Editorial écrit en Anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 21 février 2015
La Révolution Orange et la Révolution des Roses ont permis des changements de régime en Ukraine et en Géorgie, respectivement, mais l’Arménie a été épargnée dans les deux cas et a maintenu sa stabilité durant ces périodes orageuses. Mais des rumeurs, des prévisions et des analyses politiques soulignent toujours la possibilité d’une révolution de couleur en Arménie.
L’administration du président Serge Sargissian a résisté avec succès aux marées troubles fomentées par l’opposition, et en prenant l’initiative, il a également dégonflé l’opposition.
Le Parti du Congrès national de Lévon Ter-Petrossian, alimenté par le mécontentement populaire, n’a pu utiliser ses munitions au maximum. Par conséquent, bien que l’opposition ait été muselée, le mécontentement populaire est demeuré une force latente exploratoire et explosive pour tout futur politicien. L’économie poursuit sa stagnation, l’émigration atteint des sommets dangereux, et la dépendance de l’Arménie face à la Russie compromet sa souveraineté. Il semble que ces problèmes sociaux et politiques n’aient pas érodé les pouvoirs de l’élite dirigeante. Mais des développements récents indiquent qu’ils font face à des défis et l’administration est sous constante pression. Ces pressions s’avèrent possibles lorsqu’elles sont jumelées à des facteurs extérieurs.
Récemment, des changements spectaculaires ont terni le paysage politique intérieur de l’Arménie. Mais analyser ces développements dans le cadre de la vie politique interne peut être trop simpliste et bien peu concluants. Actuellement, la Russie est en état de siège en raison de la crise en Ukraine; Moscou accuse les Etats-Unis et l’Occident de pousser l’OTAN de plus en plus près des frontières russes, et l’Occident accuse Moscou de fomenter l’agitation dans les anciennes républiques soviétiques. Peu importe où se trouve la vérité, les problèmes qui suivront auront un impact sur l’Arménie, puisque le pays est intégré à la Russie sociale, économique, politique et militairement.
Le 12 février 2015, la Commission des Affaires étrangères des États-Unis a tenu des audiences sur les relations américano-azerbaïdjanaises. Le Dr Svante E. Cornell, directeur de l’Institut central d’Asie-Caucase à l’Université Johns Hopkins y a témoigné.
Décrivant la politique américaine concernant la région, le Dr Cornell recommandait de négliger les violations des droits humains de l’Azerbaïdjan et de fonder la politique américaine sur des aspects plus pragmatiques, à savoir le pétrole et la sécurité régionale. En élargissant son point de vue, le directeur a déclaré : « La lutte contre l’impérialisme russe du président Vladimir Poutine va au-delà de l’Ukraine et nécessite une stratégie afin de soutenir les Etats périphériques à la Russie, et surtout de maintenir le corridor est-ouest ouvert vers l’Asie centrale. Mais le Caucase et l’Asie centrale comprennent la moitié des États laïcs à majorité musulmane du monde … Ainsi le Caucase (et l’Asie centrale) doivent être considéré comme des remparts tant contre Moscou que le radicalisme islamique du Moyen-Orient. »
Cela veut simplement dire que puisque la Russie a les mains pleines d’une guerre de frontière avec sa voisine l’Ukraine, il serait utile pour la politique d’endiguement de l’Occident d’encourager une autre poudrière à la périphérie de la Russie, et l’Arménie est l’un de ces Etats périphériques.
Il n’est donc pas surprenant que dès que la controverse entre Serge Sargissian et Gagik Tsaroukian a éclaté, la presse financée et dirigée par les pays occidentaux a pris à l’unanimité une position très critique vis-à-vis des déclarations du président.
Il s’agit sans nul doute d’une bombe politique pour le président Sargissian qui s’est attaqué à l’oligarque, et chef du Parti Arménie prospère. Il dépeint Tsaroukian comme « le mal » et l’incompétent de la vie politique de l’Arménie.
Cette action était en gestation depuis longtemps. M. Tsaroukian est le chef titulaire du Parti Arménie prospère, mais en fait, le parti a été fondé par l’ancien président, Robert Kotcharian, qu’il a toujours manipulé en arrière-plan.
Le Parti républicain de Sargissian et le Parti Arménie prospère formaient une coalition, étant entendu qu’une transition à la Poutine serait mise en œuvre en Arménie, Sargissian terminant son mandat et ouvrant la porte au retour de Kotcharian. Les relations se sont détériorées lorsque le plan n’a pas fonctionné comme il devait; Sargissian n’a pas abandonner les rênes du pouvoir et la coalition a commencé à se scinder. Pendant longtemps, Lévon Ter-Petrossian a en vain courtisé Tsaroukian. Maintenant que Tsaroukian, devenu la cible de la critique du président, a jeté le gant, et a rallié les partis de l’opposition autour de lui, il a appelé à un rassemblement national le 20 février, demandant la démission du président. Arménie prospère s’est joint au Congrès national arménien et au Parti de l’Héritage de Raffi Hovannisian afin d’utiliser tous les moyens, y compris la « désobéissance civile » pour renverser M. Sargissian. Le rassemblement se révèlera être un test décisif sur la force de l’opposition.
La politique arménienne est le miroir de celle de la Russie. Poutine a emprisonné l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, son opposant politique, a usurpé ses actifs d’une valeur de plus de 10 milliards de dollars, et l’a laissé quitter le pays presque sans le sou après 20 ans d’incarcération.
Les mêmes tactiques sont reprises en Arménie aujourd’hui. Tsaroukian a été expulsé du Conseil national de sécurité, il a été dépouillé de sa présidence de l’Agence nationale des sports, et maintenant le président a envoyé une lettre officielle au président du parlement, Galoust Sahakian, afin de retirer la protection de M. Tsaroukian comme membre du parlement. Pendant ce temps, l’ensemble de ses entreprises sont sous le coup d’une enquête pour de supposées évasions fiscales. A ce jour, M. Tsaroukian a mené toutes ses activités en Arménie, il emploie quelque 20 000 personnes, et il est soudain devenu suspect.
L’administration actuelle a pu détruire des oligarques plus sophistiqués, comme Khachadour Soukiasian, qui a quitté le pays avec son immense capital, au détriment de l’économie arménienne.
En dépit de son image machiste, M. Tsaroukian s’est, jusqu’ici, comporté intelligemment. Il est évident qu’il est entrainé par des esprits politiques beaucoup plus expérimentés dans l’opposition. Par exemple, dans sa réponse à la critique du président, il a dit qu’il n’était pas un politicien dans le sens classique du terme, mais qu’il souhaitait aider son peuple.
M. Tsaroukian a franchi le Rubicon, et avec son aide, l’opposition se battra contre l’administration avec une vigueur renouvelée.
Les observateurs et le grand public sont étourdis par ce conflit qui pourrait mener à une nouvelle Maidan (Place de l’Indépendance à Kiev) que M. Tsaroukian dit avoir évité jusqu’ici.
Pourquoi le président est-il si engagé alors que les problèmes du pays persistent ? L’émigration se poursuit à une échelle dangereuse, l’économie est dans un état stupéfiante, et par-dessus tout, la frontière avec l’Azerbaïdjan est à nouveau en train de devenir une zone de guerre.
Les défis intérieurs du président étaient liés à des défis de relations extérieures, lorsqu’il a soudain décidé de retirer les protocoles de l’ordre du jour du Parlement. Sa dernière initiative a surgit lorsque M. Davutolgu a adopté un ton plus conciliant envers l’Arménie. Le Premier ministre turc a réitéré sa précédente offre de renoncer à une région au Karabagh pour ouvrir la frontière avec l’Arménie. La question ne se posait même pas puisque la demande et l’offre étaient trop éloignées. L’échange de territoire contre la levée du blocus pourrait s’avérer être une illusion, parce que les frontières peuvent être fermées à volonté à n’importe quel moment, mais la terre ne peut être que reprise « uniquement par le sang, » comme l’a noté le dictateur turc Kenan Evren.
Cette crise est inopportune, alors que l’ensemble de la diaspora convergera vers l’Arménie, pour la commémoration du centenaire du génocide. Non seulement la diaspora, mais aussi de nombreux dignitaires comme le président François Hollande et d’autres vont arriver dans un pays en crise.
Nous ne voulons pas revoir un autre « Maidan ». Qui a besoin d’une telle crise en ce moment?
Traduction N.P.