Du blâme à la réforme de l’armée

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 26 janvier 2023

L’Arménie peut difficilement gérer une calamité à la fois, mais une succession rapide d’événements désastreux secoue le pays dans son cœur.

La fermeture du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan et ses conséquences humanitaires a laissé la nation arménienne sous le choc, d’Erévan jusqu’aux confins les plus reculés de la diaspora. Nous étions dans un dialogue national pour trouver une solution au blocus et aider les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh (Artsakh) à survivre. Avant même de résoudre cette crise, l’Arménie a été frappée par une autre catastrophe : l’incendie qui s’est déclaré le 19 janvier dans la compagnie de tireurs d’élite du génie militaire de l’unité militaire du village d’Azat dans la province de Gegharkounik.

Des détails sont émis quotidiennement et même toutes les heures, ainsi que le blâme quant à la responsabilité.

Quinze soldats sont morts et trois autres hospitalisés. On pense qu’un total de 21 soldats y étaient stationnés et trois ont fuis en toute sécurité. Par conséquent, il y a des témoins vivants pour attester et aider à l’enquête.

Plutôt que de se rassembler et de pleurer les pertes, la majorité des gens en Arménie sont pressés de juger ; malheureusement, la calamité n’est devenue qu’une excuse pour de nombreuses personnes qui expriment leurs opinions en fonction de leurs préjugés.

Pour l’opposition, cela semble être une occasion en or de rejeter la faute au pied du parti au pouvoir et de demander la démission du Premier ministre Nikol Pachinian et du ministre de la Défense Souren Papikian, comme si cela résolvait n’importe quel problème, alors que l’ennemi est aux frontières et empiète jour après jour sur le territoire souverain de l’Arménie, au mépris total des critiques et des appels à la retenue de nombreuses capitales internationales.

« Les spéculations sont futiles et hors de propos », a déclaré le président de l’Assemblée nationale Allen Simonian. « Concernant la démission du ministre de la Défense Souren Papikian. … Le ministre de la Défense n’a rien à voir dans tout cela car, au niveau de ses fonctions, il a entièrement fait son travail. »

Jusqu’à présent, le commandant de la deuxième armée stationné à Gegharkounik, Vahram Grigorian, et une douzaine de chefs militaires ont déjà été limogés.

De nombreuses personnalités gouvernementales, à commencer par l’éloquent Antranik Kotcharian, président de la commission de défense du parlement, sont passées sur les écrans, tentant de réfuter les accusations de l’opposition.

Le débat et la polémique ont éloigné les partis l’un de l’autre plutôt que de les rassembler autour d’une tragédie nationale.

La perte de 15 soldats a causé un traumatisme plus profond que la perte de 200 Arméniens lors de la flambée des 13 et 14 septembre 2022, car cette dernière s’est produite lors de la défense de la patrie contre l’armée azerbaïdjanaise. En outre, pour la première fois de mémoire récente, ils ont bien riposté, faisant 700 à 800 victimes ennemies, ce qui a envoyé un message aux dirigeants de Bakou qu’ils doivent payer un prix élevé pour de telles aventures.

L’historien militaire Arzrun Hovhannissian a déclaré que l’unité militaire stationnée à Azat avait joué un rôle vaillant dans le conflit de septembre. Cette déclaration étaye en outre les spéculations selon lesquelles ce groupe particulier aurait pu demeurer une cible de choix pour la vengeance azerbaïdjanaise.

L’un des dirigeants de l’opposition, professeur à l’Université d’État d’Erévan et fondateur du mouvement 5165, Menuah Soghomonyan, rejette fermement la responsabilité sur le Premier ministre, citant l’article 155 de la constitution : « Nous pensons que le Premier ministre de facto Nikol Pachinian et le ministre de la Défense Souren Papikian sont à blâmer pour cette tragédie ».

Pachinian lui-même a sauté dans l’incursion pour réparer les clôtures et lors d’un discours dans la province d’Aragatsotn, il a déclaré : « Certaines répercussions des événements montrent que nous devons approfondir et comprendre les problèmes en profondeur, en plus des problèmes superficiels. …Ces problèmes découlent souvent d’un manque de volonté pour rompre avec l’habitude de « réparer » les problèmes. »

Ce débat se résume à la question fondamentale de la réforme de l’armée. La première question qui se pose est de savoir pourquoi cet ensemble a été logé dans des locaux aussi primitifs, avec des moyens de chauffage rudimentaires. Après tant de fanfaronnades sur les réformes de l’armée, cette situation va à l’encontre des déclarations des autorités actuelles qui, dans cette situation désastreuse, mènent une chasse aux sorcières. Il vient d’être annoncé que l’ancien ministre de la Défense et actuel député Seyran Ohanyan et un autre député, Armen Charchyan, devaient être jugés pour accumulation illégale de biens et autres.

L’opposition ne joue pas un rôle constructif et le gouvernement s’abaisse à son niveau pour mener un combat de rue farfelu plutôt que de diriger un pays confronté à des choix incroyablement difficiles. Bien que la guerre de 2020 menée par l’Azerbaïdjan ait retardé de nombreuses réformes, il y avait du temps auparavant pour ces réformes. Pendant près de cinq ans, l’administration Pachinian a blâmé la mauvaise gestion de « l’ancien » régime, mais n’a rien fait de différent.

Même si les réformes de l’armée commencent aujourd’hui, il y a d’abord des problèmes tant internes qu’externes à résoudre. L’Azerbaïdjan, pour sa part, a averti qu’il entraverait tout effort de l’Arménie pour renforcer ses forces armées. La Russie refuse de livrer les armements pour lesquels l’Arménie a déjà payé et Moscou a de nombreux moyens détournés de saper les réformes de l’armée en Arménie maintenant qu’Erévan se tourne vers les marchés internationaux pour reconstituer son matériel militaire.

L’accord avec l’Inde offrait de bonnes nouvelles, mais les achats de drones à l’Iran pourraient s’avérer politiquement toxiques, touchant une corde sensible pour les États-Unis et Israël. Bref, l’Arménie est prise entre le marteau et l’enclume. L’Occident ne vendra ni ne fournira d’armement tant que l’Arménie restera membre de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par la Russie, mais l’OTSC refuse d’aider son membre même face à des attaques.

Dans le meilleur des cas, si des armements étaient fournis, l’Arménie devrait développer sa propre doctrine militaire. Les armes et les formations militaires russes se sont révélées inefficaces pendant la guerre de 2020 et l’Arménie n’a pas besoin de s’excuser auprès de qui que ce soit pour renforcer son armée en fonction de ses besoins.

Que ces morts ne soient pas vaines. L’incendie qui a coûté la vie à 15 soldats arméniens peut servir de leçon utile mais douloureuse pour entamer des réformes dans l’armée et l’amener au niveau des besoins du pays. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.