Publié en anglais dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 2 novembre 2023
L’Institut Lemkin pour la prévention du génocide a publié le 28 octobre la déclaration suivante :
« L’Institut Lemkin pour la prévention du génocide est déçu du résultat de la visite de la mission de l’ONU en Artsakh (Haut-Karabagh) le 1er octobre, qui a eu lieu après que l’ensemble de la population arménienne d’Artsakh ait déjà fui en raison du déplacement forcé à la suite à la récente invasion azerbaïdjanaise. Il est difficile de comprendre quel était le but d’une telle mission et pourquoi il n’y a jamais eu plus de pression sur l’Azerbaïdjan pour qu’il autorise une mission en Artsakh pendant le blocus de 9 mois de la région par l’Azerbaïdjan qui a conduit à l’invasion. L’Institut Lemkin appelle l’ONU à préparer une véritable mission en République d’Artsakh, qui inclurait des membres d’équipes internationales de pays neutres dans le conflit pour mener une analyse approfondie de la situation actuelle sur le terrain. Afin de garantir les droits des Arméniens en Artsakh, l’ONU doit agir avec professionnalisme, impartialité et engagement envers les valeurs présentées dans la Charte des Nations unies.
Si les Nations unies ne veulent pas prendre le génocide au sérieux, il vaudrait mieux qu’elles n’envoient aucune mission dans les régions qui ont connu un génocide.
Selon l’ONU, « la mission visait à évaluer la situation sur le terrain et à identifier les besoins humanitaires des personnes restantes et de celles en mouvement ». Malgré l’objectif complexe de cette visite, l’évaluation elle-même et la déclaration sur les résultats de cette évaluation ont été achevées en une journée, ce qui soulève la question de savoir dans quelle mesure la mission de l’ONU aurait pu prendre au sérieux la tâche d’une évaluation sur le terrain. Il convient de mentionner qu’il s’agissait de la première visite de l’ONU dans la région depuis 30 ans.
Avant cette visite, des inquiétudes concernant l’insécurité politique constante des Arméniens en Artsakh et les menaces contre la population arménienne de la région avaient été soulevées à plusieurs reprises au sein des organes de l’ONU. Deux réunions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été convoquées sur le thème des menaces persistantes contre les Arméniens d’Artsakh (le 16 août, concernant le blocus total imposé à la République d’Artsakh par l’Azerbaïdjan, et le 21 septembre, concernant l’attaque militaire azerbaïdjanaise contre la population arménienne d’Artsakh). Lors des deux réunions, la majorité des États membres du Conseil de sécurité ont condamné les actions de l’Azerbaïdjan, déclarant qu’elles constituaient une menace pour la sécurité et le bien-être des Arméniens de la région et décourageaient tout effort de rétablissement de la paix dans la région. Outre ces condamnations, la Cour internationale de Justice a ordonné à l’Azerbaïdjan à deux reprises (les 22 février et 6 juillet 2023) de rouvrir le couloir de Latchine, la route humanitaire reliant la République d’Artsakh à l’Arménie. Toutes les déclarations et ordonnances de la CIJ ont été ignorées par l’Azerbaïdjan.
L’Institut Lemkin a émis plusieurs alertes rouges contre l’Azerbaïdjan depuis le blocus du couloir de Latchine en décembre 2022, ainsi qu’une alerte active au génocide et des alertes SOS indiquant un risque extrêmement élevé de génocide pour les Arméniens d’Artsakh. Compte tenu de la parfaite connaissance par les représentants de l’ONU des risques encourus par la population arménienne en Artsakh (comme en témoigne la convocation de deux réunions du Conseil de sécurité sur le sujet), il nous est très surprenant que la mission ne se rende dans cette région qu’après la fin de l’offensive azerbaïdjanaise et après l’exode de plus de 100 000 Arméniens de l’ancienne République. Le fait que le président azerbaïdjanais Ilham Aliev ait fait don d’un million de dollars au Programme des Nations unies pour les établissements humains le 30 septembre, juste la veille du déploiement de la mission au Haut-Karabagh, ne fait qu’accroître nos inquiétudes quant à l’honnêteté et à la transparence de la mission.
En examinant le fonctionnement et le fonctionnement de la mission, nous avons découvert de nombreux points controversés. Premièrement, la mission n’est arrivée dans la région qu’après la fin de l’effusion de sang et l’exode des Arméniens, et elle n’a duré qu’une journée. Dans le briefing de Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général Antonio Guterres, il a été déclaré qu’« ils [les membres de la mission] ont eu l’occasion de voir pas mal de choses ». Cependant, dans le contexte d’un blocus complet, suivi d’une invasion militaire et d’un nettoyage ethnique, 24 heures ne suffisent certainement pas à elles seules pour évaluer correctement la situation sur le terrain. Deuxièmement, les informations sur le nombre d’Arméniens restés en Artsakh (de 50 à 1 000) contredisent les chiffres avancés par l’ancien médiateur de l’Artsakh, Artak Beglarian, qui a affirmé qu’il ne restait plus, actuellement, que 40 personnes dans la région. Troisièmement, en ce qui concerne le texte de la déclaration elle-même, l’ONU a visité certaines parties non précisées de la ville de Stepanakert, où elle « n’a constaté aucun dommage aux infrastructures publiques civiles, y compris les hôpitaux, les écoles et les logements, ni aux structures culturelles et religieuses ». Il existe cependant des preuves photographiques vérifiables de la destruction des infrastructures civiles dans la ville de Stepanakert, car elle a été bombardée par l’Azerbaïdjan lors de son offensive militaire. En plus de cet accès limité à Stepanakert, l’équipe a visité la ville d’Ağdam, qui était sous contrôle azerbaïdjanais et inhabitée par les Arméniens, et donc non cruciale pour l’ordre du jour et le corridor de Latchine, qui a été étudié après que l’ensemble de la population ait été contrainte de fuir. Il est à noter que la mission de l’ONU n’a inclus aucun représentant de la mission arménienne auprès de l’ONU et qu’elle ne s’est pas rendue dans la région de Syounik pour parler avec les réfugiés arméniens qui ont été forcés de quitter l’Artsakh. La déclaration finale est extrêmement vague et peu informative.
Cela dit, l’Institut Lemkin considère que le fonctionnement de la mission a échoué, car elle n’a pas réussi à présenter ou à évaluer avec précision la réalité de la situation en République d’Artsakh. Nous sommes fermement convaincus qu’entreprendre « une mission pour le plaisir d’une mission » et faire une « déclaration pour le plaisir d’une déclaration » ne sont pas des réponses adéquates à des situations aussi graves et dangereuses que celles qui se sont déroulées dans le Caucase du Sud. Nous remettons en question les scrupules et l’intégrité de cette mission. Les vagues principes de fonctionnement et les évaluations de la mission de l’ONU, qui manquaient d’objectifs, de méthodologie ou de recommandations spécifiques, risquent gravement de saper la confiance que la communauté internationale accorde collectivement au travail des Nations unies.
L’Institut Lemkin appelle l’ONU à préparer une véritable mission en République d’Artsakh, qui inclurait des membres d’équipes internationales de pays neutres dans le conflit pour mener une analyse approfondie de la situation actuelle sur le terrain. Cette réalité, résultat d’un conflit qui dure depuis trois décennies, ne peut être évaluée en une seule journée. Afin de garantir les droits des Arméniens en Artsakh, l’ONU doit agir avec professionnalisme, impartialité et engagement envers les valeurs présentées dans la Charte des Nations unies.
Traduction N.P.