Le dernier disque de Tigran Hamasyan

Le jeune pianiste et jazzman arménien, Tigran Hamasyan, vient de sortir un album inattendu où il réarrange la musique sacrée de son pays pour son instrument et l’ensemble vocal d’Erévan, en mémoire du centenaire du génocide arménien.

Le projet du pianiste de s’emparer de la musique sacrée d’Arménie sur l’album « Luys i Luso » était déjà surprenant. Ces derniers temps, le pianiste arménien, jazzman éclectique acclamé de par le monde, apparaissait plus souvent dans les festivals de la région pour asséner la fougue de son quintet – Festival de Montreux l’an dernier – ou pour tisser des solos aussi intimistes qu’envoûtants.

Si l’on en croit le prodige de désormais 28 ans, il n’y aurait pourtant rien d’étonnant à l’entendre travailler ce registre musical. « Dès l’âge de 14 ans, époque où j’ai découvert la musique sacrée arménienne, je savais qu’il serait formidable d’en faire un album un jour. » Mais il a fallu attendre quatorze autres années pour que le projet se réalise. Une idée se développe dans le temps, assure ce voltigeur de claviers qui a déjà de nombreuses variations à son actif. « Le moment de concrétiser doit faire son chemin et trouver sa place. » Même si Tigran Hamasyan assure que seules les considérations musicales ont pesé, l’agenda du projet ne doit rien au hasard et s’insère ouvertement dans l’année de la commémoration du centenaire du génocide arménien par les Turcs, un symbolisme marqué par la tournée comportant 100 concerts se déroulant, pour la plupart, dans des lieux religieux.

« Fondamentalement, l’idée était de ramener cette musique dans les monastères et les églises de Turquie où elle avait été composée à 90%, dans l’Arménie historique. Un retour aux racines. » Le projet peut paraître d’un historicisme séduisant mais, dans la Turquie contemporaine de Recep Tayyip Erdogan, les plaies du passé ne sont loin d’être fermées et la proposition n’est pas passée inaperçue. « Il y a eu des moments très tendus, sur fond d’émeutes dans le pays. » Des pressions désagréables ont entouré les prestations. « A Kars, il y a eu ce que j’appellerais des choses obscures. Des extrémistes se sont organisés contre les Arméniens, il y a eu des menaces. Les médias étaient sur place, des journaux ont fini par en parler et deux députés se sont élevés contre ces discours de haine. » Tigran Hamasyan a même commencé à sentir poindre l’ombre de la peur durant cette tournée. « Un peu tout de même, d’autant que j’étais accompagné de ma grand-mère et de ma femme, sans oublier les membres du chœur. »

Mais la musique reste au centre de ses préoccupations. Le pianiste épris du folklore de son pays, il habite toujours en Arménie – « simplement parce que c’est là que je me sens à la maison » – a beaucoup appris de cette expérience inédite. « C’était un exercice très fructueux. Je vais intégrer cette expérience dans ma musique. Non pas en travaillant avec des voix, mais avec les idées de composition que j’ai utilisées. » Son prochain enregistrement devrait d’ailleurs le voir retourner au solo, un exercice qu’il sublime avec bonheur. « J’adore ça, pour la liberté que cela procure et pour le défi: c’est la forme où il y a le plus de pression. » L’expression artistique rejoint parfois celle de la politique.