Des fissures dans les relations toxiques d’Israël avec l’Arménie

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 2 février 2023

La nouvelle des incidents survenus à Jérusalem du 27 au 29 janvier a alarmé la communauté arménienne internationale, alors qu’un groupe de colons juifs extrémistes a attaqué un restaurant arménien et le patriarcat arménien, criant des slogans incendiaires, tels que « Mort aux Arabes, mort aux Chrétiens. »

Acculés lors de cet incident récent, les Arméniens, dont leur histoire dans la Ville Sainte remonte au VIe siècle après JC, ont rappelé à leurs agresseurs, qui avaient demandé à un groupe du quartier arménien de quitter le pays, que c’était leur quartier. Les assaillants ont crié : « Vous n’avez pas de quartier ici. C’est notre pays. Partez. »

Ce n’est pas un phénomène nouveau, car ces attaques ont lieu depuis de nombreuses années. Cette nouvelle poussée est le reflet du nouveau gouvernement israélien extrémiste, dont certains membres sont issus des mêmes milieux xénophobes que les assaillants. Alors que de jeunes Palestiniens sont condamnés à de longues peines de prison pour avoir jeté des pierres, les commissariats de police ne présentent qu’une plaque tournante pour ces colons agresseurs.

Depuis le génocide et les déportations qui l’ont accompagné, la communauté arménienne de Jérusalem s’est maintenue à 15 000 personnes, parfois même plus. Le fait que la communauté se soit réduite aujourd’hui à moins de 1 500 personnes indique qu’en effet, ils « n’ont pas de quartier ici ».

Les Arméniens et les Juifs ont été liés par le destin comme victimes de génocides de masse au XXe siècle. Et ce lien est fort, malgré la divergence de leurs politiques au fil des ans. Le fait que le gouvernement israélien ait refusé de reconnaître le génocide arménien irrite la majorité des Juifs en Israël et dans le monde, tout comme les Arméniens.

Au cours de la récente guerre de 44 jours, Israël a été un partenaire criminel de l’Azerbaïdjan, non seulement en fournissant des drones meurtriers au gouvernement de Bakou, mais aussi en utilisant parfois ces drones, qui ont tué des milliers d’Arméniens. Dans un cas, le fabricant des drones israéliens Aeronautics Ltd, a été pris en flagrant délit en 2017 démontrant la puissance de ses drones suicides en les envoyant en Arménie pour attaquer des positions de l’armée dans le cadre de son argumentaire de vente, et n’a reçu qu’une claque sur la main.

Malgré cet alignement sur l’Azerbaïdjan, après l’incident, l’Arménie a reconnu l’influence politique d’Israël dans la région. Ainsi, elle a pris un risque calculé et renvoyé son ambassadeur en Israël, malgré les inquiétudes des communautés arméniennes du monde arabe et celles d’Iran, l’un des seuls voisins amis de l’Arménie.

Il s’avère que les Arméniens sont devenus des dommages collatéraux pour Israël, tant au niveau national qu’international, car les extrémistes religieux ont créé une crise d’identité pour Israël. Ils insistent sur la nécessité de définir qui est juif, et donc qui a le droit de devenir citoyen d’Israël. D’autre part, l’Arménie est tombée du mauvais côté de la politique en tant qu’amie de l’Iran, un pays contre lequel le nouveau (et ancien) dirigeant israélien Benjamin Netanyahu est impatient de s’engager dans une confrontation importante.

Netanyahu est revenu au pouvoir en bricolant une coalition de partis ultra-orthodoxes et xénophobes. Ce type de confrontation est explosif et a le potentiel de créer à la fois des problèmes nationaux et des tensions dans sa collaboration avec l’administration Biden.

Le secrétaire d’État Antony Blinken, qui visite Israël et la région en cette période tendue, a insisté, comme tous les diplomates américains, sur l’engagement à toute épreuve de Washington envers la « sécurité » d’Israël, qui est une autorisation pour M. Netanyahu d’entrer dans n’importe quel conflit, en entrainant les États-Unis.

Dans une entrevue accordée au Times d’Israël, Thomas Nides, l’ambassadeur des États-Unis, a déclaré : « Les États-Unis espèrent que M. Netanyahu pourra aider à éviter des actions qui rendront plus difficile la coopération avec l’administration Biden. »

L’ambassadeur, poursuivant ses propos, a ajouté : « On ne sait pas quel contrôle M. Netanyahu a sur cette coalition, qui fonctionne avec une mince majorité au parlement qu’il devra accommoder ses membres les plus conservateurs pour demeurer au pouvoir. »

La réponse du Premier ministre a été : « Ils sont venus vers moi ; Je ne suis pas allé chez eux. »

Comme si les activités et les idéologies religieuses des groupes extrémistes ne suffisaient pas, M. Netanyahu mène une campagne pour réformer le système judiciaire, affaiblissant le pouvoir de la Cour suprême du pays, qui est tout à fait indépendante, en donnant au parlement le pouvoir d’annuler les décisions de cet organe. Cela érodera les fondements de la démocratie, affirment les Israéliens libéraux. Le premier bénéficiaire de ce changement sera Netanyahu lui-même, qui a été inculpé de trois affaires de corruption et de fraude, qui pourraient potentiellement aller devant la Cour suprême.

Cette décision a alarmé les Israéliens qui ont eu recours à des marches de protestation de plus de 100 000 participants. L’action s’est répercutée jusqu’à New York, où des foules se sont rassemblées à Washington Square, scandant « La démocratie maintenant et pour tous » et « Pas d’accord avec le fascisme ».

Il est évident que cette vague xénophobe ne vise pas particulièrement les Arméniens mais tous les citoyens d’Israël. C’est pourquoi Amir Tibon a écrit dans Ha’aretz, une chronique dont le titre dit tout : « Netanyahu a promis l’ordre. Au lieu de cela, il a apporté le chaos. »

Signe d’instabilité, les tensions avec les Palestiniens augmentent, M. Netanyahu menace de mesures encore plus dures, tandis que les Palestiniens, en particulier les 2 millions de la bande de Gaza, vivent dans un camp de prisonniers virtuel. Il y a 4 450 prisonniers palestiniens en Israël, dont 160 enfants, 32 femmes et 530 « détenus administratifs », c’est-à-dire incarcérés sans inculpation. La plupart purgent de longues peines simplement pour avoir jeté des pierres sur la police. Rendre leur vie plus misérable ne garantit pas une vie paisible aux Israéliens.

Étant donné que la nouvelle élection a provoqué une grave fragmentation intérieure en Israël, le nouveau Premier ministre semble vouloir une escalade majeure dans la région pour rallier la nation autour de lui.

  1. Netanyahu avait des relations très tendues avec l’administration Obama au sujet de l’accord nucléaire avec l’Iran. L’intention du président Obama était de contenir les ambitions nucléaires de l’Iran par des négociations, tandis que M. Netanyahu préférait une frappe préventive.

L’administration Trump s’est retirée de l’accord sur le nucléaire, permettant à l’Iran de continuer à développer son programme nucléaire, offrant ainsi un casus belli à M. Netanyahu.

À plus grande échelle, le printemps arabe a offert deux choix aux nations du Moyen-Orient : soit subir le sort de Saddam Hussein et de Kadhafi, soit faire la paix avec Israël. Et tous les rois, princesses, potentats et émirs qui chérissent plus leurs salles de bains dorées que la cause palestinienne, se sont alignés pour les accords d’Abraham et ont commencé à établir des relations diplomatiques avec Israël. Le seul paria qui a été laissé de côté était l’Iran, dont le temps semble s’être écoulé à ce stade alors que des drones israéliens frappent les installations militaires du pays.

Il semble que la théocratie au pouvoir actuellement en Israël soit prête à affronter la théocratie chiite en Iran.

Récemment, trois jeux de guerre sans précédent ont été menés avec les forces combinées des États-Unis et d’Israël. Les visites dans la région du directeur de la CIA William Burns et du secrétaire d’État Blinken semblent jeter les bases d’une escalade plutôt que d’apprivoiser Israël.

L’Azerbaïdjan, qui vient d’envoyer ce mois-ci son premier ambassadeur en Israël, et la Turquie, ont observé avec un appétit aiguisé qu’ils seraient les parties prenantes du butin d’une guerre Iran-Israël. Le président Ilham Aliev d’Azerbaïdjan revendique ouvertement non seulement le territoire de la République d’Arménie, mais aussi le nord de l’Iran.

Même si l’Arménie ne fait pas partie des plans de guerre d’Israël, elle deviendra l’une des victimes involontaires en tant qu’amie de l’Iran.

Incidemment, l’Iran a ouvertement contesté toute revendication sur le territoire de l’Arménie, un défi dont l’impact deviendra discutable si la guerre éclate.

  1. Netanyahu a les mains pleines. La montée de l’extrémisme religieux est un défi à la démocratie israélienne, avant d’être une menace pour les Arméniens, les Chrétiens et les Arabes du pays.

S’il peut gérer le chaos qu’il a lui-même créé, à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël et maintenir des relations saines avec les États-Unis, cela prouvera ses extraordinaires talents d’homme d’État. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.