Qu’y a-t-il derrière la belligérance croissante de l’Azerbaïdjan ?

Éditorial écrit en anglais par Edmond Y. Azadian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 4 août 2022

 

Le gouvernement arménien est pris entre le marteau et l’enclume ; il a négocié sur deux fronts, avec la Turquie et l’Azerbaïdjan et a, très probablement, cédé sur des questions primordiales dans l’espoir de parvenir à une paix insaisissable, mais il doit afficher un visage courageux face à ses citoyens et proclamer que les négociations donneront des résultats positifs.

L’enjeu est le règlement du statut du Karabagh et la création du corridor de Zangezour à travers Syounik, en Arménie. À toutes fins pratiques, il semble que la Turquie et l’Azerbaïdjan recevront ce qu’ils ont demandé ; comme l’a annoncé un journal turc, « la porte du Grand Touran s’ouvre », faisant référence au couloir de Zangezour, tandis qu’Armen Grigorian, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale, a rassuré le public sur le fait qu’Erévan ne recherche pas de revendications territoriales mais uniquement la sécurité et les droits du peuple du Karabagh.

Enfin, Grigorian a concédé que les négociations portaient sur la paix et sont dissociées de la question du conflit du Karabagh. Ainsi, alors que le gouvernement a élaboré une sémantique appropriée pour révéler au public une vérité qui dérange, l’opposition dénonce le régime du Premier ministre Nikol Pachinian pour avoir vendu le pays aux Turcs et aux Azerbaïdjanais.

Alors que l’Arménie avale à contrecœur les compromis, l’Azerbaïdjan devient plus belliqueux, avec la ferme conviction que c’est le meilleur moment pour pousser l’Arménie au point de rupture. En effet, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev estime que les étoiles ne pourront plus jamais s’aligner pour offrir une autre chance de ce type, qui lui a été offerte grâce à la combinaison de la puissance des drones turcs et israéliens, des pilotes pakistanais et des djihadistes syriens. Le temps n’est pas un ami de l’Azerbaïdjan, car la fenêtre se ferme pour ceux qui chercheront à régler leurs problèmes par la violence dans la région.

Les forces azerbaïdjanaises ont fait quotidiennement des incursions en Arménie et au Karabagh, et accusent publiquement la partie arménienne. En fait, Zakir Hasanov, ministre azerbaïdjanais de la Défense, a annoncé il y a quelques jours, que les forces armées de son pays étaient entièrement prêtes à contrer toute provocation arménienne.

L’Azerbaïdjan reconstruit ses forces armées à un rythme rapide. Au cours de la récente guerre, malgré les défections et les failles de sécurité, l’Arménie a résisté à l’agression pendant 44 jours et a considérablement endommagé les forces azerbaïdjanaises. Mais Bakou, cette fois-ci, reconstitue son arsenal avec des armes encore plus modernes. Fouad Shahbazov, a écrit sur Eurasianet.org « La modernisation de l’armée azerbaïdjanaise fait partie d’une expansion militaire plus large après 2020, y compris une augmentation significative du budget militaire. » Aliev a donné comme raison le risque de revanchisme arménien. Mais une motivation plus probable est le déclin général de l’environnement sécuritaire dans le voisinage de l’Azerbaïdjan. La guerre conventionnelle à grande échelle actuellement en cours en Ukraine et la défense relativement réussie montée par les forces armées ukrainiennes formées par l’OTAN n’ont fait que renforcer les arguments en faveur d’une réforme militaire et d’un dépassement de l’héritage soviétique.

Le réarmement de l’Arménie est long, d’autant plus qu’elle n’a pas les mêmes ressources financières pour concurrencer l’Azerbaïdjan. L’Arménie vient de commencer à acheter des armes dans la perspective de diversifier ses ressources, à l’instar de l’Azerbaïdjan, car elle s’éloigne de son héritage soviétique.

Ilham Aliev a reçu un autre coup de pouce moral lorsque Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’est récemment rendue à Bakou pour signer un accord gazier, faisant l’éloge du dictateur azerbaïdjanais, bien que la capacité de l’Azerbaïdjan à remplacer le flux de gaz russe soit infiniment plus petite.

Incidemment, l’accord gazier entre l’Azerbaïdjan et l’Europe a dû être problématique pour le Kremlin, car deux jours avant que la Russie ne lance sa guerre contre l’Ukraine, M. Aliev était à Moscou pour signer un accord avec le président Vladimir Poutine, qui prévoyait, entre autres, que les parties s’abstiennent d’entrer en relation avec un tiers qui pourrait nuire aux intérêts économiques des signataires. Et pourtant, après la visite de Madame von der Leyen à Bakou, Moscou n’a émis aucune objection.

Quant aux négociations entre l’Arménie et la Turquie, elles ont donné des résultats insignifiants et ne semblent, pour le moment, pas très prometteuses.

Le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Çavusoglu déclare que « l’Arménie doit prendre des mesures concrètes » mais il ne s’agit que d’une excuse pour retarder le processus de négociation. Il aurait été plus avantageux pour l’Arménie de mettre sur la table la question de la reconnaissance du Génocide et de l’indemnisation qui en découle, pour placer la Turquie sur la défensive. Après tout, c’est Ankara qui n’a pas respecté sa part du marché et a entamé des négociations sans conditions préalables uniquement pour amener l’Arménie à signer un traité de paix avec l’Azerbaïdjan. L’Arménie doit revoir son approche sans condition préalable et proposer une liste de demandes.

Alors que des plans sont en cours pour un autre sommet entre Pachinian et Aliev à Bruxelles, les tensions montent. Allons-nous vers un autre conflit avant de finaliser un accord de paix ? Un analyste politique arménien, Tigran Grigorian, offre une réponse à la question en déclarant « les violations signalées de la trêve signifient le mécontentement des dirigeants azerbaïdjanais quant à l’état actuel du processus de paix. Bakou essaie peut-être d’aggraver les tensions dans la zone de conflit du Karabagh dans le but d’obtenir des concessions politiques diplomatiques de la part de l’Arménie. »

Cette idée est également corroborée par le fait qu’Aliev fait une crise chaque fois que la partie arménienne lui rappelle que le processus de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est chargé de résoudre la question du statut du Karabagh. Maintenant, les États-Unis sont se joint à la mêlée, ressuscitant le processus moribond de l’OSCE, contrairement à la réticence de la Russie. Pour apaiser M. Aliev, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait récemment annoncé à Bakou que le processus de l’OSCE était mort, car les deux autres coprésidents, la France et les États-Unis, refusaient de coopérer avec la Russie. Dans une entrevue sur Azadoutioun TV, l’ambassadrice américaine Lynne Tracy a réitéré qu’au contraire, les États-Unis sont prêts à coopérer avec la Russie pour régler le conflit du Karabagh. Il faut se rappeler que la question a été soulevée à un niveau supérieur alors que la sous-secrétaire d’État Karen Donfried était à Erévan.

Peut-être que la nervosité de M. Aliev est exacerbée par le fait que les États-Unis ont montré un regain d’intérêt pour la région et que le secrétaire d’État Antony Blinken a régulièrement téléphoné aux parties. Après son dernier appel à Pachinian et Aliev, M. Blinken a tweeté qu’il voyait « une possibilité historique de parvenir à la paix dans la région ». Étonnamment, le Kremlin a également salué la participation de tierces parties au processus de paix dans la région, à condition qu’elles ne sapent pas la position de la Russie.

Ainsi, l’Arménie ne peut à elle seule contenir les crises de colère de M. Aliev, mais il semble que les actions des principaux acteurs puissent faire l’affaire. Cette apparente coopération entre les États-Unis et la Russie à un moment où ils ne trouvent aucun terrain d’entente pourrait effrayer M. Aliev.

L’un des analystes avertis d’Erévan, Hovsep Khourchoudian, estime que l’intérêt soutenu de Blinken pour la région est un facteur de stabilisation, comme il l’a écrit « La fréquence des appels téléphoniques du secrétaire d’État américain Antony Blinken à Erévan et à Bakou n’est que l’une des démonstrations des efforts pertinents de Washington. Dans ce contexte, je voudrais souligner l’identification claire et publique de l’Azerbaïdjan comme source de provocations et les derniers entretiens de Blinken avec Pachinian et Aliev. L’intérêt accru des États-Unis pour la région est dans l’intérêt de l’Arménie, principalement en raison du fait qu’il empêche Ilham Aliev de poursuivre ses actions aventureuses. Bakou continue d’associer les solutions aux problèmes régionaux – les relations Arménie-Azerbaïdjan et le problème de l’Artsakh – à l’éventuel recours à la force… La diplomatie américaine est le ‘seuil minimum’ assurant des garanties de sécurité pour l’Arménie. »

L’Arménie a désespérément besoin de paix et de stabilité pour pouvoir se remettre des effets dévastateurs de la guerre et maintenir sa souveraineté.

 

Traduction N.P.