Le président de l’Artzakh, Bako Sahakian, dans un long entretien accordé au quotidien italien Il Giorno, a exposé les défis auxquels son pays est confronté sous l’effet du lancinant conflit qui l’oppose à l’Azerbaïdjan.
Ci-dessous une traduction libre de l’entrevue.
Monsieur le Président, quelle est l’incidence du pétrole et du gaz azéris sur les négociations ?
Les exportations azéries de gaz et de pétrole sont un obstacle majeur aux négociations. Plus l’Azerbaïdjan exporte d’hydrocarbures, plus sa position dans les négociations est intransigeante.
Il y a un parallèle permanent entre les contrats d’exportation d’hydrocarbures et la volonté de l’Azerbaïdjan de faire les concessions nécessaires pour parvenir à un règlement pacifique du conflit. Le premier signe a été en 1997, lorsque, après la signature du premier projet de pétrole, l’Azerbaïdjan a rejeté les négociations avec les États-Unis. Et ce parallèle continue.
Pourquoi ?
Avec les devises que lui rapporte les exportations d’or noir, l’Azerbaïdjan a augmenté ses dépenses militaires de 2 500 % en dix ans. Mais je suis persuadé que ce pétrole et ces dépenses militaires ne sont d’aucune valeur lorsque l’on combat pour la liberté et la défense des droits fondamentaux. La communauté internationale pourrait faire davantage pour s’interposer face à l’agression de l’Azerbaïdjan, spécialement en raison de la détérioration toujours plus nette de la situation des droits de la personne dans ce pays.
Pourquoi les Nations Unies et les organisations internationales ne prennent-elles pas les mesures appropriées ?
Vous avez raison. Bien sûr, ils peuvent faire plus. Il est nécessaire de noter que les efforts de l’Azerbaïdjan à isoler le Karabagh et diminuer l’attention des organisations internationales se sont poursuivies pendant plus de deux décennies. Bien sûr, cela marque la poursuite des violations des droits humains et des pressions azerbaïdjanaises auxquelles nous avons été soumis par l’URSS. Chaque action de l’Azerbaïdjan dans ce sens révèle les causes légitimes de notre lutte, et renforce notre détermination à nous diriger vers la consolidation de l’Etat.
Mais la communauté internationale, pour ce qui concerne le processus d’indépendance de notre République et le droit de notre peuple à l’auto-détermination, applique la politique du deux poids deux mesures. La reconnaissance du Kosovo et du Soudan est est un bon exemple. Mais nous ne perdons jamais espoir ni notre âme. Notre Etat a été fondé à une époque où, comme les grandes démocraties de ce monde, nous aussi, avons réagi aux exactions de l’ennemi, en exerçant notre droit à nous rebeller et à défendre notre auto-détermination.
Qu’en est-il des relations avec l’Arménie ?
Vous savez, la diaspora arménienne, qui a survécu à un génocide, voit sa patrie en Artzakh et en Arménie. En ce qui concerne l’identité, il y a une sorte de relation symbiotique entre l’Artzakh, l’Arménie et la diaspora. Mais cela ne modifie pas notre détermination à atteindre la reconnaissance de notre pays.
Le conflit contient-il un élément religieux ?
Non, les raisons sont universelles en termes de droits humains fondamentaux. Mais il y avait des spéculations religieuses de la part de l’Azerbaïdjan durant la guerre, avec la participation de djihadistes tchétchènes, et des tueurs à gages.
Le Haut-Karabagh n’est pas encore reconnu. Comment est-il possible d’être le président d’un pays qui n’existe pas de facto ?
Je ne me sens pas être un président imparfait ; les citoyens m’ont élu, alors que nous luttons pour la liberté des personnes. Hier, nous n’avions aucune possibilité de fuir, et de protéger nos villages ; aujourd’hui, nous nous sommes engagés au renforcement de notre système démocratique.
Y a-t-il eu des bévues au cours de la guerre du Karabagh ?
Toutes les guerres sont des tragédies. Je partage la douleur de chaque individu, d’un côté comme de l’autre. La guerre nous a été imposée ; nous avons gagné et développé notre sensibilité ; il est possible d’éviter de nouvelles guerres. Ce dont manque Bakou, c’est évidemment de sensibilité, car certaines leçons ont été oubliées.
Et les relations avec l’Italie ?
Nous maintenons un dialogue culturel basé sur le dialogue avec les Italiens. Il n’y a pas encore de relations politiques ou économiques officielles. Nous multiplions le potentiel d’une amitié séculaire. Les missions en Artzakh, de politiciens venant de Lombardie et de Vénétie, sont importantes.
Quel est votre message cent ans après le génocide ?
Nous, les descendants des survivants de ce génocide, nous sommes engagés à éviter un nouveau génocide, depuis vingt ans, et nous allons le faire à nouveau si nécessaire. L’arménophobie prêchée par Bakou est, bien sûr, très contre nature.