L’avancée du Kurdistan

Editorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 1er décembre 2016

La Première Guerre mondiale a pris fin par le pacte de Moudros signé entre l’Empire britannique au nom des Alliés et les représentants de l’Empire ottoman, le 30 octobre 1918. Moudros est un armistice ; Les négociations en vue d’un traité ont duré deux ans et, à la fin de cette période, le traité de Sèvres (10 août 1920) a été élaboré. L’intention des Alliés était double: libérer toutes les nations asservies par six siècles de tyrannie et sculpter des zones d’influence pour eux-mêmes.
Le Traité de Sèvres a attribué un territoire supplémentaire à l’Arménie, presque le double de celui de la République d’Arménie, avec accès à la mer par le port de Trébizonde (Trabzon).
Les articles 62, 63 et 64 du traité susmentionné ont créé un Etat indépendant pour les Kurdes dans le Villayet de Mossoul.
En raison des rivalités entre les Alliés, l’armée défaite de Mustafa Kemal Atatürk a pu défier les termes du Traité de Sèvres, remplacé plus tard par le Traité de Lausanne en 1923, mettant en branle les espoirs des Arméniens et des Kurdes. Ces derniers, utilisés par le sultan Abdul Hamid et plus tard par les Ittihadistes pour se joindre aux Turcs dans la persécution et l’assassinat des Arméniens, ont fini par devenir eux-mêmes victimes de leurs anciens alliés, les Turcs.
Lors des négociations du Traité de Lausanne, les Turcs avaient tellement confiance en Ismet Inonu, le représentant turc à Lausanne, qui a succédé plus tard à Atatürk en tant que second président de la Turquie. Lorsque Lord Curzon de Grande-Bretagne lui a demandé ce qu’il allait faire des Arméniens, il a répondu : « Prenez-les au Canada où vous avez de vastes territoires inoccupés. »
Inonu a également été très franc dans la définition de l’idéologie kémaliste lorsqu’il a déclaré le 4 mai 1925 : « Nous sommes franchement nationalistes… et le nationalisme est notre seul facteur de cohésion. Face à la majorité turque, aucun élément n’a d’influence. Nous devons, à tout prix, turquiser les habitants de notre pays, et nous anéantirons ceux qui s’opposent aux Turcs ou au turquisme.
Les kémalistes ont impitoyablement exécuté cette politique à un coût humain énorme et les Kurdes se sont rebellés 27 fois au cours de cette période.
On suppose qu’il y a eu un changement de régime en Turquie au fil du temps, mais la politique d’Erdogan n’est pas différente de celle d’Atatürk, un siècle plus tard. Un tiers de la population turque est kurde. Et 25 millions de Kurdes sont pris au piège en Turquie sur un total de 40 millions répartis en Irak, en Iran, en Syrie et en Arménie. Ce dernier est le seul pays où les Kurdes jouissent de la liberté et de l’égalité des droits.
Maintenant, l’histoire remet les pendules à l’heure dans la région avec une vengeance. Le Kurdistan irakien est déjà une réalité sur une partie de ce même territoire attribué par le Traité de Sèvres. En outre, les peshmergas kurdes sont la force la plus féroce luttant contre l’EI, dans la guerre de libération de Mossoul. Erdogan a dépêché un contingent turc dans la région, malgré les protestations du gouvernement irakien, affirmant que « Mossoul appartient aux Turcs. »

Le gouvernement régional du Kurdistan a pris le pouvoir dans la région à majorité kurde avec l’aide directe d’Israël, qui cherchait à s’implanter dans le monde arabe. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a défendu ouvertement l’indépendance du Kurdistan. Washington n’a d’autre alternative que de suivre l’exemple d’Israël. La Turquie, n’étant pas capable de contrer ces deux forces, a essayé de les rejoindre en demandant un accord séparé. Les Kurdes irakiens avaient soutenu les guerriers du PKK en Turquie, qui à son tour bombardait le Kurdistan. Ankara a commencé à corrompre le gouvernement régional kurde en achetant du pétrole irakien, face à la protestation du gouvernement central irakien de Bagdad. Des responsables turcs ont visité Erbil sans le consentement de Bagdad et ont développé des liens économiques.

Le 23 novembre, le Premier ministre du Kurdistan, Nechirvan Barzani, a effectué une visite officielle en Turquie, et a été reçu avec les plus grands honneurs. Bien que le gouvernement régional kurde n’ait pas encore de reconnaissance internationale, la Turquie lui a offert la possibilité d’ouvrir des bureaux consulaires à Ankara. L’accord entre les deux parties appelle à combattre tous les groupes de guérilla, notamment le PKK. Ankara oppose un groupe de Kurdes contre un autre. Et les Kurdes irakiens tiennent le coup afin de consolider leur existence dans cette région trouble.
Actuellement, le Kurdistan irakien est la région la plus pacifique de tout le pays et ceux qui fuient une guerre sectaire qui fait rage dans le reste du pays s’y réinstallent.
Les Arméniens ont également trouvé refuge au Kurdistan, où ils sont les bienvenus et ont même une représentation au Parlement.
Le gouvernement arménien a développé des relations économiques et culturelles avec le Kurdistan irakien. Récemment une délégation officielle a été envoyée à Suleymani, où le festival culturel annuel était dédié à l’Arménie. Il est important de noter qu’une journée complète de présentations universitaires a été consacrée au génocide arménien. Les représentants kurdes ont ouvertement avoué la collusion de leurs ancêtres dans l’exécution du génocide. De nombreux dirigeants et groupes politiques ont abordé la question d’une même voix, et ont présenté des excuses pour les crimes commis par leurs ancêtres. Allant encore plus loin, l’un des orateurs arméniens, Atom Mekhitarian, a cité le leader kurde Selahattin Demirtas, qui a ouvertement demandé au gouvernement turc de reconnaître le génocide arménien. Poursuivant sa logique, il a demandé aux représentants officiels kurdes de reconnaître le génocide arménien non seulement au Kurdistan, mais aussi au gouvernement central irakien à Bagdad. Si ce plan était atteint, il serait renforcé sachant que le gouvernement égyptien étudie également la reconnaissance du génocide. Ces deux actions prendront de court la propagande azérie qui prétend, dans les milieux islamistes, que le conflit du Karabagh n’est qu’une guerre religieuse.
A l’heure actuelle, nous devons avancer avec prudence dans ce monde complexe de la guerre en Irak et cette instabilité régionale. Lorsque le gouvernement régional kurde est prêt à vendre ses frères du PKK pour sauver sa propre peau, nous ne pouvons penser à la possibilité d’avoir une position plus audacieuse sur la question du génocide.
Quelle que soit la politique pragmatique adoptée actuellement par le gouvernement du Kurdistan, elle demeure un phare d’espoir pour tous les Kurdes de la région, en particulier les Kurdes de Turquie. Peu importe le degré d’atrocité du gouvernement d’Ankara, les Turcs finiront par accepter la question kurde. Il sera alors plus facile pour les Arméniens de conclure des ententes avec les Kurdes qu’avec les Turcs.
Les Arméniens doivent investir dans leurs relations avec les Kurdes aujourd’hui pour pouvoir en récolter les fruits plus tard.
Actuellement, le Kurdistan progresse dans la région.

Traduction N.P.

Edmond Y. Azadian