Écrit en anglais par Dr Arshavir Gundjian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 26 septembre 2024
Le 19 septembre dernier marquait le triste anniversaire de la fin tragique d’un éphémère Artsakh indépendant et glorieux. Le but de cet article est de développer les germes d’une stratégie sérieuse et planifiée pour le mettre sur une trajectoire réaliste vers la résurrection, basée sur l’utilisation de toutes les ressources que le monde arménien peut fournir.
Alors que j’étais en train de rédiger les derniers mots de mes réflexions dans le brouillon de cet article, j’ai reçu et lu avec grand intérêt l’article le plus pertinent que mon ami et expert en droit international Philippe Raffi Kalfayan venait de publier dans ce journal (The Armenian Mirror-Spectator du 17 septembre), intitulé « Analyse des options juridiques pour le retour des Arméniens d’Artsakh, à l’occasion du premier anniversaire du nettoyage ethnique ».
N’ayant aucune prétention à une quelconque expertise juridique, j’ai été ravi de confirmer que mon approche entièrement pragmatique en tant que dirigeant communautaire de longue date suivait une voie parallèle fondamentalement cohérente avec les arguments juridiques de Kalfayan et bénéficierait de toutes ses prescriptions juridiques. Mon article actuel exhorte les Arméniens à pousser plus loin leurs efforts. Des exemples de conflits à travers le monde indiquent que les efforts basés sur une simple justification juridique ne conduisent pas, dans la pratique, à l’application de la justice.
L’Artsakh n’était certes ni un simple rêve, ni une illusion. L’Artsakh indépendant était une réalité vivante créée en 1994. Il a depuis lors apporté au monde arménien une endurance, un optimisme, un enthousiasme et une fierté nationale sans précédent, qui ont perduré pendant près de trois décennies. Il est devenu un phare rayonnant de fierté pour tous, en particulier pour les jeunes Arméniens de toute la planète, à la suite de l’indépendance de l’Arménie en 1991. De nombreux chants patriotiques enflammés, des danses et des poèmes sur l’Artsakh ont rempli les salles de classe de l’Artsakh, de l’Arménie et des écoles arméniennes de la diaspora, et au fil des ans, ont fait pleurer des milliers de personnes lors de presque tous les rassemblements ou événements arméniens.
C’était le résultat d’une guerre difficile et victorieuse – peut-être même sainte – d’un genre que les Arméniens n’avaient pas connu depuis plusieurs siècles. Même si cela peut sembler une sorte d’exaltation idéalisée, cela évoque véritablement l’état d’esprit des Arméniens des années 90.
« Artsakh-e meren eh ! » était le slogan qui résonnait dans les rues et sur les places d’Arménie au début de l’année 1988. Des centaines de milliers d’Arméniens levèrent le poing en signe de défi, encouragés par l’ambiance de la perestroïka qui régnait en URSS. Cette ambiance s’est répandu comme une traînée de poudre à travers les continents jusqu’aux différents coins de la diaspora, à la suite d’une croisade menée par des personnalités comme Zori Balayan qui se rendait dans ses plus grandes communautés. L’auteur de cet article se souvient d’une de ces grandes manifestations de défi à Montréal, au Canada, qu’il dirigeait avec des dirigeants religieux et laïcs de toutes les organisations de cette communauté dynamique. Elle s’est déroulée devant l’austère et intimidant consulat général d’URSS à Montréal, où les tentatives initiales du consul général de qualifier le mouvement du Karabagh de « hooliganisme » ont été rapidement étouffées par notre demande intransigeante de justice et de liberté pour l’Artsakh arménien multimillénaire.
L’histoire de l’Artsakh est bien documentée. Après un référendum organisé en décembre 1991 conformément aux lois de l’époque, puis une guerre de libération victorieuse, qui s’est terminée par un cessez-le-feu en 1994, l’Artsakh est devenu une république indépendante légitime. Cependant, la reconnaissance de cette indépendance a été refusée par la communauté internationale, qui n’a pas été en mesure de l’expliquer. Pour des raisons qui ne sont pas encore suffisamment expliquées, cette indépendance n’a même pas été reconnue par la République indépendante d’Arménie elle-même, bien que cette dernière ait été l’allié le plus fidèle et même le chef de sa guerre de libération.
Il est désormais évident que tous les arguments avancés au fil des ans par les autorités successives d’Arménie et d’Artsakh pour justifier une politique arménienne aussi hésitante et prudente étaient erronés et inefficaces pour apporter les prétendus « avantages stratégiques attendus » à la cause de l’Artsakh. Bien au contraire, on peut désormais affirmer à juste titre que l’hésitation et la réticence des Arméniens à promouvoir et à défendre ouvertement l’indépendance de l’Artsakh, dès le tout début, ont en fait conduit à son mauvais sort, qui s’est terminé avec le coup final porté par l’évacuation complète génocidaire de quelque 120 000 Arméniens d’Artsakh en 24 heures, le 19 septembre 2023.
Aujourd’hui, un an après la dernière catastrophe de l’Artsakh, le grand éléphant dans la pièce est la question lancinante de l’avenir de l’Artsakh.
Le silence gênant des autorités actuelles sur cette question cruciale, ainsi que les tentatives de protestation bruyantes et aléatoires de différents groupes en Arménie, sont en fait des signes d’incertitude et d’incapacité à proposer une réponse claire à cette question fondamentale et persistante. Il est certain que le silence, le flou ainsi que le simple bruit populiste ne valent rien face à un problème aussi capital. Les Arméniens doivent faire face au problème et doivent élaborer une stratégie qui prenne en compte toutes les dures réalités qui entourent actuellement ce problème. Nous devons ensuite agir sans hésitation.
L’absence d’une politique claire conduit parfois à des situations impensables. On rapporte en effet que certains représentants des autorités actuelles, lorsqu’ils sont confrontés à des questions dérangeantes, vont jusqu’à déclarer ouvertement que le problème de l’Artsakh n’existe plus : il est désormais résolu – « l’Artsakh fait partie de l’Azerbaïdjan ». Une telle déclaration est scandaleuse. Elle aurait été condamnée comme étant rien moins que le plus honteux des blasphèmes perfides il y a quelques années !
L’auteur de cet article ne peut pas croire que, au fond, même ceux qui font de telles déclarations pensent vraiment ce qu’ils disent. Il s’agit certainement d’une explosion inacceptable motivée par un simple opportunisme politique. Il ne fait aucun doute que les individus qui font aujourd’hui une déclaration aussi impensable étaient, il y a quelques décennies, parmi ceux qui ont levé le poing en 1988 et crié « Artsakh-e meren eh !
D’un autre côté, il est tout aussi vrai qu’aucun de ceux qui expriment aujourd’hui leur indignation face à un tel blasphème n’a jusqu’à présent été en mesure de proposer une alternative réaliste, au-delà de la simple expression de l’indignation. Soyons justes. L’indignation n’est ni une stratégie ni une action qui mène à une solution.
Je crois fermement que tant les autorités actuelles que les factions opposantes véhémentes sont également convaincues que, pour de nombreuses raisons différentes et peut-être sans rapport entre elles, leur rhétorique sur l’Artsakh n’est qu’une expression de frustration.
Les Arméniens doivent plutôt chercher un plan réaliste et tourné vers l’avenir. Pour cela, nous devons d’abord faire face à un certain nombre de réalités froides qui, à première vue, peuvent sembler être des obstacles insurmontables, mais qui doivent néanmoins être affrontées afin de nous ramener sur une voie réaliste menant à la résurrection de la question de l’Artsakh. Le résultat ultime recherché est la renaissance d’un Artsakh indépendant, peuplé de ses propriétaires arméniens légitimes, tel qu’il l’a été pendant plusieurs siècles, et qui n’a été restauré qu’il y a trois décennies, en 1994.
La première réalité indéniable de ces jours-ci est que l’Arménie a perdu la guerre contre l’Azerbaïdjan. Il est désormais évident que l’une des principales raisons de cette défaite est une armée arménienne mal organisée, qui combat avec un équipement militaire totalement inadéquat.
La deuxième réalité, tout aussi désastreuse, est que l’Arménie a lamentablement échoué sur le plan diplomatique, au cours des trois décennies qui ont suivi son indépendance, à construire un dossier juridique solide et n’a pas réussi à créer une opinion publique internationale forte en faveur du droit incontestable des Arméniens de l’Artsakh à vivre dans leur patrie indépendante.
La première et principale condition préalable à toute stratégie prometteuse visant à la résurrection de l’Artsakh, et qui pourrait même prétendre donner un espoir de succès pour atteindre cet objectif, est de corriger et d’effacer les deux déficiences fondamentales mentionnées ci-dessus.
Procédons donc en identifiant les pistes qui peuvent conduire les Arméniens à des solutions concrètes à cet égard.
Pour se remettre de la stigmatisation démoralisante d’une nation vaincue, il est absolument nécessaire que l’armée arménienne soit fondamentalement modernisée, tant en termes de réorganisation de sa structure que de dotation en matériel moderne le plus efficace et le plus pertinent. Cette tâche relève évidemment du mandat exclusif, des droits et des obligations des autorités actuelles. Il va sans dire qu’il s’agit d’une question extrêmement sensible de sécurité nationale et de confidentialité. Nous ne pouvons certainement pas attendre des autorités qu’elles dévoilent leurs actions ni qu’elles rendent compte ouvertement de leurs efforts actuels à cet égard.
Nous saluons cependant l’augmentation sensible et visible des activités de l’Arménie en vue d’améliorer sa position à cet égard. La diversification réussie des sources d’approvisionnement en matériel militaire, en Inde, en France et peut-être éventuellement aux États-Unis, est louable. En ce qui concerne l’équilibre précaire des relations Est-Ouest à cet égard, je propose que la Russie soit l’alternative préférée, à condition toutefois qu’elle change elle aussi et devienne aussi généreuse envers l’Arménie que nous l’espérions et le pensions tous.
Mais au-delà des ressources extérieures, l’Arménie doit aussi développer son industrie nationale de production d’équipements militaires. L’Arménie était l’un des principaux fournisseurs d’équipements militaires les plus sophistiqués de l’URSS. L’Arménie a été, par exemple, dès le début, à l’avant-garde des développements dans le domaine du laser. L’un des échecs impardonnables de tous les gouvernements arméniens depuis son indépendance a été de négliger complètement l’avantage inné qu’ils avaient acquis avant l’indépendance dans ce domaine. Dans l’ensemble, la renaissance et la consolidation de l’état de préparation militaire de l’Arménie sont de toute évidence de la plus haute urgence, non seulement dans le cadre de la stratégie de renaissance de l’Artsakh, mais certainement aussi pour la sécurité de l’Arménie elle-même.
Le deuxième problème majeur de l’Arménie par rapport à l’Artsakh concerne la diplomatie et la gestion de l’opinion publique internationale. Malheureusement, à l’heure actuelle, il est nécessaire d’adopter une approche plus fine. En effet, la gestion de cette question nécessite aujourd’hui une approche beaucoup plus sérieuse et subtile qu’elle ne l’aurait nécessité il y a quelques années, avant que l’Arménie ne subisse une défaite sur le champ de bataille et ne parvienne à défendre avec force les droits légitimes des Arméniens de l’Artsakh.
Soyons justes et réalistes. Aujourd’hui, alors que l’Arménie vaincue cherche avec insistance à signer un traité de paix avec l’Azerbaïdjan victorieux et qu’elle semble avoir réussi à obtenir un soutien international fort à cet égard, on ne peut guère exiger et espérer de manière réaliste que l’Arménie puisse et doive également exiger explicitement de cet Azerbaïdjan la restitution de l’Artsakh à ses propriétaires arméniens légitimes.
Elle aurait certainement pu et dû défendre cette position avec force tout au long des trente dernières années. Elle aurait certainement pu et dû défendre sa position à l’époque, sans aucune restriction, comme beaucoup, y compris l’auteur de cet article, l’ont souligné à plusieurs reprises, selon lesquels le droit de l’Artsakh à l’indépendance doit être exigé avec force et de manière justifiée auprès des instances internationales, telles que la Cour internationale de justice et le Conseil de sécurité de l’ONU, en utilisant le cas du Kosovo comme un précédent naturel et parfaitement cohérent.
Aujourd’hui, rien n’a vraiment changé, ni les faits historiques qui montrent que l’Artsakh est une terre peuplée en grande majorité d’Arméniens depuis des millénaires, alors même que l’Azerbaïdjan n’existait pas sur la carte, ni le parallèle qui peut être fait avec le Kosovo, et donc son droit à un traitement similaire sur le plan international. Par conséquent, les Arméniens d’Artsakh doivent être immédiatement autorisés à retourner dans leur patrie, qui doit en outre bénéficier de tous les privilèges d’un pays indépendant.
Ce qui doit être subtilement restructuré, ce sont les noms des entités qui assumeront les rôles joués dans la conduite de cet effort légitime mais très difficile.
Alors que le gouvernement arménien doit peut-être, stratégiquement et au moins temporairement, garder un profil relativement bas à cet égard, et peut-être même diplomatiquement rester muet sur cette question, il doit certainement, en même temps, aider activement les Arméniens à développer un plan alternatif efficace et bien structuré, et contribuer discrètement à sa mise en œuvre.
Quoi qu’il en soit, l’Arménie n’a jamais besoin d’aller jusqu’à nier que l’Artsakh soit arménien. De même que l’Ararat se trouve en Turquie, il est éternellement arménien, de même l’Artsakh se trouve peut-être en Azerbaïdjan, mais il est lui aussi éternellement arménien.
Pour être pratique, à court terme, la rhétorique actuelle de l’Artsakh sur la scène internationale devra peut-être se dérouler dans un format où les autorités arméniennes seront reléguées au second plan. Au lieu de cela, sur la base de conseils juridiques d’experts, un « gouvernement d’Artsakh en exil (GEA) » ou son équivalent, portant un nom approprié, doit être établi et accueilli en Arménie. Le GEA doit alors prendre officiellement en charge le dossier de l’Artsakh. Le GEA doit recevoir une aide généreuse comprenant toutes les ressources juridiques, humaines et financières nécessaires. En outre, et surtout, c’est là que les ressources jusqu’à présent sous-utilisées, pour ne pas dire largement gaspillées, de la diaspora arménienne doivent être mises à contribution.
Il a été souligné à maintes reprises, et pas uniquement par l’auteur de cet article, que la diaspora, avec son immensité géographique et ses ressources humaines et financières tout aussi vastes, a le potentiel de jouer un rôle clé en faveur de toutes les questions arméniennes. L’effort de renaissance de l’Artsakh est l’un des problèmes spécifiques les plus stimulants avec lesquels il faut commencer. Cependant, pour accomplir sérieusement cette mission, la diaspora doit avoir, au-delà de ses entités dispersées et non coordonnées, par ailleurs précieuses, un organisme bien structuré consacré exclusivement à la mission de relier les organisations de la diaspora et les contributeurs individuels à l’Arménie. Cela nécessite une structure professionnelle et non partisane sérieusement soutenue à la fois par le gouvernement arménien et par toutes les entités sérieuses de la diaspora. À cet égard, la renaissance du ministère de la Diaspora en Arménie est une nécessité absolue. En contrepartie, cela m’amène à proposer qu’au sein d’une telle structure, un « Comité central de la diaspora pour l’Arménie (DCCFA) » soit créé avec des affiliés dans toutes les principales communautés arméniennes de la diaspora pour faire écho, amplifier et compléter au niveau international le travail et les actions entrepris par la GEA proposé ci-dessus, le DCCFA et le ministère de la Diaspora. En termes de questions diplomatiques internationales, le plus grand avantage d’une telle structure basée sur la diaspora est évidemment son indépendance complète par rapport aux pressions égoïstes de toute nation étrangère, alliée ou adversaire, qui pèsent actuellement lourdement sur les autorités arméniennes.
La discussion des détails des structures efficaces et du soutien financier et humain de la GEA et du DCCFA dépasse le cadre de cet article. Il est également évident qu’une telle tâche est essentiellement non partisane et qu’elle doit être soutenue sans réserve par toutes les entités arméniennes d’Arménie et de la diaspora.
La question clé est de savoir si nous sommes capables, en tant qu’individus arméniens et, plus important encore, par le biais de nos organisations arméniennes, qu’elles soient politiques, religieuses, universitaires ou non, y compris les institutions rivales, de répondre volontairement et efficacement à un tel besoin patriotique. C’est là que réside le grand défi qui nous est proposé.
Comme je m’attends à ce que ce plan soit facilement considéré comme trop optimiste, comme j’insiste sur le fait qu’il ne l’est pas en réalité, je rappelle également aux lecteurs que sinon le prochain défi est de proposer une meilleure alternative à l’occasion de ce premier triste anniversaire du démantèlement destructeur du fier Artsakh.
L’Artsakh n’était certes pas un rêve. Le laisser aujourd’hui appartenir au passé n’est certainement pas une option acceptable pour le monde arménien.
Rappelons-nous l’époque où tous les Arméniens levaient le poing en signe de défi et criaient « Artsakh-e Meren eh ». Est-ce que quelque chose a changé depuis ?
Traduction N.P.