Il est communément admis que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Cependant, il incombe aux générations subséquentes d’historiens de réévaluer l’histoire alors que les années et les siècles se sont écoulés, et ainsi offrir une présentation objective de l’histoire.
Durant la période soviétique, l’histoire arménienne a été écrite de manière à intégrer et à justifier une certaine idéologie. Tous les États et dirigeants autoritaires détiennent préventivement la vérité historique. Par conséquent, les historiens sont forcés de travailler avec le carcan d’une certaine idéologie. De même, les parties impliquées dans le mouvement de libération arménien n’ont pas été à l’abri de la tentation, même lorsque vivant dans un monde libre.
L’histoire des partis politiques a le plus souvent été écrite par les historiens amateurs glorifiant les activités partisanes de leurs prédécesseurs. Développer des légendes sur les actions d’un parti a certainement pour but d’enflammer l’imagination de la jeunesse, mais ces légendes ne sont pas un substitut à l’objectivité historique.
En regardant le passé avec une perspective historique, les Arméniens doivent se glorifier collectivement des réalisations de chacun des partis, ainsi qu’assumer les échecs ou erreurs de ces mêmes partis, ces échecs ayant comme résultat une nation sans État luttant depuis six siècles pour retrouver son pouvoir et sa souveraineté.
Le parti ADL d’Arménie a pris l’initiative d’organiser un symposium d’une journée, le 3 novembre, à l’Académie nationale des sciences d’Erévan pour réévaluer l’histoire du Parti Armenagan fondé en 1885, il y a donc 130 ans à Van, premier parti politique pionnier du mouvement de libération nationale. Le parti avait deux traits distinctifs qui le séparait des autres partis, fondés après lui. Tout d’abord, il a été formé sur le sol historique de l’Arménie, par conséquent, il avait le doigt sur le pouls de la population, et sa souffrance sous la domination ottomane répressive. Son autre distinction était son idéologie utilitariste, qui servait d’auto-défense aux victimes des pogromes sporadiques du gouvernement turc.
Le parti socialiste Hunchakian, lui, a été fondé à Genève en 1887, et le Parti révolutionnaire arménien à Tbilissi en 1890. Ces deux derniers partis ne pouvaient résister à la tentation de souscrire aux idéologies socialistes qui prévalaient à l’époque en Europe et en Russie.
L’idéologie et le modus operandi du Parti Armenagan a été testé deux fois au cours d’évènements historiques. Les membres Armenagans de Van avaient secrètement enrôlé un grand nombre de jeunes et les avaient formés à la fabrication et l’utilisation des armes en 1896, lorsque l’armée du sultan a été envoyé pour massacrer les Arméniens de la région de Van. Les Armenagans ont opposé une résistance surprenante, tant et si bien que le consul britannique est intervenu pour négocier une trêve, au cours de laquelle les combattants de la liberté ont déposé leurs armes en échange d’une promesse du sultan d’obtenir un passage sûr vers la Perse. Ils ont cependant été trahis et l’armée turque leur a tendu une embuscade dans la vallée de Saint-Barthélemy, embuscade qui a fait plus de 800 victimes. Cette catastrophe a brisé les reins du Parti Armenagan.
Pourtant, quand la population de Vaspouragan a fait face à un second pogrome en 1915, les Armenagans ont eu assez de membres pour prendre la tête de la défense militaire dirigée Armenak Yegarian, tandis que le commandement politique était assumé par la FRA, dirigée par Aram Manookian.
Au cours de sa formation, le Parti Armenagan a été inspiré par Megeurditch Khrimian (Khrimian Hayrik), Megeurditch Portukalian (rédacteur en chef) et Megeurditch Terlemezian. Les deux premiers n’étaient pas des membres fondateurs du parti, mais ont joué un rôle important dans l’élaboration de son idéologie. Seul Terlemezian a été directement associé au parti, et a été le chef de file de la première insurrection de Van en 1896.
Le Parti Armenagan était l’un des éléments constitutifs du Parti libéral démocrate arménien, formé en 1921 par la fusion du parti Hunchakian réformé, et le parti constitutionnel Ramgavar.
La plupart du temps, les Arméniens ont une vue biaisée des partis politiques et offrent leur crédibilité aux éléments conservateurs qui, historiquement, ont préconisé la docilité envers le pouvoir. Mais un œil plus averti révèle la vérité sur les sacrifices des activités de ces partis qu’ils ont faits tout en conservant vivante l’idée de l’indépendance de l’Arménie.
Au cours de l’année du centenaire du génocide arménien, l’ADL d’Arménie a réédité un livre de notre plus célèbre écrivain satirique, Yervant Odian, sous le titre de « Les années maudites ». La tragédie monumentale de la nation se révèle à travers les expériences personnelles d’un individu. Alors que la plupart des livres de Odian ont incité au rire et à l’humour, l’auteur dégrisé, physiquement et au figuré, présente un ouvrage imbibé du sang et des larmes de sa nation.
Pour équilibrer cette tragédie, nous avons encore une dette envers Odian qui a publié un autre volume, intitulé « Les parasites de la Révolution ». Dans ce dernier volume, Odian présente les abus et sacrilèges commis par les soi-disant révolutionnaires, les activités des individus et des partis se présentant comme les sauveurs de la nation arménienne.
L’image totale du mouvement arménien de libération, comme en témoigne notre histoire et notre littérature, ne serait pas complète sans un livre d’un autre éminent écrivain, Arpiar Arpiarian, qui a écrit un court roman sous le titre de « Garmeer Jamoots » (la dîme rouge), dont le héros est un prêtre révolutionnaire qui récolte secrètement des fonds pour la cause révolutionnaire. Persécuté par un riche paroissien conservateur, qui se joint à la cause révolutionnaire, après avoir connu tous les abus du gouvernement turc, et contribue ainsi volontairement à la « dîme rouge. »
Comme les historiens réunis dans les salles de l’Académie nationale des sciences l’on dit, faire valoir l’histoire objective du Parti Armenagan est un devoir.
Une nation qui a retrouvé son indépendance et sa souveraineté se doit de réévaluer son histoire avec un contrôle académique; nous ne pouvons construire un nouveau statut d’Etat sur des demi-légendes et des demi-hypothèses historiques.
L’histoire du Parti Armenagan est une zone insuffisamment documentée de l’histoire arménienne moderne.
Les autres partis politiques ont une portée plus étendue et par conséquent, se doivent de réévaluer leur passé avec une rigueur académique qui les préservera pour la postérité.
Le passé de chaque parti appartient à l’ensemble de la nation arménienne. Nous pouvons nous enorgueillir de nos actions glorieuses et apprendre de nos échecs.
Traduction N.P.