accordé trop d’importance à ces débats, malgré le fait que la plupart des discours étaient des déclarations génériques et banales, conseillant à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan de résoudre pacifiquement leurs différends, ignorant complètement le fait que le peuple d’Artsakh étaient sur le point de mourir de faim à cause des actions de l’Azerbaïdjan et n’ont pas le temps d’attendre l’issue douteuse de ces négociations.
D’un autre côté, Erévan pourrait se séparer de l’OTSC, un avertissement périlleux mais nécessaire à la Russie. Pour continuer dans cette voie, l’Arménie pourrait cesser d’héberger la base militaire russe de Goumri. Par exemple, un « mouvement populaire » similaire aux écologistes azerbaïdjanais peut bloquer cette base jusqu’à ce que les Casques bleus russes tiennent leurs engagements.
Des actions similaires peuvent avoir lieu dans le monde entier, en particulier là où résident de grandes communautés arméniennes. Des chaînes humaines peuvent bloquer les ambassades d’Azerbaïdjan pour sensibiliser l’opinion publique et activer les médias.
Déjà, certains groupes de défense encouragent leurs partisans à appeler ou à écrire à leurs sénateurs et représentants aux États-Unis. Ce mouvement peut être élargi pour impliquer beaucoup plus d’organismes jusqu’à ce qu’il ait un impact sur les médias et les législateurs.
Il existe de nombreux autres groupes ethniques ou confessionnels qui ont des griefs contre la Turquie et l’Azerbaïdjan, tels les Grecs et les Kurdes. Il y a quelques semaines à peine, le ministre turc de la Défense s’est vanté ouvertement que son pays pouvait frapper Athènes avec des missiles quand il le voulait. Nous pouvons former des coalitions et organiser des rassemblements dans les principales capitales du monde.
L’Azerbaïdjan et la Turquie sont bien en avance sur les Arméniens dans leurs activités de lobbying et leurs relations avec les médias. Nos sources de financement, nos bienfaiteurs et nos groupes de défense doivent être en mesure de créer les ressources nécessaires et de commencer à faire des vagues.
Avant d’aller trop loin et d’impliquer les autres sur notre sort et notre combat, nous devons briser cette chaîne d’apathie qui paralyse nos forces. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.