Écrit en anglais par Benyamin Poghosian et publié dans The Armenian Mirror-Spectator en date du 6 janvier 2024
Alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan poursuivent leurs négociations en vue de signer un accord de paix, le rétablissement des communications entre les deux pays est devenu l’un des sujets brûlants des négociations. Il comporte de multiples dimensions, notamment les questions liées aux modalités de contrôle des passeports et des douanes lors du franchissement des frontières arméniennes et azerbaïdjanaises et à la sécurité des passagers et des marchandises qui transiteront par l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Après la prise de contrôle militaire du Haut-Karabagh en septembre 2023, l’Azerbaïdjan a renoncé à exiger un corridor extraterritorial via l’Arménie pour se raccorder à la République autonome du Nakhitchevan. Cependant, il a continué d’exiger un régime sans passeport ni contrôle douanier pour les citoyens azerbaïdjanais et les marchandises qui passeront par l’Arménie pour l’atteindre et vice versa. L’Azerbaïdjan exige également l’implication de pays tiers pour assurer la sécurité des passagers et des marchandises azerbaïdjanais, arguant que l’Arménie ne peut fournir les garanties nécessaires. Il a placé ces sujets sur le devant de la scène, en les discutant lors de conférences, d’ateliers et de webinaires axés sur les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
Étonnamment, par ailleurs, la sécurité des marchandises et les passagers arméniens qui transiteront par l’Azerbaïdjan pour atteindre l’Iran et la Russie n’est pas évoquée. Cette situation est bizarre, compte tenu des multiples crimes odieux contre la population civile arménienne commis par l’Azerbaïdjan, crimes largement condamnés par la communauté internationale. Il s’agit notamment d’incidents survenus lors de la guerre des 4 jours en avril 2016, de la deuxième guerre du Haut-Karabagh de 2020, des incursions azerbaïdjanaises en Arménie proprement dite, en 2021 et 2022, du blocus de neuf mois des Arméniens du Haut-Karabagh jusqu’à la quasi-famine, et la prise de contrôle militaire du Karabagh en septembre 2023. Au cours de la seule attaque militaire azerbaïdjanaise contre le Haut-Karabagh du 19 septembre 2023 qui a duré 24 heures, au moins 25 civils arméniens ont été tués dont cinq enfants. Des dizaines de civils ont été blessés, dont dix enfants et cinq civils sont toujours portés disparus.
Les multiples crimes de guerre contre les Arméniens, associés à une forte propagande de haine anti-arménienne, malheureusement toujours répandue en Azerbaïdjan, indiquent clairement que les marchandises et les passagers arméniens ne pourront pas passer par l’Azerbaïdjan pour atteindre l’Iran, la Russie ou autres régions de l’Arménie sans garanties de sécurité particulières fournies par des pays tiers. Cela signifie que même si l’Arménie et l’Azerbaïdjan parviennent à un accord sur le rétablissement de la communication sans modalités précises pour garantir la sécurité des marchandises et des passagers arméniens, l’accord ne sera, en réalité, pas mis en œuvre car les Arméniens refuseront de voyager via l’Azerbaïdjan et mettront la vie de leur famille et la leur en danger.
Parce qu’il est difficile de se rendre en Russie en passant par l’Azerbaïdjan, soit par la route ou le chemin de fer en raison de la complexité géographique, cela n’a tout simplement pas de sens de se rendre d’Erévan à Bakou par chemin de fer via le Nakhitchevan et le sud de l’Azerbaïdjan puis de voyager sur deux cents kilomètres supplémentaires pour atteindre la frontière entre l’Azerbaïdjan et la Russie ; la République autonome du Nakhitchevan deviendrait probablement la plaque tournante centrale pour les marchandises et les passagers arméniens souhaitant atteindre l’Iran ainsi que la partie sud de l’Arménie par autoroute et chemin de fer, contournant la route montagneuse qui relie actuellement la capitale Erévan à la région de Syounik. Dans ce contexte, les discussions devraient commencer au niveau des experts sur les moyens possibles d’assurer la sécurité des Arméniens susceptibles de voyager via le Nakhitchevan.
L’Azerbaïdjan, compte tenu de son comportement récent et de sa rhétorique continue contre les Arméniens, ne peut fournir de garanties réalistes aux marchandises et aux passagers arméniens. L’implication d’un pays tiers ou d’une organisation internationale est le seul moyen de stabiliser la situation et d’ouvrir la voie au rétablissement des communications. Compte tenu de la situation géographique du Nakhitchevan et des développements géopolitiques dans le Caucase du Sud, l’Iran, la Russie et l’Union européenne (UE) sont des candidats susceptibles de s’impliquer dans la résolution de ce processus. La Russie a négocié la signature de quatre déclarations conjointes Arménie-Azerbaïdjan entre 2020 et 2022 et Moscou entretient des relations amicales avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Malgré la récente augmentation des discours hostiles entre ces deux pays, Erévan continue d’être membre d’organisations dirigées par la Russie et la base militaire russe ainsi que les troupes frontalières sont situées en Arménie. À son tour, l’Azerbaïdjan a signé une déclaration sur l’interaction alliée avec la Russie en février 2022. L’Azerbaïdjan sert de pays de transit pour la Russie vers l’Iran et achète du gaz naturel russe.
L’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Russie ont créé début 2021 une commission trilatérale sur le rétablissement des communications, présidée par les vice-premiers ministres, qui a réalisé certains progrès. La commission trilatérale pourrait être un lieu efficace pour entamer des discussions sur la sécurité des marchandises et les passagers arméniens voyageant via le Nakhitchevan.
L’Iran est une autre option pouvant offrir des garanties de sécurité aux Arméniens qui voyageront via le Nakhitchevan. La plupart des Arméniens qui utiliseront le territoire du Nakhitchevan se rendront en Iran par autoroutes ou chemins de fer et il en va de même pour les marchandises. L’Iran entretient des relations amicales avec l’Arménie et, malgré les tensions avec l’Azerbaïdjan ces dernières années, l’Azerbaïdjan et l’Iran poursuivent leur coopération sur diverses questions, notamment la possibilité de moderniser l’infrastructure utilisée pour relier l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan au cours des trente dernières années. L’Arménie pourrait entamer des négociations trilatérales Arménie-Azerbaïdjan-Iran sur le rôle de l’Iran dans la garantie de la sécurité des marchandises et les passagers arméniens voyageant via le Nakhitchevan.
L’UE est un autre candidat susceptible de jouer un rôle sur le sujet. L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont membres de l’Initiative de partenariat oriental de l’UE ; L’Azerbaïdjan et l’UE ont considérablement élargi leur coopération économique depuis le lancement du « corridor gazier sud » et des discussions actives sont en cours pour exporter de l’électricité de l’Azerbaïdjan vers l’UE via la mer Noire. L’Azerbaïdjan et l’UE discutent des possibilités d’augmenter les capacités du « corridor du milieu », qui relie la Chine à l’Europe via le Kazakhstan, la mer Caspienne, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie. Au cours des deux dernières années, l’Arménie a accru parallèlement sa coopération avec l’UE, notamment en déployant la mission d’observation de l’UE en Arménie et en prenant la décision de lancer le processus de libéralisation des visas. Depuis décembre 2021, l’UE sert de plate-forme aux pourparlers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan grâce à la collaboration du président du Conseil européen, Charles Michel. Tout cela fait de l’UE un candidat viable pour fournir les garanties de sûreté nécessaires au bon déroulement du voyage des marchandises et les passagers arméniens via le Nakhitchevan.
La Russie, l’Iran et l’UE sont des acteurs potentiels qui peuvent aider l’Arménie et l’Azerbaïdjan à finaliser le rétablissement des communications en fournissant les garanties de sécurité nécessaires aux Arméniens, qui veulent voyager via le Nakhitchevan et, dans les étapes ultérieures, via l’Azerbaïdjan proprement dit. D’autres pays et organismes internationaux pourraient également être inclus dans les négociations. Cependant, une chose est claire : compte tenu de l’histoire des crimes commis contre la population civile arménienne par l’Azerbaïdjan, les Arméniens ne peuvent utiliser le territoire azerbaïdjanais pour voyager et transporter des marchandises qu’avec des garanties de tiers. Quiconque souhaite rétablir les communications entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan doit encourager les deux parties à entamer des discussions sur ces sujets ; sinon, un Caucase du Sud sûr et prospère demeurera une chimère.
Traduction N.P.