L’apaisement de l’Azerbaïdjan ne fera qu’augmenter la violence

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 9 mars 2023

Ces derniers mois, plusieurs développements politiques ont semblé renforcer la position de l’Arménie vis-à-vis de ses ennemis, soit le verdict de la Cour internationale de justice, le placement de 100 observateurs de l’Union européenne sur le territoire arménien et les résolutions adoptées par le Sénat et l’Assemblée nationale, les deux chambres du parlement français. De plus, les tragiques tremblements de terre qui ont secoué les provinces turques (ainsi que la Syrie) ont temporairement mis une limite à l’attitude agressive de la Turquie envers ses voisins.

Malgré tous ces développements, l’Azerbaïdjan a refusé de débloquer le corridor de Latchine, qu’il occupe depuis le 12 décembre. En outre, il a intensifié sa rhétorique de guerre et s’est engagé dans de violents affrontements contre la partie arménienne. Cela signifie que ces développements n’ont eu aucune incidence sur le comportement de l’Azerbaïdjan et ses méthodes d’évaluation de l’atmosphère politique dans la région.

Certaines causes inhérentes motivent l’attitude agressive du président Ilham Aliev et façonnent sa politique.

D’une part, Aliev considère l’Arménie comme l’adversaire vaincu et a décidé d’obtenir le maximum de concessions d’Erévan. Une autre raison est le ressentiment de la Russie envers l’Arménie à cause des récents accords de cette dernière avec l’Occident, auxquels Moscou répond par l’intermédiaire d’un tiers, c’est-à-dire l’Azerbaïdjan. Elle n’admet pas que l’Arménie n’ait eu d’autre choix que de demander l’aide de l’Occident, puisque l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), dirigée par la Russie et dont l’Arménie est membre, a résolument refusé d’aider à tout moment cette dernière. Ajoutant l’insulte à l’injure, les dirigeants de plusieurs pays membres ont félicité l’Azerbaïdjan pour sa victoire décisive dans la guerre de 44 jours qu’il a lancée.

La troisième raison, qui n’est pas toujours évidente lorsque la discussion se tourne vers la politique dans le Caucase, est le soutien politique et militaire israélien à l’Azerbaïdjan. Malgré le dilemme de la Turquie limitant temporairement sa capacité d’aventures à l’étranger, Bakou dépend fortement d’Israël pour obtenir la clémence de l’Occident et en particulier des États-Unis, pour son arrogance et ses mésaventures sanglantes.

En marge de la dernière conférence de Munich sur la sécurité en février, lorsqu’Aliev a partagé un panel avec les premiers ministres d’Arménie et de Géorgie, s’adressant à Nikol Pachinian, il a déclaré sans ambages que l’Arménie avait signé un traité de capitulation et que le peuple arménien avait reconnu les résultats de la guerre en réélisant Pachinian. Par conséquent, a-t-il ajouté, l’Arménie doit en payer le prix. Une fois que nous comprenons l’état d’esprit d’Aliev, alors rien ne semble hors de l’ordinaire; ses ministres ont considéré le « corridor de Zangezour » comme un butin de guerre car Aliev trouve très raisonnable d’affirmer publiquement que le territoire de l’Arménie est à gagner pour être reclassé en Azerbaïdjan occidental.

Le rôle infâme de la Russie ne fait que renforcer l’ego d’Aliev et l’encourage dans son impasse avec l’Arménie. L’Arménie a invité des observateurs de l’Union européenne (UE) à ses frontières et la Russie est mécontente. Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a averti Erévan que les stationner sans le consentement de l’Azerbaïdjan créerait des problèmes. Nous avions prédit, à l’époque, que ce serait M. Lavrov, et non un médium, qui fomenterait ce problème et c’est pourquoi il saurait que cela se produira. Et voilà, M. Lavrov vient de se rendre à Bakou il y a quelques jours pour célébrer le premier anniversaire de l’alliance de partenariat stratégique russo-azerbaïdjanais, et dans la foulée de cette visite, des terroristes azerbaïdjanais ont tué trois policiers et en ont gravement blessé un autre, le 6 mars, à l’intérieur du Karabagh.

Plusieurs analystes en Arménie ont fait remarquer que chaque fois que M. Lavrov se rend à Bakou, l’Azerbaïdjan est encouragé à commettre un acte violent, et cette fois-ci n’a pas fait exception.

Il s’agissait d’une répétition de l’agression azerbaïdjanaise de mai dernier et de la grave escalade des 13 et 14 septembre 2022.

La Turquie et le Pakistan ont participé activement à la guerre de 44 jours contre l’Arménie tandis qu’Israël en est le partenaire invisible, fournissant des drones meurtriers.

L’Arménie ne semble pas être la cible des plans militaires israéliens dans son bras de fer avec l’Iran, mais n’est qu’une victime involontaire. Nous devons également tenir compte de l’influence israélienne lorsque nous nous plaignons chaque année de la dérogation présidentielle (des États-Unis) à l’article 907 de la loi sur le soutien à la liberté interdisant l’envoi de soutien militaire américain à l’Azerbaïdjan.

Israël est l’allié fidèle de l’Azerbaïdjan, au grand dam du monde islamique. Bakou a fourni son propre territoire à la surveillance israélienne de l’Iran et même l’utilisation de son territoire comme rampe de lancement pour une éventuelle attaque contre l’Iran, comme l’a récemment révélé le quotidien israélien Haaretz. Alors que les tensions montent entre l’Iran et Israël, l’Azerbaïdjan devient indispensable. La présence d’Israël a encore été renforcée après que l’Azerbaïdjan a capturé les territoires qui étaient sous contrôle arménien.

Après quelques jours tendus, lorsqu’Israël a lancé quelques roquettes sur l’Iran, des signes d’espoir ont fait penser que l’accord sur le nucléaire iranien serait remis sur les rails après que l’Iran ait autorisé la visite de Rafael Grossi, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Mais il semble que les remarques de M. Grossi aient touché une corde sensible en Israël.

En effet, il a déclaré qu’une attaque israélienne contre les installations nucléaires iraniennes est contraire à la loi. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a répondu avec colère en disant : « Rafael Grossi est un digne gentleman qui a dit quelque chose d’indigne. Contre quelle loi ? L’Iran, qui appelle ouvertement à notre destruction, est-il autorisé à défendre des armes destructrices qui nous massacreraient ? Sommes-nous autorisés à nous défendre ? … Rien ne nous empêchera de défendre notre pays et d’empêcher nos ennemis d’éliminer l’État des Juifs.

La valeur de l’Azerbaïdjan concorde avec la température de cette rhétorique incendiaire du chef d’État israélien controversé et très détesté. Comme c’est le cas avec l’Azerbaïdjan, Israël est en plein désarroi sous la coupe d’un dictateur. Dans l’Azerbaïdjan riche en pétrole, le niveau de vie est inférieur à celui de l’Arménie, tandis que les opposants politiques sont emprisonnés. En Israël, la soif de pouvoir mégalomane de Netanyahu cherche à étrangler les hautes cours du pays et, par conséquent, des centaines de milliers de citoyens manifestent chaque jour. Parallèlement, les tensions israélo-palestiniennes montent en flèche, maintenant au niveau de la prochaine Intifada, avec ses encouragements envers les colons israéliens illégaux présents sur les terres palestiniennes. Ainsi, cela semble être, pour Netanyahu, le moment le plus opportun de chercher une aventure extérieure afin de susciter un soutien intérieur.

Il n’est pas rare d’avoir une conflagration alors qu’un autre fait encore rage en Ukraine, retenant notamment dans la région l’un des proches alliés de l’Iran, la Russie.

Même si la Turquie est temporairement hors service, la Russie et Israël sont là pour soutenir Bakou.

L’Iran est la seule puissance de la région dont les intérêts convergent avec ceux de l’Arménie. Mais l’étreinte de Téhéran pourrait s’avérer toxique pour l’Arménie, car elle pourrait tomber du mauvais côté des politiques israéliennes et américaines. Ainsi, il doit agir avec beaucoup de prudence dans ses relations avec Téhéran.

Les acteurs de la région sont la Turquie, l’Iran, la Russie et l’Azerbaïdjan. À l’exception de l’Iran, l’Arménie est entourée de nations hostiles et c’est pourquoi l’Azerbaïdjan utilise la force en toute impunité. L’Occident et l’Europe ne peuvent pas générer beaucoup plus que quelques déclarations de soutien. En outre, l’Azerbaïdjan est beaucoup plus précieux maintenant pour l’UE à la suite de la guerre russe mal conçue lancée l’an dernier contre l’Ukraine.

La semaine dernière, des représentants du Karabagh ont rencontré des responsables azerbaïdjanais lors d’une réunion organisée par les forces de maintien de la paix russes au bureau du général Andrei Volkov. Le but de la réunion était de résoudre certains problèmes pratiques et l’ordre du jour ne comprenait aucune question politique. Elle ne concernait que le déblocage du corridor de Latchine, la restauration de l’électricité et du gaz au Karabagh et l’autorisation d’une inspection ponctuelle des mines de Tsaghkashen et Drmbon par des représentants azerbaïdjanais. Bien que rien n’ait été résolu, la partie azerbaïdjanaise a publié un communiqué indiquant que les deux parties se sont rencontrées pour discuter de l’intégration des Arméniens du Karabagh dans la société azerbaïdjanaise. L’assassinat de trois policiers arméniens a été le prix du refus de négocier sur le processus d’intégration.

Le 6 mars, le gouvernement du Karabagh s’est réuni après avoir entendu l’ultimatum d’Ilham Aliev : le refus de s’intégrer entraînera un traitement pire. Le gouvernement du Karabagh a décidé de maintenir le cap et de rechercher l’autodétermination.

Le gouvernement azerbaïdjanais attribue l’incident du 6 mars aux Arméniens du Karabagh transportant des armes d’Arménie vers le Karabagh. Heureusement, le gouvernement du Karabagh avait des vidéos montrant clairement l’attaque azerbaïdjanaise contre la voiture de police. Incidemment, la déclaration du 9 novembre ne contient aucune restriction pour les marchandises circulant dans le corridor de Latchine.

Les forces de maintien de la paix russes n’ont pas pu corroborer la déclaration du gouvernement azerbaïdjanais et, dans leur communiqué officiel, ont admis que c’était la partie azerbaïdjanaise qui avait ouvert le feu en premier. Les Azerbaïdjanais ont perdu deux soldats et plusieurs autres ont été blessés. Le gouvernement arménien a qualifié l’incident d’acte terroriste, tandis que la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a appelé à la retenue des deux côtés, démontrant le parti pris russe envers l’Azerbaïdjan.

Les forces russes de maintien de la paix ont le devoir d’empêcher de tels incidents. Avec la détermination de l’Azerbaïdjan à faire monter les enchères et la réticence de la Russie à respecter son engagement du 9 novembre, une médiation internationale s’impose. La Russie ne peut pas agir comme négociateur honnête.

L’Arménie prévoit inviter des observateurs de l’UE ou des Nations unies pour compléter les casques bleus russes. De plus, les négociations et leurs conséquences ne peuvent avoir de résultats productifs que s’ils sont menés par des médiateurs internationaux.

Les actions et les menaces azerbaïdjanaises d’une nouvelle escalade de la violence soulignent le fait qu’un arrêt de toute urgence est justifié. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.