Que s’est-il passé à Bruxelles ?

Écrit en anglais par le Dr Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 15 mai 2023

 

Le 14 mai 2023, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev se sont rencontrés à Bruxelles. La réunion a été facilitée par le président du Conseil européen Charles Michel, qui a également eu des discussions séparées avec Pachinian et Aliev.

Le sommet du 14 mai a marqué la reprise du format de Bruxelles, une plateforme de l’Union européenne pour les négociations Arménie-Azerbaïdjan créée en décembre 2021. La dernière réunion au format de Bruxelles a eu lieu le 31 août 2022. Elle a été suivie d’une agression azerbaïdjanaise à grande échelle contre l’Arménie les 13 et 14 septembre et par des négociations, qui ont eu lieu à Prague le 6 octobre 2022, facilitées par Charles Michel et le président français Emmanuel Macron. Après Prague, le format de Bruxelles était dans les limbes, car l’Arménie aurait exigé d’inclure Macron dans les négociations, ce que l’Azerbaïdjan a rejeté avec véhémence. Après la réunion de Prague, les États-Unis ont considérablement accru leur implication dans le processus de négociation. Les Américains ont organisé une réunion Pachinian-Aliev en février 2023 à Munich, puis après une navette diplomatique intensive, ont amené les ministres des Affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais à Washington à un marathon de négociations de 4 jours début mai 2023.

Pendant ce temps, alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan se chamaillaient sur les formats et les plates-formes, l’Arménie, en signant la déclaration de Prague, le 6 octobre, et en reconnaissant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan dans la déclaration d’Alma-Ata de 1991, a convenu que le Haut-Karabagh faisait partie de l’Azerbaïdjan. Ce récit a été articulé pour la première fois par le Premier ministre Pachinian en avril 2022, lorsqu’il a soutenu que l’Arménie devrait abaisser la barre du statut du Haut-Karabagh pour obtenir le soutien de la communauté internationale.

C’était un signe que l’Arménie a abandonné sa vision à long terme selon laquelle le Haut-Karabagh ne pouvait pas faire partie de l’Azerbaïdjan et a accepté de discuter du statut autonome du Karabagh au sein de l’Azerbaïdjan. Cependant, depuis l’été 2022, les autorités arméniennes ont cessé d’utiliser les termes « statut » et « droit à l’autodétermination » et ont plutôt mis de l’avant le récit de la nécessité de garantir les droits des Arméniens vivant au Haut-Karabagh.

Simultanément, l’Arménie a appelé à une présence internationale dans le Haut-Karabagh et à un mécanisme international pour les négociations Karabagh-Azerbaïdjan. La déclaration de Prague du 6 octobre 2022 a conforté cette vision. Pendant ce temps, le 12 décembre 2022, l’Azerbaïdjan a fermé le corridor de Latchine par des actions d’« éco-activistes » autoproclamés. Le blocus du Haut-Karabagh a ajouté une couche supplémentaire aux négociations, alors que l’Arménie a appelé la Russie et la communauté internationale à faire pression sur l’Azerbaïdjan pour qu’il rouvre le corridor de Latchine. Simultanément, le gouvernement arménien a déclaré que l’Arménie ne négocierait pas avec l’Azerbaïdjan sur la question du corridor de Latchine.

L’Arménie a cherché à utiliser également les mécanismes juridiques internationaux pour forcer l’Azerbaïdjan à mettre fin au blocus. Erévan a saisi la Cour internationale de justice (CIJ), et la cour, dans sa décision du 22 février 2023, a appelé l’Azerbaïdjan à utiliser toutes les mesures pour permettre la libre circulation via le corridor. Cependant, le 23 avril, l’Azerbaïdjan a établi un point de contrôle dans le corridor de Latchine, instaurant ainsi son contrôle total.

Ainsi, alors que l’Azerbaïdjan prenait des mesures pour renforcer son contrôle sur le corridor de Latchine, rejetait la mise en œuvre de la décision de la CIJ et aggravait la crise humanitaire au Haut-Karabagh, l’Arménie a accepté de reprendre les négociations avec l’Azerbaïdjan d’abord à Munich, puis à Washington et à Bruxelles. Le 19 mai, les ministres des Affaires étrangères arménien et azerbaïdjanais se rencontreront à Moscou, et les dirigeants des deux pays auront une autre discussion le 1er juin 2023 à Chisinau avec la participation de Charles Michel, Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz.

Après la réunion du 14 mai, Charles Michel a fait quelques remarques publiques. Il a souligné que les dirigeants ont confirmé leur attachement sans équivoque à la Déclaration d’Alma-Ata de 1991 et à l’intégrité territoriale respective de l’Arménie (29 800 km2) et de l’Azerbaïdjan (86 600 km2). Selon lui, ils ont poursuivi les échanges sur la question des droits et de la sécurité des Arméniens vivant dans l’ancien oblast autonome du Haut-Karabagh. C. Michel a déclaré qu’il encourageait l’Azerbaïdjan à développer un agenda positif pour garantir les droits et la sécurité de cette population en étroite coopération avec la communauté internationale et a évoqué la nécessité d’un dialogue transparent et constructif entre Bakou et cette population.

Il y a plusieurs caractéristiques intéressantes dans ces remarques. Premièrement, il n’y avait rien sur la situation le long du corridor de Latchine, le non-respect par l’Azerbaïdjan de la décision de la CIJ, l’établissement d’un point de contrôle azerbaïdjanais et l’aggravation de la crise humanitaire. L’absence de toute référence à la situation dans et autour du corridor est très inquiétante, car cela signifie que l’UE accepte la version azerbaïdjanaise de la situation selon laquelle il n’y a pas de blocus et que l’établissement du point de contrôle est conforme au droit international. Malheureusement, l’Arménie ne s’est pas opposée à cette perception.

Un autre point intéressant est la référence à la région de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Après la déclaration de Prague, il y a eu des spéculations à l’intérieur et à l’extérieur de l’Arménie selon lesquelles la reconnaissance de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan dans la déclaration d’Alma-Ata n’a rien à voir avec le Haut-Karabagh, car le Haut-Karabagh, entièrement conforme aux lois de l’Union soviétique, a déclaré son indépendance le 2 septembre 1991, et a organisé un référendum d’indépendance le 10 décembre, avant la signature de la déclaration d’Alma-Ata du 21 décembre. Ainsi, même après le 6 octobre 2022, il y avait une marge de manœuvre pour les autorités arméniennes. Cependant, la référence au territoire de l’Azerbaïdjan de 86 600 km2 est un message sans équivoque que l’Arménie reconnaît l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, y compris le Haut-Karabagh. La dernière caractéristique importante de la déclaration est l’idée que même si le gouvernement arménien répétait quotidiennement la nécessité d’avoir une présence internationale dans le Haut-Karabagh et d’établir un mécanisme international pour les négociations Azerbaïdjan-Haut-Karabagh, il n’y est fait aucune référence à l’un de ces éléments.

Ainsi, le sommet de Bruxelles du 14 mai a rapproché les parties de la signature d’un accord de paix qui reconnaîtra le Haut-Karabagh comme faisant partie de l’Azerbaïdjan sans statut et sans garanties explicites pour les droits et la sécurité de la population arménienne. Cependant, selon le récent sondage de l’International Republican Institute (IRI), 70% de la population arménienne ne soutient pas la politique du gouvernement sur le Haut-Karabagh, et les autorités arméniennes pourraient donc éviter la signature de l’accord dans un proche avenir. Contrairement à la déclaration du 10 novembre 2020, tout accord signé par le Premier ministre doit être confirmé par la Cour constitutionnelle et ratifié par le parlement. Cette procédure peut être un autre facteur retardant le processus.

 

Traduction N.P.