1ère partie
L’Arménie semble être destinée par l’histoire à une zone géographique où les grands intérêts politiques et les empires s’entrechoquent et où la population locale est perpétuellement assujettie aux conséquences des guerres, au nettoyage ethnique et aux déportations.
Les accidents historiques ont rendu l’Arménie un pays enclavé et donc soumis à des pressions, des intimidations et des blocus. Après la Première Guerre mondiale, si les Alliés avaient tenu leurs promesses, les Arméniens auraient eu la Cilicie, avec un port de mer à Alexandrette (Iskenderun). En outre, si le Traité de Sèvres avait été appliqué (1920), l’Arménie aurait le port de Trabzon (Trébizonde) désigné comme port d’entrée vers l’Europe et le reste du monde. Mais avec la perte de ces possibilités, l’Arménie est demeurée vulnérable aux menaces et à l’isolement extérieur.
Lorsque l’Arménie a été engloutie par l’Union soviétique, ces limites géographiques ont perdu de leur signification, la République a eu accès aux avantages auxquels l’Union elle-même avait droit.
Mais l’histoire est revenue hanter l’Arménie dès qu’elle a recouvré son indépendance et rétabli sa souveraineté sur une partie de son territoire historique.
Comme si le temps s’était figé durant 70 ans, les guerres, les hostilités et les conflits qui avaient secoué l’Arménie entre 1918 et 1920, ont resurgi telle une vengeance.
Nous sommes tous familiers avec la guerre du Karabagh, le tremblement de terre et le blocus de ses deux voisins, la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Au cours des 25 dernières années, l’Arménie a vécu dans une situation précaire, ce qui l’a conduite à la dépression et au dépeuplement.
L’indépendance de l’Arménie était aussi un test des prétentions et des potentiels de la diaspora. Pendant les premières années de l’indépendance, les Arméniens de la patrie se vantaient auprès des Azéris, « Vous avez du pétrole, nous avons notre diaspora. » Aujourd’hui, personne en Arménie, à mon souvenir, ne se vante plus auprès des Azéris.
Les relations de l’Arménie avec ses voisins et leurs relations ont façonné le destin du pays. Nous pouvons évaluer l’état actuel de l’Arménie ainsi que son avenir selon les paramètres de ces relations. Les voisins de l’Arménie sont l’Azerbaïdjan, la Turquie, l’Iran et la Géorgie. Bien que la Russie n’ait pas de frontières territoriales avec l’Arménie, sa taille et son poids géopolitique en fait le voisin le plus influent. La Turquie et l’Azerbaïdjan, qui ont instauré le blocus de l’Arménie, ont des relations hostiles. Les relations entre la Géorgie et l’Arménie sont celles d’un « ennemi amical », puisque les gouvernements successifs de Tbilissi ont opté pour les ennemis de l’Arménie, en votant avec les Azéris et les Turcs aux Nations Unies et autres forums, ainsi que dans des projets de développement économique comme la conception du gazoduc et des chemins de fer qui contournent l’Arménie, avec l’intention d’étouffer cette dernière sur le plan économique.
Les facteurs qui contribuent à la mise en œuvre de ce genre d’hostilité, le moindre étant la jalousie géorgienne vivace est aggravée par les choix politiques du gouvernement de Tbilissi depuis l’indépendance du pays. Elle s’est jointe à l’OTAN tandis que l’Arménie, par nécessité, a choisi de demeurer dans l’orbite russe. Par conséquent, ces deux nations sont dans un bras-de-fer continuel entre la Russie et l’Occident.
En ce qui concerne l’Iran, l’Arménie entretient des relations amicales, bien que ces dernières n’aient pas rapporté beaucoup à cause de la rareté des ressources de l’Arménie, et aussi en raison des sanctions internationales imposées à l’Iran. Retirer les sanctions pourrait stimuler le commerce entre les deux pays amis.
Le facteur russe : Longtemps, l’Arménie a courtisé l’Union européenne, mais avec l’émergence de la nouvelle guerre froide, parce que l’Occident a décidé d’empêcher le retour de la Russie à son ancien statut de superpuissance, la polarisation est réapparue, et Moscou a décidé de construire sa propre forteresse pour contrer l’Union européenne et l’OTAN, ainsi l’Arménie a été tiré par Moscou vers l’Union douanière eurasienne et l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), alliance militaire avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Par conséquent, les politiques et l’économie de l’Arménie sont fortement influencées par ces entités.
Selon certains analystes, il s’agirait d’un développement positif, mais ses détracteurs soutiennent que l’Arménie a donné beaucoup plus en termes de souveraineté et que les récompenses ne sont pas proportionnelles.
Que l’Arménie l’aime ou non, elle est perçue par l’Occident comme un accessoire de la politique russe. Dans un récent article paru dans le Washington Times (26/02/2016), L. Todd Bois a déclaré : « Forbes écrit, ne vous méprenez pas, la présence militaire russe en Arménie représente un poignard planté dans le cœur de l’OTAN renforcé par l’alliance Arménie-Russie. »
Cette logique et l’argument politique est également utilisé par le gouvernement turc pour diffamer l’Arménie en Occident. Tout récemment, le président Recep Tayyip Erdogan a déclaré que la Russie utilisait l’Arménie pour lutter contre l’OTAN. Il a également caractérisé l’Arménie de « pays le plus dangereux pour la paix mondiale » lors d’une conférence à l’Institut Brookings de Washington, DC.
La base russe n° 102, à l’extérieur d’Erévan, dont Moscou a récemment amélioré les installations, a prouvé hors de tout doute que l’Arménie sera la dernière à en bénéficier parce que l’intention de Moscou est de projeter sa puissance bien au-delà du pays, vers le Moyen-Orient, où il participe à la guerre syrienne, et son bras de fer avec la Turquie traverse simplement la frontière de l’Arménie. Les relations de la Russie avec l’Iran ont de multiples facettes; alors qu’ils sont partenaires dans le conflit en Syrie, Moscou a fourni des armes lourdes à Téhéran, mais il semble que ce sont des concurrents dans la région du Caucase pour l’influence politique, mais bien plus encore sur le marché de l’énergie, parfois au détriment de l’Arménie.
Il semble que Moscou et Washington parient sur l’Iran pour la stabilité au Moyen-Orient en oubliant l’Arabie Saoudite et Israël.
Face à la Turquie : La Turquie n’a jamais raté une occasion d’exprimer son hostilité envers l’Arménie. Ankara a contré la commémoration du centenaire du génocide en organisant sa célébration de la victoire de Gallipoli. La Turquie a la seconde plus grande armée permanente de l’OTAN, mais l’Arménie et la question du génocide demeurent son talon d’Achille, alors qu’elle investit un important capital pour les combattre.
Bien sûr, lorsqu’il s’agit du Karabagh, Ankara soutient la position de l’Azerbaïdjan. Ankara a même perdu une occasion historique de consolider sa position sur la question des frontières avec l’Arménie, en signant les protocoles en 2009. Les protocoles auraient levé le blocus de l’Arménie et implicitement forcé l’Arménie à accepter les frontières actuelles qui ont été définies et finalisées par les traités de Moscou et de Kars en 1921. Ankara a pré-conditionné la signature des protocoles à la résolution du conflit du Karabagh en faveur de l’Azerbaïdjan, alors que toutes les négociations menées l’ont été sur le principe selon lequel il n’y aurait pas de préconditions.
Selon une analyse finale, l’échec des protocoles s’avère être une bénédiction déguisée pour l’Arménie, avec la résurgence des appels afin d’abroger le traité de Moscou.
En effet, les membres de la Douma russe Valery Rashkin et Sergei Obakhov du Parti communiste russe, ont récemment envoyé une lettre à la direction politique russe et au ministère des Affaires étrangères demandant l’annulation du Traité de Moscou de 1921, signé entre la Russie soviétique et la Turquie kémaliste. Le Traité de Moscou reconnaissait le contrôle turc sur Artvin, Ardahan, Kars et Surmalu. La région d’Adjarie, et le port de Batoumi, étaient garantis à la Géorgie. La Turquie se retirait d’Alexandropol et une nouvelle frontière était établie entre la Turquie et l’Arménie soviétique, définie par les rivières Arax et Akhurian. Le traité stipulait que le district de Nakhitchevan, historiquement partie de l’Arménie sous le régime tsariste, était transféré sous la juridiction de la République soviétique d’Azerbaïdjan. En outre, la Turquie acquérait une petite bande de territoire connu sous le nom corridor Arax.
Vladimir Jirinovski, leadeur du parti LDPR (Parti libéral-démocrate de Russie) à la Douma, a proposé, « En réponse au refus de la Turquie de reconnaître le retour de la Crimée à la Russie, nous devrions reconnaître le Kurdistan turc comme un Etat indépendant et exiger de la Turquie de restituer les terres de l’Arménie occidentale. »
Le traité avait été précédemment contesté par le ministre soviétique des Affaires étrangères W. Molotov en 1945, et en 1948 aux Nations Unies par Andrei Vychinski demandant de restituer Kars à l’Arménie et Ardahan à la Géorgie.
Mais un développement plus intéressant a eu lieu le 23 décembre 2015 à Moscou, où le parlementaire de l’opposition turque, le chef du parti démocratique pro-kurde Selahattin Demirtas a discuté avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov de « remodeler » la Turquie avec la création d’une République d’Anatolie confédérée qui serait divisée en quatre entités autonomes – kurde, arménienne, grecque et turque. La « République » aurait deux religions officielles, musulmane et chrétienne, et les quatre langues des entités politiques constituantes.
Ce plan a subi un revers avec l’assaut de l’armée turque contre la population kurde, menaçant également l’immunité parlementaire de Demirtas.
Le parlement géorgien a déjà abrogé le traité en 2005 tandis que l’Arménie est en attente d’une action.
L’annulation du traité remettrait en question le statut de l’enclave du Nakhitchevan et du corridor de l’Arax, unique frontière commune entre la Turquie et l’Azerbaïdjan.
Le mouvement a créé une certaine euphorie en Arménie et nombreux étaient ceux qui croyaient que Poutine rendrait l’Ararat à l’Arménie. Mais le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Maria Zakharova a déclaré que la Russie allait étudier la question de l’annulation du traité avec la Turquie. Mais, a-t-elle ajouté – et cela est très important – « La Russie développe des relations avec l’Azerbaïdjan et ne fera rien qui pourrait les aggraver. Au contraire, nous allons nous concentrer sur ce qui permettra d’améliorer nos relations avec ce pays. »
La déclaration de Zakharova a été rapidement testé. L’embrasement, le 2 avril 2016, de la ligne de contact entre les forces arméniennes et azerbaïdjanaises a miné la validité des propositions des membres de la Douma, le Kremlin a conservé une position neutre alors que son alliée stratégique était attaquée. Bien sûr, nous n’entendons plus parler de l’abrogation des traités.
(2e Partie la semaine prochaine)
Traduction N.P.