Écrit par Alda Engoian et publié dans Courrier international en date du 9 novembre 2023
Les autorités de l’Azerbaïdjan ont symboliquement « tiré un trait », le 8 novembre, sur trente ans de conflit avec les forces et les habitants du Haut-Karabagh, en organisant un défilé militaire célébrant la victoire du pays dans cette région.
« Le 8 novembre, en présence du président de la République d’Azerbaïdjan et commandant en chef suprême des forces armées, Ilham Aliev, de la première vice-présidente, Mehriban Alieva, et de leur fils Heydar Aliev, dans la ville de Khankendi (nom azerbaïdjanais de la capitale du Haut-Karabagh, Stepanakert pour les Arméniens), a eu lieu un défilé militaire dédié au troisième anniversaire de la victoire dans la guerre patriotique », rapporte, enjoué, le site azerbaïdjanais Oxu.
Ce que le discours officiel désigne ainsi, ce sont les 44 jours d’affrontements militaires entre l’alliance turco-azerbaïdjanaise et les Arméniens du Haut-Karabagh, du 27 septembre au 10 novembre 2020, qui ont fait perdre aux Arméniens les deux tiers du territoire de leur république autoproclamée, conquis de haute lutte à l’issue de la guerre de 1992-1994.
« Un défilé grandiose », titre pour sa part le site azerbaïdjanais Report, qui propose un reportage photographique de l’événement.
Comme le rappelle le quotidien russe Kommersant, il s’agissait de la deuxième parade militaire organisée par Bakou sur le thème de la victoire dans la « deuxième guerre du Haut-Karabagh ». Le premier défilé avait eu lieu à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, le 10 décembre 2020, un mois tout juste après la signature du cessez-le-feu qui a mis un terme aux affrontements d’alors. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, y avait assisté.
Par la suite, le 19 septembre 2023, Bakou a mené une offensive éclair contre les forces du Haut-Karabagh, qui ont définitivement capitulé le 20 septembre. Dans son discours du 8 novembre, Aliev s’est félicité. « Dans l’histoire séculaire du peuple azerbaïdjanais, il n’y a pas eu de victoires aussi brillantes. » Celle-ci a permis à Bakou d’obtenir « la capitulation qui a mis fin au régime fantoche créé sur nos terres il y a trente ans. Ce régime illégal est tombé, nous avons donc restauré la justice historique ». « Le 20 septembre 2023 restera dans notre histoire, au même titre que le 8 novembre 2020 », s’est rengorgé le président azerbaïdjanais.
La parade militaire avait pour but de « tirer un trait sur la lutte de l’Azerbaïdjan depuis trente ans pour reconquérir un territoire que Bakou considérait comme illégalement occupé », analyse Kommersant. La capitulation des autorités du Haut-Karabagh ayant entraîné l’exode de plus de 100 000 Karabaghis, qui ont fui la terre de leurs ancêtres en dix jours, le défilé s’est déroulé « dans une ville fantôme, abandonnée par la population arménienne », relève le titre russe.
En Arménie, pendant ce temps, « l’état d’esprit était tout autre », souligne Kommersant. Comme pour le président du parti Arménie juste, Norik Norikian, qui confie au site arménien Verelq que ce 8 novembre 2023 a été « un jour de honte et d’humiliation ». « Le simple fait qu’Aliev ait organisé un défilé militaire à Stepanakert est pour nous une honte, a-t-il commenté. Cette honte doit être éradiquée pour que notre peuple puisse vivre dignement sur sa terre ». Et de mettre en garde ceux qui « ont conduit l’Arménie et l’Artsakh à cette situation tragique », car ils devront « en répondre ».
Pour le site russo-arménien Russia Armenia Info, « par de telles ‘marches de la victoire’ et autres provocations de propagande, Bakou cherche à consolider les résultats de ses guerres terroristes, qui ont ébranlé les fondements juridiques de l’ordre mondial et sont devenues une sorte de déclencheur pour l’effondrement de la stabilité et de la sécurité non seulement régionales, mais aussi mondiales ».
Le site constate que « le tandem turco-azerbaïdjanais ne peut être freiné par des appels, des condamnations et autres exhortations ». Et qu’il faudra « des actions concrètes et des mesures sévères pour punir les initiateurs et les auteurs de ce génocide au XXIe siècle ».