Quel sens donner à l’incursion d’Israël dans le Caucase ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 8 août 2017

Les relations hostiles de l’Arménie avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, aggravées par des relations tendues entre la Russie et la Géorgie, ont transformé le Caucase en un baril de poudre très explosif. Comment l’incursion israélienne affectera-t-elle la région ? C’est la question que beaucoup d’experts se posent.
Le ministre israélien de la Coopération régionale, Tzachi Hanebi, s’est rendu à Erévan et y a rencontré la Premier ministre Karen Karapetian et le ministre des Affaires étrangères, Édouard Nalbandian, afin de signer des accords bilatéraux de coopération économique, tout en déclarant qu’il se rendait en Arménie pour provoquer une « percée ».
En juillet également, le Premier ministre géorgien Giorgi Kvirikashvili s’est rendu en Israël et, lors d’une conférence de presse avec son homologue Benyamin Netanyahu, a annoncé que les relations bilatérales « se développaient très rapidement et que les visites réciproques de haut niveau donnaient une impulsion supplémentaire à leur coopération. »
Plus spécifiquement, Israël est sur le radar du ministère russe des Affaires étrangères, car Sergey Lavrov a déclaré que, pour résoudre le problème de la guerre syrienne, « les intérêts de sécurité d’Israël seront pris en considération. »
Israël est soudainement devenu important dans le Caucase, principalement parce que ce pays sort de son isolement après avoir mis l’accent sur la question palestinienne avec tant d’attention qu’il a été pratiquement effacé de l’ordre du jour des partis.
Il existe une devise non officielle au Département d’État des États-Unis ; Pour prétendre à l’amitié des États-Unis, il faut être un ami d’Israël.
Cette politique est également en vigueur à l’échelle nationale. En effet, lorsque l’ancien candidat à la présidentielle républicaine, Pat Buchanan, a déclaré dans sa publication The Conservative que les intérêts américains devraient passer avant ceux d’Israël, il a effectivement disparu des écrans de télévision où il était autrefois un analyste politique populaire.
Israël a techniquement tous les attributs d’un bon allié de l’Arménie, mais l’opportunité politique a pris le dessus et a éloigné les deux nations.
Israël considère que le problème du Haut-Karabagh ne sera résolu que selon les termes de l’Azerbaïdjan, ce qui signifie que l’intégrité territoriale remplace le droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Le ministre des Affaires étrangères d’extrême droite d’Israël, Avigdor Lieberman, a récemment réitéré cette politique.
Mahmoud Abbas, chef de l’Autorité palestinienne, n’a rien amélioré lorsqu’il a martelé qu’il partageait la peine du président azerbaïdjanais Ilham Aliev, pour avoir perdu une partie de ses terres.
Comme pays dont beaucoup d’ancêtres de ses citoyens ont été victimes d’une extermination de masse, Israël devrait se sentir moralement obligé de reconnaître le génocide arménien. Bien que la politique officielle soit en mode déni, il existe des voix puissantes dans le milieu universitaire et le Parlement en faveur de la reconnaissance. Les Chroniques du Caucase citent des avancées intéressantes dans cette direction : « Alors que les gauchistes israéliens, en particulier le chef du Meretz, Yossi Sarid, ont longtemps sympathisé avec les Arméniens, les politiciens centristes et de droite étaient plus éloignés. Cela a quelque peu changé. Depuis 2013, le président de la Knesset, Yuli Edelstein du Likoud, soutient la reconnaissance du génocide arménien. Depuis 2015, Ze’ev Elkin, qui a également soutenu les problèmes arméniens à la Knesset, est apparu comme un personnage clé du cabinet Netanyahu. En avril 2015, le Likoud a délégué le député Anat Berko pour assister aux évènements marquant le centenaire du génocide à Erévan. Et cette année, Avigdor Eskin, figure controversée de droite, qui avait précédemment sympathisé avec l’Azerbaïdjan, a fait une visite surprise au Haut-Karabagh. »
Est-ce que tout cela indique qu’Israël est prêt à reconnaître le génocide arménien ? Difficilement, mais le problème a été tellement politisé qu’il peut devenir un thermomètre mesurant les relations turco-israéliennes. Une fois qu’Israël reconnaîtra le génocide, il se perdra un atout politique important pouvant être utilisé contre la Turquie, à chaque concession espérée d’Ankara.

En outre, tout cela se révèle être une tendance temporaire, puisqu’Israël envisage d’exporter ses nouveaux approvisionnements en gaz vers l’Europe en traversant la Turquie.
Pour démontrer la nature ironique et cynique de la politique, il suffit de mentionner un incident qui a eu lieu en avril 2016, lorsque l’Azerbaïdjan, utilisant les drones suicides Harop et les missiles antichars Spike, a repris des positions stratégiques en Artzakh. Au moment de cette attaque, le vice-président de la Knesset, Tali Ploskov, accompagnée d’une délégation, était en Arménie. Elle « a fermement condamné l’agression azerbaïdjanaise » et a appelé à l’instauration d’un cessez-le-feu.
Le président Aliev se vante que les relations israélo-azerbaïdjanaises sont comme un iceberg ; 90% est submergé. Mais une partie est apparu récemment alors que le journal israélien Haaretz a rapporté qu’Ilham Aliev avait acheté une magnifique villa de 6 millions de dollars à Haïfa. En outre, la famille Aliev a investi 600 millions de dollars à la bourse israélienne.
Lorsque Israël a été critiqué pour avoir vendu des armes à l’Azerbaïdjan, on a également signalé que le gouvernement était prêt à vendre les mêmes armes à l’Arménie.
Lorsque l’allié stratégique de l’Arménie, la Russie a la même position et arme les deux parties belligérantes, les Arméniens ne peuvent guère protester contre Israël.
Dans les relations bilatérales entre nos deux pays, la politique locale est également révélatrice.

Après la Première Guerre mondiale, la population arménienne de Jérusalem était de 25 000. Au cours des décennies suivantes, elle s’est stabilisée à 15 000. Aujourd’hui, ce nombre a diminué à 1 500. C’est une baisse dramatique qui doit cacher des raisons objectives.
En outre, les biens immobiliers du Patriarcat arménien sont à risque. Le Times of Israël a récemment signalé que « l’Église orthodoxe grecque a rompu sa longue pratique consistant à louer des terres aux Israéliens et les leurs a vendus, car elle ne pouvait plus résister aux pressions accablantes des autorités israéliennes. »
En raison du scandale de l’accord foncier, le patriarche grec a été contraint de laisser la place à un autre. La même pression s’applique sur le Patriarcat arménien. Même les membres les plus intelligents du clergé finiront par succomber à ces pressions. Dieu seul sait combien de biens immobiliers ont déjà été perdus.
Évidemment, aucun des problèmes ci-dessus n’a été discuté entre l’Arménie et Israël. La « percée » marque un nouveau départ entre les deux pays dont le commerce atteint actuellement un faible 8,5 millions de dollars.
L’incursion d’Israël dans la région est motivée par plusieurs facteurs. Les États-Unis ont essayé d’isoler la Russie et ses alliés dans la région. Si l’Arménie trouve des incitations suffisantes dans les nouveaux développements, elle peut ancrer sa politique complémentaire sur un terrain solide. La participation de l’Arménie aux exercices militaires de l’OTAN en Géorgie est déjà un irritant dans les relations entre Moscou et Erévan.
L’autre facteur est la forte dépendance de l’Arménie envers le commerce avec l’Iran. En développant le commerce bilatéral avec l’Arménie, en particulier dans le domaine des technologies de l’information, cela peut nuire à la confiance de l’Arménie envers Téhéran, mais représenter une prime pour Israël.
En dépit de tous les problèmes avec Israël, l’Arménie doit poursuivre ses relations en tentant de gagner les bonnes grâces de Washington. Mais cela ne se produira peut-être pas si elle contourne Israël.
La branche d’olivier tendue par Israël est une occasion unique pour l’Arménie de se joindre à l’Occident. Après tout, Washington a forcé un changement de politique en Inde, alors que le monde a été témoin de la visite du Premier ministre Narendra Modi en Israël. Même l’Arabie saoudite a découvert que sa survie était conditionnée à l’amitié israélienne. Le réalisme politique guidera l’Arménie à se tourner vers cette main tendue. Edmond Y. Azadian

 

Traduction N.P.