Tout au long de l’histoire, les Arméniens ont été notoirement divisés, même face à une catastrophe, et cela, le plus souvent, a contribué à nos pertes historiques.
Aujourd’hui, alors que l’Artsakh approche du point d’extinction, parlons-nous d’une seule voix ? Apparemment non.
Nous entendons des commentaires pro-russes venants de Stepanakert et des déclarations antirusses d’Erévan. Si cette dissonance était basée sur des désaccords convenus, nous serions heureux de voir que finalement les Arméniens sont parvenus à la réalisation d’une politique coordonnée pour profiter des cibles politiques mouvantes. Cependant, nous craignons que la différence de positions ne reflète des évaluations différentes de la situation et ne divise en fait le soutien.
Et pour aggraver les choses, alors que différentes voix se font entendre d’Arménie et d’Artsakh, il n’y a pas encore de voix émanant de la diaspora. Aucun mouvement massif ne semble se profiler et aucune revendication ni défi n’a été transmis d’Erévan aux masses de la diaspora.
Depuis près d’un mois, le corridor de Latchine est bloqué, étouffant les Arméniens du Karabagh, mais la communauté internationale n’y a apporté aucun remède et les Arméniens du monde entier n’ont pas concentré leur désespoir sur un objectif précis ou agi collectivement. La seule consolation est dans l’adage chinois selon lequel chaque crise est aussi une opportunité ; alors que les autorités azerbaïdjanaises continuent de faire pression, ajoutant une demande après l’autre, elles justifient l’application du principe de cessation réparatrice pour le peuple du Karabagh.
Au cours de la dernière décennie, l’Azerbaïdjan a réussi à paralyser le groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), avec la participation active de la Russie. Cette entité était le dernier et meilleur espoir pour la partie arménienne, car elle soutenait qu’il n’y avait pas de solution militaire au conflit tant que la question du statut du Karabagh demeurait non résolue. Mais à mesure que cet espoir s’estompe, nous nous rendons compte qu’aucun règlement négocié sur le statut ne pourrait être meilleur qu’une cessation correctrice, qui peut signifier l’autodétermination.
À un moment donné, on a pu espérer que le Conseil de sécurité des Nations unies prendrait finalement position, internationalisant la crise. En fait, les crises ne manquent pas dans le monde, mais la France a su inscrire le problème à l’ordre du jour du Conseil de sécurité. Et avec l’Inde servant de président tournant du Conseil de sécurité, un résultat positif était attendu.
Cependant, après de nombreux appels à débloquer le corridor de Latchine, la délégation russe a réussi à faire échouer la résolution prévue. Suite à une gymnastique verbale du Kremlin et de divers porte-parole russes, Moscou a accusé la France de son propre jeu sale. Cependant, le ministère arménien des Affaires étrangères a publiquement remercié la France pour sa position constructive, indiquant clairement qu’Erévan avait compris qui blâmer pour l’échec.
La Russie a abdiqué sa responsabilité assumée par la déclaration de paix du 9 novembre 2020. Alors qu’elle devient le centre des critiques de nombreux milieux, y compris l’Arménie, les autorités russes rassurent continuellement le public sur le fait que leurs forces de maintien de la paix travaillent d’arrache-pied pour débloquer le corridor.
Alors que toutes les positions sont très visibles pour tout le monde, le débat public s’écarte de la réalité de la situation. Le Premier ministre Nikol Pachinian a critiqué les forces de maintien de la paix russes pour avoir été des « témoins silencieux » des efforts de l’Azerbaïdjan pour « dépeupler » le Karabagh par un blocus. D’un autre côté, le ministre des Affaires étrangères du Karabagh, David Babayan, bloqué en Arménie, adopte une position différente en déclarant : « Le problème, ce ne sont pas les Russes. Nous devons en prendre conscience. Le problème, c’est l’Azerbaïdjan et la Turquie. Frapper les Casques bleus russes à ce stade signifie étrangler l’Artsakh. Qui est responsable de tout cela ? Les Russes? Pourquoi suivez-vous cette ligne ? »
D’autre part, le peuple du Karabagh a lancé un appel à la communauté internationale avec un message d’autodétermination par le biais de rassemblements pacifiques et massifs les 30 octobre et 25 décembre 2022. On rapporte que 60 000 à 70 000 personnes ont participé au dernier rassemblement, pour réfuter les déclarations du dirigeant azerbaïdjanais Ilham Aliev affirmant que seules 20 000 personnes vivent dans l’enclave. Cette fois-ci, la manifestation était plus disciplinée et déterminée, avec des slogans dans de nombreuses langues internationales. Contrairement aux rassemblements précédents, seuls les drapeaux de l’Arménie et du Karabagh ont été hissés. Les gens sont unis dans leur but et leur désir. Cependant, certains changements mystérieux ont eu lieu.
Par exemple, lors du dernier rassemblement, le président du Karabagh Arayik Haroutiounian était introuvable, tandis que le nouveau ministre d’État Rouben Vardanian était très visible et a prononcé quelques mots.
Il y a quelques jours, le secrétaire du Comité de la défense d’Artsakh, Vitali Balasanian, a été démis de ses fonctions et remplacé par son adjoint, Ararat Melkonian. Selon certaines rumeurs, Balasanian aurait entamé des négociations avec les autorités azerbaïdjanaises.
À leur tour, les médias de Bakou ont prétendu que des négociations secrètes étaient en cours avec les dirigeants du Karabagh.
En ce qui concerne Vardanian, de nombreuses personnes au Karabagh le voient comme un sauveur qui a renoncé à la vie de confort d’un milliardaire et s’est installé dans une zone dangereuse pour aider son peuple, tandis que l’Azerbaïdjan, en revanche, s’inquiète du potentiel de son leadership.
Le président Aliev l’a fustigé d’être un oligarque qui a volé le peuple russe et s’est installé illégalement au Karabagh et que, par conséquent, il devrait quitter la région. Le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères, Jeyhun Bayramov, a poursuivi dans le même sens lors de la réunion ratée des ministres des Affaires étrangères à Moscou en décembre dernier, déclarant que Bakou ne lui parlerait jamais. Il a également insinué que Moscou le possédait.
Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a réagi avec véhémence en disant que la Russie n’avait aucun lien avec lui et n’aurait aucune relation avec lui à l’avenir.
Il semble que Vardanian soit devenu une patate chaude politique entre Bakou et Moscou.
L’analyste Hovsep Khourchoudian estime que ces attaques font de lui un héros plutôt qu’un paria.
Erévan lui parle-t-il ou parle-t-il à quelqu’un d’autre à Stepanakert ? C’est une question discutable.
La crise a donné l’occasion au Premier ministre arménien Nikol Pachinian de prouver son vrai courage en galvanisant la diaspora et en en faisant une composante puissante de sa politique étrangère, en ralliant l’église et ses adeptes dans le monde autour de lui et en faisant la paix avec l’opposition. Mais Pachinian n’a pas relevé le défi et semble être englouti dans une mentalité de siège, s’isolant de la réalité et laissant les choses suivre leur cours.
Il y a certainement une crise de leadership en Arménie et dans la diaspora ; entre-temps, le tollé dans le monde n’a pas réussi à atténuer l’arrogance d’Aliev, car non seulement il ignore toute demande de mettre fin à ses manières meurtrières, mais au lieu de cela, il aggrave la misère en coupant périodiquement l’électricité vers l’Artsakh. Edmond Y. Azadian
Traduction N.P.